La baisse imminente des taux d’intérêt américains peut-elle booster le prix du pétrole ?

18/09/2024 mis à jour: 18:02
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La Réserve fédérale américaine (FED) prévoit de réduire son taux directeur le 18 septembre afin de stimuler le marché du travail et booster l’activité économique, une décision qui pourrait entraîner une hausse des prix de certaines matières premières.

 L’analyse des politiques publiques mises en œuvre par de nombreux banquiers centraux au cours des trois dernières décennies, ainsi que les recherches d’universitaires de renom, ont confirmé que les baisses de taux d’intérêt aux États-Unis influencent les rendements obligataires (sur les marchés financiers), l’activité économique et, in fine, les prix de certains marchés de produits de base, y compris celui des hydrocarbures. En effet, les investisseurs (banques, assureurs et fonds de pension) se tournent vers certaines matières premières pour se protéger contre l’inflation ou simplement diversifier leurs placements financiers. 

Dans ce contexte, une question se pose : est-ce que la baisse imminente des taux d’intérêt à court terme aux États-Unis va entraîner une hausse des prix du pétrole, d’autant plus que l’économie américaine semble réussir un atterrissage en douceur (avec une baisse de l’inflation couplée à une croissance économique), un contexte favorable pour maintenir une demande soutenue pour les matières premières (et le pétrole) et des niveaux de prix élevés. Si tel n’est pas le cas, pourquoi ? Pour l’Algérie, une hausse des prix du pétrole résultant d’une baisse des taux d’intérêt aux États-Unis serait bienvenue, car elle réduirait la pression sur les équilibres macroéconomiques. 

Toutefois, il est essentiel que toute marge de manœuvre additionnelle éventuelle soit utilisée judicieusement en appui d’une trajectoire de redressement et de réformes dans le pays (y compris une composante sociale ambitieuse). Ces enjeux méritent d’être discutés.


Le lien entre la variation des taux d’intérêt, les marchés financiers et le prix du pétrole. Entre 2000 et 2020, la FED a initié trois cycles de baisse des taux d’intérêt à court terme : (1) en 2001 pour contrer les effets de l’éclatement de la bulle internet ; (2) en 2007-2008 en réponse aux dégâts économiques causés par la grande crise financière ; et (3) entre 2019 et 2020 pour soutenir l’activité économique contrainte par la guerre commerciale avec la Chine et la pandémie de la Covid-19. L’analyse de ces trois cycles valide le lien de causalité entre les baisses des taux d’intérêt à court terme et la hausse des prix des produits de base, même si ces baisses se différencient les unes des autres en termes de rapidité, d’ampleur et d’impact final sur les marchés des matières premières. 

Voici les grandes lignes de cette analyse :


• L’influence des bons du Trésor américain : Ces derniers jouent un rôle central dans le système financier mondial, étant perçu comme une valeur refuge en raison de la solidité du dollar américain et de la faible probabilité de défaut du gouvernement. Les banques centrales et les économistes considèrent ainsi les rendements à court et long terme (notamment ceux à 10 ans) des bons du Trésor comme des indicateurs de la conjoncture économique. De plus, des études empiriques montrent également que ces rendements ont un pouvoir explicatif significatif sur les prix futurs du pétrole. Ainsi, les spécialistes utilisent les titres du Trésor comme une référence (parmi d’autres) pour asseoir leurs prévisions économiques et les mouvements des marchés, y compris ceux du pétrole.


• Le pétrole, une classe d’actifs financiers : En effet, ce dernier est désormais considéré comme une classe d’actifs à part entière, détenue par les investisseurs institutionnels, les particuliers et les Fintech (entreprises de technologie financière). De ce fait, cela a contribué à l’essor des échanges de contrats à terme, de billets négociés en bourse et de fonds négociés en bourse. 


• L’impact différencié des baisses de taux sur les marchés : La baisse des taux directeurs augmente l’attrait des matières premières pour les investisseurs qui cherchent à se protéger contre l’inflation et à diversifier leurs portefeuilles en réponse à la baisse des rendements obligataires. Cela se vérifie particulièrement pour l’or, le pétrole brut et les métaux industriels comme l’aluminium et le zinc. En revanche, les matières premières moins sensibles aux variations des taux sont celles expédiées en vrac par voie maritime et destinées aux fabricants (le charbon, les céréales et certains métaux). Ces marchés sont dominés essentiellement par des producteurs et des consommateurs réels, guides par des facteurs économiques locaux.


• L’impact des taux d’intérêt sur l’économie et le marché du pétrole : Les taux d’intérêt et leur volatilité affectent directement l’activité économique et les forces du marché du pétrole (offre et demande), influençant ainsi de manière significative les prix futurs du pétrole. L’incertitude liée aux taux d’intérêt, en plus des autres facteurs économiques, fournit des informations cruciales sur l’évolution des prix du pétrole.


• Corrélation de la variation des taux d’intérêt avec les cycles économiques et les facteurs externes : l’incertitude autour des taux d’intérêt est fortement corrélée aux cycles économiques et à des facteurs externes, comme la situation économique de la Chine (premier consommateur mondial de matières premières) ou les bouleversements géostratégiques, qui influencent les chaînes d’approvisionnement mondiales. 

Ces éléments sont précieux pour les professionnels de la finance et les investisseurs qui souhaitent optimiser la gestion de leurs portefeuilles en fonction de l’évolution des conditions économiques.


La baisse attendue des taux d’intérêt américains et ses conséquences sur les prix des matières premières. Avec une inflation en recul à 2,9% et un chômage à 4,3% à la fin de juillet 2024, le gouverneur de la FED a exprimé le 23 août son soutien à une réduction des taux directeurs. Cette dernière est prévue pour le 18 septembre, à l’issue de la réunion du comité de politique monétaire de la FED. 

Cette décision : (1) mettrait fin à un cycle de onze hausses de taux, qui avait porté le taux directeur à 0,25-0,50% le 17 mars 2022 et 5,25-5,50% le 23 juillet 2023 ; et (2) devrait également diminuer le coût d’opportunité de la détention de matières premières, lesquelles, contrairement aux obligations et à l’immobilier, ne génèrent pas de rendement. Elle interviendrait cinq jours après celle de la BCE qui vient de baisser son taux directeur de 0,25 points à 3,5%. 


Les négociants anticipent une poursuite de la tendance haussière pour certaines matières premières après le 18 septembre 2024. 

Cette anticipation s’inscrit dans une dynamique de hausse en place : (1) qui précéda le discours du gouverneur de la FED qui a vu les prix d’un éventail de métaux industriels augmenter de 4 à 10% en réponse à une activité économique stable ; et (2) a continué après l’annonce de la FED le 23 août 2024 au terme de laquelle les positions nettes des investisseurs sur la plupart des marchés des matières premières ont augmenté de 13% en une semaine. 

Les négociants estiment donc que la décision de la FED du 18 septembre pourrait encore stimuler les prix de certaines matières premières, d’autant plus que les indicateurs macroéconomiques suggèrent un atterrissage en douceur de l’économie américaine (source d’une demande soutenue). Par exemple, le prix de l’or, déjà en forte hausse en raison des tensions géopolitiques et de la demande élevée des particuliers et des banques centrales (notamment celles des BRICS), pourrait atteindre 3000 dollars l’once d’ici 2025, contre 2500 dollars aujourd’hui. 

A titre d’exemple, les projections pour 2025 seront selon la Banque mondiale de 10% pour le cuivre (métal crucial pour la transition énergétique), 4,3% pour l’aluminium, 3,7% pour l’étain et 4% pour le zinc.  


En revanche, la question se pose de savoir si nous assisterons également à une hausse des prix du pétrole. 

Bien que cette matière première soit au cœur de la géopolitique mondiale, deux facteurs clés pourraient limiter une hausse de son prix : 


• Le ralentissement de la demande mondiale en pétrole et l’augmentation de l’offre hors OPEP+ : Pour cette dernière, la croissance de la demande mondiale de pétrole est considérablement ralentie tandis que l’offre hors OPEP+ continue d’augmenter. En conséquence, le prix du pétrole brut Brent est passé de plus de 82 dollars à moins de 70 dollars le baril en un peu plus d’un mois. Une grosse partie de la baisse de la demande est due à une baisse continue de la demande de la part de la Chine (un des principaux moteurs de la demande mondiale) en raison d’une baisse continue de sa consommation causée par un ralentissement de l’activité économique et un passage accéléré aux énergies alternatives (véhicules électriques et trains à grande vitesse). Les économies avancées, comme les États-Unis, affichent également une faible croissance de la demande. 

L’OPEP+ a tenté de soutenir les prix en maintenant ses réductions de production, mais l’augmentation de l’offre hors OPEP a atténué cet effet. En maintenant le maintien des plafonds de production, l’OPEP+ se donne un temps de réflexion et d’évaluation des nouvelles perspectives pour 2025 et de l’impact des perturbations affectant l’offre de pétrole de la part de la Libye. Cela étant, l’offre hors OPEP+ augmente plus vite que la demande, ce qui pourrait conduire au maintien d’un excédent d’offre d’ici 2025, même en cas de prolongation des plafonds de production, souvent coûteux et faiblement respectés par les membres.


• Affaiblissement de l’économie chinoise post-Covid-19 : L’économie chinoise a progressé de 5,2% en 2023 et de 5% en glissement annuel au premier semestre 2024 grâce à des investissements publics accrus et des exportations nettes positives. Les pressions déflationnistes continuent car la Chine fait face à un ralentissement économique persistant mondial. Les perspectives à moyen terme restent défavorables, avec une croissance qui devrait diminuer progressivement pour atteindre environ 3,3% en 2029, du fait de la faible productivité et du vieillissement de la population. 

De plus, la Chine est confrontée à d’autres risques majeurs, notamment une contraction plus marquée que prévu du secteur immobilier, des niveaux d’endettement élevés, un affaiblissement de la demande extérieure et un manque de confiance des investisseurs étrangers.


Algérie : Incertitude des prix pétroliers, reprise des finances publiques et refondation de l’économie nationale. Face à une hausse incertaine des prix du pétrole, qui n’offrirait au mieux qu’un léger répit, l’Algérie devrait envisager, dès 2025, de fonder sa démarche économique et sociale pour une refondation de son modèle de développement économique et social autour de ce qui suit : 


• Un ancrage stratégique (même intérimaire) : qui doit offrir une visibilité économique à moyen et long terme, informer les investisseurs sur le potentiel économique du pays (estimé à 450 milliards de dollars pour un PIB de 240 milliards de dollars en 2023), les réformes nécessaires et les priorités en matière d’investissement.


•Une feuille de route cohérente : Alignée sur le cadre stratégique, cette feuille de route viserait à restaurer les fondamentaux économiques indispensables au retour de la croissance (résilience aux chocs et viabilité des finances publiques), tout en éliminant les rigidités structurelles qui freinent l’efficience des investissements domestiques et l’attractivité pour les investisseurs étrangers. Au centre de cette feuille de route, une politique sociale basée sur une redistribution mieux ciblée et efficiente. 


•Une politique industrielle ambitieuse : qui viserait à renforcer la compétitivité extérieure, améliorer la spécialisation de l’économie algérienne sur le marché mondial et orienter les investissements vers des secteurs clés, tels que les infrastructures, les énergies renouvelables, les services financiers, les technologies de l’information et de la communication (à haute valeur ajoutée), ainsi que le transport aérien.


•Une stratégie de financement des investissements : Compte tenu des besoins colossaux du pays et de l’espace budgétaire restreint, il est essentiel de mettre en place des mécanismes innovants pour financer les investissements nécessaires.


•Des outils de pilotage des réformes et des investissements : Ces outils permettraient de piloter les réformes et mieux auditer et évaluer les politiques publiques, et rassurant les investisseurs et la population sur la capacité du pays à conduire les réformes nécessaires.


•Une politique de communication : devant susciter et maintenir une plus grande adhésion de la population aux réformes. 


•Une stratégie d’ouverture économique progressive et adaptée aux besoins du pays : qui aurait pour objectifs : 

(1) de renforcer la compétitivité et l’efficacité de l’économie et l’aider à affronter la concurrence mondiale  ; (2) d’instaurer un modèle de production et d’exportation diversifié et viable ; (3) d’améliorer la compétitivité du secteur privé  ; (4) d’intégrer le processus de décarbonation mondiale pour lutter contre le changement climatique et la dégradation de l’environnement ; et (5) de nouer des partenariats avec le secteur financier international pour mobiliser l’épargne étrangère pour couvrir un gap de financement estimé à 60 milliards de dollars pour la période 2025-2027, nécessaires au développement et aux réformes (IDE, financements de portefeuille, prêts-projets, prêts à la balance des paiements). Ces fonds pourraient également offrir des opportunités de financement pour les startups et projets viables.
 

 

Par Abderahmi Bessaha , Expert international

 

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