La chronique littéraire / Littérature et causalité

14/12/2024 mis à jour: 03:55
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La littérature qui emprunte à tant de domaines et d’abord à la vie et à la réflexion est une voie privilégiée pour expliquer le monde et ses transformations, tant à l’échelle des individus qu’à celle des sociétés, des peuples et des nations. 
Elle emprunte à l’histoire et à la philosophie, pour donner à  lire et à voir, par exemple en un récit romanesque, le destin d’un être ou d’une entité.

 Elle décrit les mécaniques de la comédie humaine, déroule le fil des menées de ceux qu’on croit être de grands personnages et qui ne sont, en fait, que les outils de ce qui les dépasse et s’arrête sur la fatalité des conjonctions. D’Ulysse, aux mains des dieux de l’Olympe, au Juge-pénitent de La Chute de Camus, en passant par les études de mœurs balzaciennes et Les Démons de Dostoïevski, jusqu’aux Vigiles de Tahar Djaout, la littérature nous apprend à appréhender les faits et à comprendre un rapport logique qu’on délaisse, par les temps qui courent, celui liant les causes aux conséquences. 

Un lien qui permet de ne pas éluder, comme on le fait souvent, en s’arrêtant aux seules conséquences, leur matrice causale. Ce lien que, souvent, la littérature utilise comme ressort de ses trames et intrigues, démontrant, sous nos yeux, que rien ne vient de rien et qu’à l’instar de la citation attribuée à Lavoisier : «Rien ne se créée, rien ne se perd, tout se transforme.» La causalité est essentielle pour la compréhension des faits et la littérature, y compris dans ses questionnements, ses allusions et ses capacités créatives nous aident à y recourir, pour réfléchir pertinemment sur le pourquoi des choses et l’avènement de telle ou telle situation dont nous sommes témoins ou acteurs.

 La littérature contribue à asseoir les événements dans leur contexte et à en examiner les tenants et aboutissants quand les analyses des médias cèdent aux sirènes des conjonctures et des manipulations. Les expériences portées ou mises en scène par les œuvres littéraires contribuent à aiguiser notre conscience et affiner notre jugement tout relatif qu’il soit. 

Les tragédies que connaît le monde, les restrictions liberticides, qui font sombrer l’esprit critique et le sain jugement et les démarches qui contribuent à exacerber les frustrations et la tension latente, gagneraient à être appréhendées avec la mesure que suppose l’analyse. 

Cette analyse à laquelle la vraie littérature nous initie, indirectement, si tel ne fut pas le cas avec l’environnement social, le système éducatif et le recul de ce qu’on nomme, communément, les humanités. Certains scientifiques, doublés de philosophes, sont allés jusqu’à affirmer que la causalité est antérieure aux notions de temps et d’espace, ce qui ouvre, on le devine, des perspectives de réflexion singulières. Malgré cette importance, le rapport de causalité s’avère souvent négligé, tu ou ignoré, en ces temps de précipitation et de confusion, alors qu’il permet de relier et de restituer les effets à leurs origines et ainsi, peut-être, les expliquer. Les trames romanesques les plus réussies sont celles dont l’intelligence de l’auteur a pu développer la complexité, parfois ardue, en les reliant à leur matrice causale, y compris absurde, pour Camus ou gratuite pour Gide ou déstructuré pour L’Exproprié de  Tahar Djaout. 

L’ordonnancement, que suppose l’intrigue d’un roman, permet aussi, non seulement et en son terme d’avoir le fin mot, c’est le cas de l’écrire, de l’histoire mais aussi d’examiner, au fil de l’avancement de la lecture, diverses suppositions et combinaisons. Or, cet exercice devrait être celui de tout honnête homme, face à ce début de XXIe siècle, marqué par des exigences de discernement et des capacités de prospection, face à des défis, dont la complexité ne doit jamais faire oublier les valeurs d’éthique, d’entente, de liberté et de démocratie. 

C’est ainsi que malgré sa supposée fragilité, qui est celle, ne l’oublions pas, de l’homme et des mots, la littérature doit demeurer un éveilleur de conscience et un encouragement pratique au raisonnement et à la remise en cause. Ces deux notions sont essentielles aux prémices de ce siècle, car elles permettent de faire face, pour les hommes et les sociétés, aux risques de l’intelligence artificielle, certes, mais aussi à ceux de l’intelligence humaine égarée dans les dédales de la malfaisance, se parant, depuis la nuit des temps, de la force et du faux, se gargarisant de belles phrases et de mots étincelants. 

Ce qui démontre, encore une fois, l’importance des mots. La littérature permet ainsi non seulement de comprendre les mots qui mènent ce siècle mais aussi les faits, en les reliant au mouvement du monde, à celui des idées et de l’histoire, dans une perspective qui peut être de causalité mais qui est toujours de pertinence, parce qu’elle pousse à la réflexion et à l’analyse.

 Le cas échéant, si tel n’est pas le cas, c’est, soit l’œuvre, soit l’usage qui en est fait par le lecteur, qui n’est pas à la hauteur de l’exigence littéraire, laquelle ne se limite pas à celle qu’on veut faire accroire de «passe-temps pour se changer les idées», réductrice et fortement promue grâce à la culture du divertissement. Bien au contraire, la vraie littérature, pour paraphraser deux titres de Malek Haddad, nous appelle, à nous, donc, de l’écouter, pour comprendre la «causalité» de la dernière impression d’un monde finissant, qui s’avère la première de celui, en gestation, qui s’annonce aujourd’hui.

Par Ahmed Benzelikha

linguiste spécialiste en communication, économiste et journaliste algérien  

 

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