La CPI statue sur les crimes contre l’humanité commis par Israël à Ghaza : Mandats d’arrêt contre Netanyahu et Gallant

21/05/2024 mis à jour: 06:13
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Photo : D. R.

Compte tenu des preuves recueillies, j’ai de bonnes raisons de penser que la responsabilité pénale de Netanyahu et Gallant est engagée pour les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité commis sur le territoire de l’Etat de Palestine», a écrit le procureur de la CPI. Cela signifie que n’importe lequel des 124 Etats membres de la CPI sera, après émission du mandat, dans l’obligation de l’arrêter s’il se rend sur son territoire.

La Cour pénale internationale (CPI) a demandé, hier, des mandats d’arrêt contre le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, et son ministre de la Défense, Yoav Gallant, pour «crimes de guerre» et «crimes contre l’humanité». La CPI a également réclamé des mandats d’arrêt contre les trois principaux chefs du Hamas, à savoir Yahya Sinwar, Mohammed Diab Ibrahim Al Masri, plus connu sous le nom Deif, et Ismaïl Haniyeh.

Le procureur CPI, Karim Asad Ahmad Khan, a, dans une déclaration diffusée sur le site officiel de la Cour, fait état du dépôt de requêtes aux fins de délivrance de mandats d’arrêt concernant la situation dans l’Etat de Palestine. Pour les cas de Netanyahu et de Gallant, cela signifie que n’importe lequel des 124 Etats membres de la CPI sera, après émission du mandat, dans l’obligation de les arrêter s’ils se rendent sur son territoire.

«Aujourd’hui, je vais déposer des requêtes auprès de la Chambre préliminaire I de la Cour pénale internationale aux fins de délivrance de mandats d’arrêt concernant la situation dans l’Etat de Palestine», a écrit Karim Khan. Tournant historique dans le conflit israélo-palestinien, la décision de la CPI sonne la fin de l’impunité, selon de nombreux observateurs.

Elle constitue, aussi, l’aboutissement des efforts consentis depuis des décennies par les défenseurs des droits humains pour faire cesser les exactions commises par l’occupant israélien en Palestine et conforter la position de tous ceux qui considèrent que le conflit israélo-palestinien est d’abord une question de décolonisation. «Compte tenu des preuves recueillies et examinées par mon bureau, j’ai de bonnes raisons de penser que la responsabilité pénale de Benyamin Netanyahu et de Yoav Gallant est engagée pour les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité commis sur le territoire de l’Etat de Palestine (dans la bande de Ghaza) à compter du 8 octobre 2023 au moins», a ajouté le procureur de la CPI.

Il cite, entre autres faits reprochés, l’acte d’affamer délibérément des civils, de causer intentionnellement de grandes souffrances ou de porter gravement atteinte à l’intégrité physique ou à la santé ainsi que le fait d’homicide intentionnel.

«Affamer délibérément des civils»

Mais également le fait de diriger intentionnellement des attaques contre la population civile, l’extermination et/ou le meurtre en tant que crime contre l’humanité, y compris en lien avec le fait d’affamer des civils ayant entraîné la mort, en tant que crime contre l’humanité. Le bureau d’Amin Khan a, en sus, fait valoir que les crimes de guerre visés dans ces requêtes ont été commis dans le contexte d’un conflit armé international opposant Israël et la Palestine et d’un conflit armé non international opposant Israël au Hamas (et à d’autres groupes armés palestiniens) qui se déroulait simultanément.

«Nous affirmons que les crimes contre l’humanité visés dans les requêtes s’inscrivaient dans le prolongement d’une attaque généralisée et systématique dirigée contre la population civile palestinienne dans la poursuite de la politique d’une organisation. D’après nos constatations, certains de ces crimes continuent d’être commis», a-t-il poursuivi.

Il soutient que les preuves recueillies démontrent qu’Israël a «délibérément, systématiquement et continuellement» privé la population civile de l’ensemble du territoire de Ghaza de moyens de subsistance indispensables à sa survie. Cela s’est traduit, a-t-il expliqué, par l’imposition d’un siège complet à Ghaza en interdisant totalement l’accès aux trois points de passage de la frontière de Rafah, Kerem Shalom et Erez à partir du 8 octobre 2023 pour des périodes prolongées puis en limitant arbitrairement l’acheminement de fournitures essentielles – telles que la nourriture et les médicaments – par les points de passage après la réouverture de ces derniers.

La fermeture des canalisations d’eau reliant Israël à Ghaza – la principale source d’approvisionnement en eau potable de la population gazaouie – pendant une période prolongée à partir du 9 octobre 2023 et les coupures de l’approvisionnement en électricité et les entraves à cet approvisionnement à partir du 8 octobre 2023 au moins jusqu’à aujourd’hui s’inscrivent dans le prolongement du siège.

Amin Khan a affirmé que ces actes se sont inscrits dans le prolongement d’un plan commun visant à «affamer délibérément des civils comme méthode de guerre» et à recourir à d’autres actes de violence à l’encontre de la population civile ghazaouie afin de servir les objectifs suivants : éliminer le Hamas, accroître la pression sur le Hamas pour obtenir le retour des personnes retenues en otages et punir collectivement la population civile de Ghaza perçue comme une menace pour Israël. «Les répercussions du recours à la famine comme méthode de guerre, conjuguées à d’autres attaques et à la punition collective infligée à la population civile de Ghaza sont aiguës, visibles et de notoriété publique», est-il précisé dans la déclaration du procureur de la CPI.

Elles ont en outre été confirmées par plusieurs témoins interrogés, y compris des médecins ghazaouis et étrangers. Et d’enchaîner : «Aujourd’hui, mon bureau s’emploie à mettre en accusation deux des personnes portant la plus lourde responsabilité dans cette situation, Netanyahu et Gallant, en tant que coauteurs et supérieurs hiérarchiques, en vertu des articles 25 et 28 du Statut de Rome.» Israël ne saurait, a-t-il fait savoir, se soustraire aux obligations faites à tout Etat de respecter le droit international humanitaire.

«(…) J’ai notamment rappelé que le recours à la famine comme méthode de guerre et les entraves à l’aide humanitaire constituaient des violations des dispositions du Statut de Rome. J’ai été très clair sur ce point», a-t-il indiqué. En présentant ces requêtes aux fins de la délivrance de mandats d’arrêt, le bureau du procureur de la CPI s’acquitte ainsi du mandat qui lui a été confié en vertu du Statut de Rome.

«Guerre d’extermination»

Les requêtes présentées hier sont, dit-il, l’aboutissement d’une enquête «menée par mon bureau en toute indépendance et en toute impartialité». Désormais, les juges indépendants de la Cour pénale internationale sont les seuls à pouvoir déterminer si les conditions sont réunies pour délivrer des mandats d’arrêt. «S’ils font droit à mes requêtes et délivrent les mandats d’arrêt, je travaillerai en étroite collaboration avec le greffier pour appréhender les individus concernés, a-t-il assuré.

Je demande à tous les Etats, notamment les Etats parties au Statut de Rome, de considérer ces requêtes ainsi que la décision judiciaire ultérieure qui s’ensuivra avec autant de sérieux qu’ils l’ont fait à l’égard des autres situations, conformément aux obligations qui leur sont faites dans le Statut». Amin Khan a également demandé instamment que cessent immédiatement les tentatives d’obstruction, d’intimidation ou d’influence indue des fonctionnaires de la Cour.

«Mon bureau n’hésitera pas à prendre les mesures qui s’imposent en vertu de l’article 70 du Statut de Rome, si de tels comportements persistent», a-t-il averti, tout en appelant «toute personne possédant des informations utiles à prendre contact avec mon Bureau et à soumettre ces informations via la plateforme OTP Link».

En réaction aux décisions de la CPI, le mouvement Hamas a dit hier «condamner fermement» la demande du procureur de la Cour de délivrer des mandats d’arrêt contre ses dirigeants. Il a dénoncé «les tentatives du procureur de la CPI d’assimiler la victime au bourreau en émettant des mandats d’arrêt contre un certain nombre de dirigeants de la résistance palestinienne», selon un communiqué de ce mouvement.

Le porte-parole du Hamas, Sami Abu Zuhri, a déclaré à Al Jazeera  que la décision de la Cour encourage Israël à poursuivre sa «guerre d’extermination» à Ghaza. Pour sa part, le ministre israélien de la guerre, Benny Gantz, a, selon la chaîne qatarie, dénoncé le fait que le procureur de la CPI cherche à obtenir des mandats d’arrêt contre le Premier ministre et le ministre de la Défense d’Israël. Rappelons que des experts de l’ONU ont exprimé, le 10 mai dernier, leur profonde consternation face aux déclarations émises par des responsables américains et israéliens menaçant d’exercer des représailles contre la CPI, ses fonctionnaires et les membres de leurs familles.

Ils ont rappelé que les autorités des Etats-Unis et d’Israël ont fait des déclarations incendiaires au sujet de la CPI, qualifiant les actions potentielles du Procureur de «sans foi ni loi», de «honteuses» et tout mandat éventuel d’«agression scandaleuse» et d’«abomination».

Alors que des rapports ont indiqué que les dirigeants du Congrès américain préparent d’éventuelles mesures de rétorsion, notamment des sanctions à l’encontre des personnes qui travaillent pour la Cour et des efforts visant à réduire le financement de la CPI, si des mandats d’arrêt sont délivrés à l’encontre de responsables israéliens. 

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