La diaspora algérienne, enjeux et richesse stratégique négligée (Partie 1)

26/02/2024 mis à jour: 06:05
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La nation algérienne est une et indivisible, même si certains tentent par différents subterfuges de souffler sur les braises pour tenter de la disloquer. Il n’empêche que l’Algérie doit en urgence se positionner d’une manière stratégique pour contrebalancer les risques potentiels.
 

L’Algérie est face à de nombreux risques internes (politique : diversité et vitalité faible ; social : chômage et baisse du pouvoir d’achat ; économique : dépendance multiforme, ralentissement de l’investissement et positionnement stratégique flou) et externes : multiplication de conflits localisés encerclant le pays (Libye, Sahel, Sahraoui) et turbulence du marché international. 
 

L’environnement externe est aussi fragilisé par une poudrière régionale pouvant s’exprimer à tout moment via une quelconque étincelle. Situation aggravée par Israël qui se rapproche dangereusement de l’Algérie avec ses récentes normalisations avec le Maroc. Pour répondre à ce positionnement, il nous semble urgent de lancer un grand projet pour l’Algérie avec une vision stratégique à l’horizon 2040. En revanche, sans soutien volontaire par une large population, rien d’efficient ne pourra se réaliser. 

Sa mise en œuvre doit impérativement repose sur des fondements incompressibles dont les trois principaux sont : les libertés individuelles, la sécurité et l’autonomie. Ils ne pourront se réaliser pleinement que s’il existe une forte volonté de rupture avec le passé, car l’inertie du système construit depuis l’indépendance sera le principal facteur de résistance. 
 

L’Algérie est en mesure de construire un modèle innovant avec de nouveaux repères. La richesse de l’Algérie, ce n’est plus ses hydrocarbures, sa richesse principale, c’est désormais son capital humain avec sa diaspora comme un de ses piliers essentiels. Cette diaspora qu’on a souvent négligée parce qu’elle faisait peur au pays d’origine mais aussi au pays d’accueil, principalement la France. 
 

La problématique posée dans cet article n’est pas centrée sur la nature du modèle à construire, mais exclusivement sur une de ses composantes en l’espèce : la diaspora. 

La question centrale est de tenter de comprendre pourquoi cette richesse a été très peu valorisée dans l’histoire récente de l’Algérie ?
 

Quels sont sa nature et le bilan opéré ? Enfin, comment peut-on impulser une nouvelle dynamique à cette diaspora pour la mettre au service de l’Algérie ?
 

Pour tenter de répondre à ces problématiques, nous mettrons d’abord en exergue l’implication de la diaspora dans la révolution d’indépendance. Ensuite, nous tenterons de positionner les principales gouvernances algériennes depuis 1962 face à cette diaspora. Enfin, nous tenterons de faire un bilan et conclure par différentes mesures opérationnelles qui permettront d’enclencher une nouvelle dynamique. 
 

1. La Diaspora, pilier de l’indépendance algérienne 

La diaspora algérienne a contribué d’une manière significative à la Révolution d’indépendance. Cette contribution était multiforme. D’une part, par le paiement d’un impôt révolutionnaire qui permettait de financer la résistance, en particulier pour acheter des armes. D’autre part, sur le plan politique en participant à de nombreuses manifestations et grèves dont celle d’octobre 1961 qui fit des centaines de morts. La diaspora disposait d’un pouvoir de communication avec les organisations politiques, syndicales et associatives. Ses actions ont sensibilisé l’opinion publique française permettant de faire basculer le conflit pour la fin de la guerre en Algérie, l’autodétermination et enfin l’indépendance algérienne. Paradoxalement, lors du Conseil national de la Révolution algérienne (CNRA), cette diaspora qui avait largement financé la Révolution d’indépendance s’est retrouvée marginalisée au Congrès de Tripoli en 1962. Par des jeux de pouvoir, la Fédération de France du FLN en avait été exclue. Le clan d’Oujda, sous la houlette du colonel Boumediene, a su imposer son autorité. C’est le premier signal fort en direction de la diaspora algérienne qui a été écartée du développement futur de la nouvelle Algérie indépendante.
 

2. Le Président Boumediene et la Diaspora, un projet ambitieux inachevé 

Durant sa gouvernance, le Président Boumediene lancera un grand projet économique avec sa fameuse théorie des industries industrialisantes. L’objectif est de créer un tissu industriel permettant de rendre économiquement indépendant le pays. Des millions de personnes seront formées et mises au travail. Sur le plan politique, une vision est aussi impulsée avec un non-alignement actif et une relation rééquilibrée avec l’ex-puissance coloniale. Une politique dynamique à l’égard de sa diaspora est lancée. En France, la diaspora est confrontée à un poison français raciste qui continue d’assassiner d’une manière récurrente du «bougnoul» algérien. 

L’Amicale des Algériens en Europe est initiée dès novembre 1962 pour faire face à ces trop nombreux crimes racistes, mais aussi permettre de renforcer le lien avec la mère patrie Algérie. A cette époque, c’est-à-dire dès novembre 1962 jusqu’à 1990, l’Amicale des Algériens en Europe disposait d’un budget colossal financé par les cotisations de la diaspora, mais surtout par les autorités algériennes. Des antennes régionales, des permanents, un journal, des centaines de manifestations annuelles sont organisés et des milliers de sympathisants sont présents. L’organisation compte un grand nombre de sympathisants issu du monde ouvrier. 

L’Amicale des Algériens en Europe ratisse large et dispose d’un réel pouvoir sur le terrain au sein de cette communauté composée essentiellement d’Algériens de première génération et de leurs enfants considérés comme la seconde génération. Son influence est grande dans la promotion du rapport au pays avec l’organisation de nombreux voyages, par la mise en œuvre de colonies de vacances en Algérie, mais aussi par des manifestations sportives et culturelles en France et en Algérie. 

Elle est également très active dans le monde de l’éducation : près de 30 000 élèves bénéficient de soutien scolaire mais aussi de cours en langue arabe. Les résultats obtenus sont positifs. Cependant, l’action sur le terrain méritait d’être consolidée notamment avec plus de rigueur et de transparence dans la gestion, y compris une gestion humaine plus transparente, avec un maillage plus dense, mais aussi et surtout des moyens financiers plus conséquents à la hauteur de la demande et des besoins de terrain qui explosaient. La mort du Président Boumediene fin décembre 1978 et sa succession par le colonel Chadli va révéler rapidement la crise structurelle du pays. Les résultats économiques du pays sont alarmants et révèlent au grand jour des dysfonctionnements profonds. Les objectifs de décollage et d’entraînement ne sont pas réalisés. Au contraire, la machine économique ne fonctionne qu’avec l’injection d’importantes sommes financières, issues principalement de la rente énergétique. 

L’objectif d’indépendance est inversement proportionnel et une nouvelle forme de dépendance, principalement technologique et très pernicieuse, s’est installée. Pour faire fonctionner et assurer une maintenance des monstres industriels importés, des intermédiaires de tous bords sont imposés. L’objectif de départ d’indépendance politique et économique se matérialise par l’effet inverse, renforcé par une explosion des importations et son corollaire du poison corruption. Cette crise débouche sur une économie de pénurie qui accélère les jeux d’acteurs pour la détourner et où le poison peut désormais s’exprimer pleinement. 
Très rapidement, la crise s’installe et les caisses se vident à grande vitesse à la fin des années 1980. 
 

3. Le Président Chadli et les limites de la promotion de la Diaspora 

Au début des années 1980, les caisses de l’Algérie sont quasi vides. Le feu vert est donné pour stopper le financement de l’Amicale des Algériens en Europe, tout en développant des discours de valorisation de la diaspora, y compris par des colloques en Algérie. En réalité, rien de concret, sinon des opérations de communication pour ne pas révéler la crise structurelle profonde et masquer l’abandon de la diaspora. 
L’Algérie doit faire des économies en urgence, si elle ne veut pas sombrer. 

La diaspora via l’Amicale des Algériens en Europe sera une des premières touchées. L’Amicale est contrainte de fermer boutique en 1987 et de licencier ses permanents. La diaspora devient orpheline et le travail de fond qui avait été opéré s’évapore rapidement. Cette diaspora se retrouve démunie en quête de repère entre un pays d’accueil où le poison raciste continue d’assassiner et la mère patrie qui lui lâche la main. L’Amicale des Algériens en Europe est rapidement remplacée au début des années 1980 par les associations antiracistes, plus précisément depuis la marche pour l’égalité et contre le racisme en 1983 dite marche des beurs. 

Le Président Chadli et ses conseillers techniques, en particulier au niveau de la Présidence et du ministère du Plan, sont contraints de faire évoluer le système avec une approche plus libérale. 
 

Sur le plan économique, la loi 82.11 du 21 août 1982, relative à l’investissement privé national, n’accorde pas d’avantages spécifiques aux nationaux émigrés. Au contraire, elle les contraint à déposer leur carte de résidence s’ils souhaitent investir en Algérie : c’est un aller sans retour. Les résultats seront catastrophiques, alors qu’un public d’entrepreneurs franco-algériens aurait pu être capté. Le nombre d’acteurs issus de la diaspora souhaitant investir en Algérie sera quasi nul à quelques très rares exceptions.

Sur le plan politique, à partir de 1988, une ouverture est également opérée par l’instauration du multipartisme. Toutefois, la diaspora est quasi exclue du champ politique. 
 

4. De la fin de l’Amicale des algériens en Europe à Sos racisme 

Dans l’Hexagone, le poison français sévit toujours avec la continuation de trop nombreux assassinats racistes. La diaspora, notamment sa seconde génération principalement née en France, est contrainte de se tourner vers d’autres soutiens en particulier issus du pouvoir de gauche qui vient de remporter la présidentielle de 1981. François Mitterrand, président de la République, a su instrumentaliser la diaspora en la détournant du lien avec l’Algérie et la cause palestinienne, la création de Sos Racisme en est la plus belle illustration.  
 

François Mitterrand, ancien ministre de l’Intérieur en 1954, avait tenu des propos relatifs à l’Algérie qui ne peuvent être oubliés : «La seule négociation, c’est la guerre.» En d’autres termes, la torture, la guerre totale, y compris les massacres devaient continuer pour faire plier la résistance algérienne. 

Cette posture radicale est confirmée en 1956, en tant que désormais garde des Sceaux, Mitterrand cosigne la loi qui autorise les pouvoirs spéciaux matérialisant le début d’un Etat d’exception en Algérie, suspension des libertés individuelles et transfert à l’armée du pouvoir de police. 
 

Ces pouvoirs spéciaux ont pour conséquence directe l’accélération de la torture, les exécutions sommaires et la pleine application des peines capitales. Mitterrand est un ambitieux politicien qui prône la ligne dure à l’égard de la résistance algérienne, il saura habilement instrumentaliser et neutraliser la diaspora algérienne au début des années 1980. 

La diaspora développe, peu à peu, un ressentiment vis-à-vis de la mère patrie qui l’a laissée orpheline depuis la fin tragique de l’Amicale des Algériens en Europe. Commence alors à fleurir différentes associations et radios communautaires, telles France Plus à Paris ou les Jalb (Jeunes Arabes de Lyon et de Banlieue) à Lyon, qui s’intéressent peu au lien avec l’Algérie. 

Cette Algérie qu’ils stigmatisent désormais ouvertement en l’accusant d’avoir coupé le lien avec ses enfants laissant la gauche française les instrumentaliser. Effectivement, un grand nombre de dirigeants d’associations communautaires seront récupérés et financés par le pouvoir socialiste via de nombreuses subventions allouées pour mieux les neutraliser.  (A suivre)

 

Par le Pr  Seddik Larkèche
Universitaire et écrivain franco-algérien

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