La contre-révolution en marche en Tunisie ?

16/01/2022 mis à jour: 04:26
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Photo : D. R.

Canons à eau et gaz lacrymogènes contre les manifestants du 11e anniversaire de la chute de Ben Ali. Le ministère tunisien de l’Intérieur se justifie par la situation sanitaire ; les opposants politiques parlent d’atteintes aux acquis de la révolution. Grande polémique en Tunisie.

Il a fallu l’intervention des agents de la Protection civile pour venir, avant-hier, au secours des manifestants et des journalistes, blessés ou groggy, suite à l’arrosage de la manifestation de l’anniversaire de la chute de Ben Ali, le 14 janvier 2011, par des gaz lacrymogènes et de l’eau. Les manifestants avaient pour mot d’ordre d’arriver à l’esplanade Habib Bourguiba à Tunis, symbole de la révolution, alors que le ministère de l’Intérieur avait installé un couvre-feu et interdit toutes les manifestations.

La situation politique en Tunisie est assimilée à un chaos autour du président de la République, Kaïs Saïed, depuis le 25 juillet dernier et sa décision de geler l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), dominée par les islamistes d’Ennahdha et leurs alliés. Il y a eu certes la nomination du gouvernement de Najla Bouden, en octobre, et l’annonce d’une feuille de route prévoyant une consultation nationale jusqu’au 20 mars 2022, un référendum le 25 juillet et des élections législatives le 17 décembre.

Mais la situation ne s’est pas pour autant apaisée. L’opposition, orchestrée par les islamistes d’Ennahdha, saisit chaque occasion pour exprimer son refus des choix du président Saïed. Le 14 janvier, date de commémoration de la révolution, était une occasion pour que l’opposition exprime sa colère.

Le scénario est toujours le même. Les islamistes d’Ennahdha louent des bus de l’intérieur du pays, pour ramener à Tunis plusieurs centaines de manifestants. Il y a également quelques centaines de manifestants appartenant aux partis socio-démocrates (Ettayar, Al Joumhouri et Ettakattol). Certains visages des organismes de protection de la révolution, apparus en 2012/13, ont réapparu avant-hier comme groupes de choc.

Il est vrai que les conditions sanitaires (5e vague de la Covid) et climatiques (vents et pluies) ont choisi le clan du président Saïed. Du coup, ils n’étaient qu’un peu plus de mille manifestants sur le boulevard Mohammed V, cherchant à arriver au boulevard Habib Bourguiba, en plein centre-ville de Tunis.

Le ministère tunisien de l’Intérieur avait déjà interdit, depuis 72 heures, toutes les manifestations et instauré le couvre-feu, pour lutter contre la 5e vague de la Covid, suite à une recommandation du comité scientifique. Des confrontations se sont produites, suite aux tentatives des manifestants d’accéder à l’avenue Bourguiba et 32 manifestants ont été appréhendés. 16 ont été transférés devant le parquet ; les 16 autres ont été libérés.

Bilan mitigé

Le militant progressiste Hatem Chaâbouni a publié sur sa page Facebook un post déplorant ce qui s’est passé. «Le 14 janvier restera à jamais gravé dans nos mémoires. Dieu pardonne Kaïs Saïed d’avoir laissé Ennahdha et ses alliés récupérer cette symbolique révolutionnaire», a-t-il écrit.

C’est dire l’amertume de certains démocrates, convaincus que le président Saïed a bien fait de dégager les islamistes d’Ennahdha, ayant usé et abusé du pouvoir durant la dernière décennie. Hatem Chaâbouni et ses camarades préfèrent qu’Ennahdha ne se présente pas en victime face à l’opinion publique, locale et internationale, pour faire oublier ses bévues au pouvoir durant la dernière décennie. «Les divers gouvernements d’Ennahdha, depuis 2012, ont amené le pays à la grave crise du moment», ne cesse d’assurer cette catégorie de la classe politique, exprimant un soutien critique au Président et demandant qu’il n’offre pas d’alibis aux islamistes.

L’opinion publique est surtout consternée par l’inflation ascendante, le chômage et la pauvreté sévissant en Tunisie. Le taux de chômage a dépassé les 18%, alors que l’inflation était autour des 7% durant les trois derniers mois, sans parler de l’endettement extérieur avoisinant les 85% du PIB et l’affaiblissement critique des investissements directs étrangers (IDE).

Les perspectives économiques ne sont pas rassurantes, à la veille de négociations prévues incessamment avec le Fonds monétaire international (FMI). C’est l’impact socioéconomique de cette situation qui inquiète la population, qui espère que le président Saïed corrigera le tir de ces promesses jamais réalisées.

Les opposants ne cessent de tenter de pousser le Président à l’erreur, en termes démocratiques, pour dissuader les instances internationales de l’aider. Il est toutefois utile de rappeler que la liberté de parole est encore sacrée en Tunisie et que la quasi-totalité des médias anime des plateaux plutôt opposés au Président. Le souci en Tunisie est surtout économique et financier, 11 ans après sa révolution. 

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