La tenue de salons du livre, au niveau de diverses régions du pays, dont, récemment, ceux de Ouargla, Batna et Tizi Ouzou, celui-ci dédié à la mémoire de la généreuse personnalité du journaliste, écrivain et éditeur, le défunt Mouloud Achour, ne manquera pas de souligner combien ces manifestations sont utiles et nécessaires.
En effet, la double chaîne du livre, celle économique et celle sociale, a besoin de ces espaces de jonction pour s’assurer de la dynamique pérenne qui permet non seulement la présence livresque dans une société mais aussi l’exercice de son influence au travers de la réunion des facteurs divers qui y président. Ces facteurs vont du plus prosaïque, qui est l’écoulement d’un produit marchand, tout particulier qu’il soit, au plus complexe, qui est d’assurer à la circulation des idées une présence manifeste au sein de la société au travers de l’encouragement de la place du livre et de la lecture parmi le paysage socio-économique et culturel du pays. Laquelle perspective s’avère hautement symbolique dans un environnement social, sensible, on l’oublie souvent, aux signes et signaux qui consacrent un consensus dominant, autour d’une pratique ou d’une approche.
C’est en 1462, à Francfort, que s’est tenue la première foire du livre, sous l’impulsion de la découverte de l’imprimerie par Gutenberg et la consécration de la démocratisation des connaissances, portées par les livres imprimés, remplaçant les manuscrits, rares et réservés aux élites. Cette même foire du livre existe d’ailleurs toujours et s’avère la plus importante au monde jusqu’à aujourd’hui. Les foires et salons sont, en fait, des pôles, non seulement pour la vente et la promotion des livres, mais aussi pour nombre d’activités, qui sont habituellement l’apanage des libraires, comme les séances de vente-dédicace, n’en déplaise à certains, les débats et rencontres littéraires, ainsi que pour les échanges entre tous les acteurs du monde livresque et de son écosystème. Foires ou salons, ces manifestations sont d’abord des lieux de vie où la convivialité humaine, tant entre individus qu’entre groupes sociaux ou courants de pensée a, théoriquement, la part belle, où l’espace physique rejoint celui intellectuel et même émotionnel.
C’est idéalement un espace de foisonnement d’idées et d’échanges qui réunit et ainsi dépasse les appartenances, notamment idéologiques et linguistiques, pour (ré)affirmer la primauté de l’intelligence et de la beauté morale, car un livre, un vrai, relève d’abord de ces deux principes, dans leur acception la plus large, qui devraient guider l’éducation des plus jeunes et l’action des plus âgés. Même si, souvent, cet idéal est rarement vérifié, transformant pareille approche en combat d’arrière-garde, il n’en demeure pas moins qu’affirmer une telle perspective, comme le fait régulièrement cette chronique, serait déjà l’atteindre.
Le dernier rapport annuel de la cour des comptes, consultable en ligne, page 25, révèle un important problème pédagogique, en relation avec les grandes difficultés des élèves à la production textuelle, en langue arabe et française. Par ailleurs, des études internationales ont relevé, de par le monde, l’appauvrissement non seulement du vocabulaire utilisé mais aussi de la structuration des discours produits. Or, le livre et la lecture, ces parents pauvres du XXIe siècle connecté, sont des outils puissants et efficaces pour contrer de telles lacunes, que l’intelligence artificielle générative ne saurait combler qu’au détriment de l’humanité, transformée en masses ignorantes incapables de s’exprimer.
C’est pourquoi, nos enfants, nos jeunes et nos adultes, ont besoin de livres, de textes, d’idées, de réflexions, de raisonnements et d’argumentaires, de modes d’expressions et d’ouvertures qui aèrent l’esprit et permettent la production textuelle et discursive, la plus riche et la plus pertinente. Les foires et salons, aux quatre coins du pays, participent de la réponse à ce besoin, en faisant du livre un objet populaire et de la lecture une pratique familière, donnant à la société un quotidien autre que celui des fast-food, essaimant au détriment des librairies et du prêt-à-penser smartphonisé. La thématique du Salon de Batna, qui se tient jusqu’au 28 décembre, «Les univers de la créativité et la magie de la lecture» est, à cet égard, tout à fait de mise.
L'instauration du Salon international du livre d’Alger en 1996, en pleine décennie noire, fut un acte de résistance et de lutte contre l'obscurantisme, la régression et la paupérisation intellectuelle. Car les vrais livres éclairent une société et la préviennent contre l'uniformisation et la redondance, qu'on retrouve dans les pseudos traités figés, érigeant en dogme la stérilité d’une idéologie, aujourd’hui abandonnée par ceux-là mêmes qui l’ont promue, porteuse d'un discours haineux, oppressif et oppresseur, auxquels on voudrait résumer l'univers livresque. Un univers que, par ailleurs, les fiches de cuisine, le parascolaire mercantile, les récits pour enfants, voulus moraux et qui ne sont que rébarbatifs et les laborieux dictionnaires anglicisants, n'illustrent en rien.
Car l'univers du livre, c'est d'abord la profondeur et la richesse de la pensée, la réflexion autonome, la liberté, le progrès, la diversité, le dialogue, le respect de soi et des autres. Autant de valeurs et de principes que nous voudrions inculquer à nos enfants pour aller mieux de l'avant. Autant de valeurs et de principes que nous voudrions retrouver en chaque foire et chaque salon, en chaque livre et en chacun de nous.
Par Ahmed Benzelikha