Khalida Toumi à propos de la manifestation «Tlemcen capitale de la culture islamique» : «Mon rôle n’était pas la gestion et la comptabilité»

28/03/2022 mis à jour: 03:23
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Khalida Toumi, ex-ministre de la Culture / Photo : D. R.

La deuxième journée du procès de l’ex-ministre de la Culture, Khalida Toumi, a été marquée par des déclarations contradictoires de l’ordonnateur, Abdelaziz Benblidia. Tantôt il affirme avoir signé les marchés sur instruction de Mme Toumi, tantôt il revient sur ses propos pour pointer du doigt les chefs de projet, et tantôt il évoque sa mémoire qui lui fait défaut. Durant toute la journée, le tribunal n’a fait que débattre des actes de gestion.

Le procès de l’ancienne ministre de la Culture, Khalida Toumi, a repris, hier, devant le pôle financier, près le tribunal de Sidi M’hamed, à Alger, dans le dossier lié à la manifestation «Tlemcen, capitale de la culture islamique» (avril 2011-avril 2012). Le magistrat a interrogé l’ex-ministre sur la lettre qu’elle a adressée au Premier ministre dans laquelle elle évoque les problèmes rencontrés dans la préparation de la manifestation.

Elle explique : «Cette lettre a été adressée au Premier ministre en tant que président de la Commission nationale en charge de cet événement pour lui faire part des problèmes auxquels nous faisions face. Nous étions à trois mois seulement de l’événement et la préparation de la cérémonie d’ouverture, qui était immense avec plus de 250 artistes, n’était pas encore achevée. Nous étions confrontés à d’énormes problèmes bureaucratiques.

Des décisions ministérielles n’étaient pas exécutées et l’installation du budget accusait du retard. Nous avions des problèmes avec les autorités locales de Tlemcen et je suis incapable de vous dire pourquoi. Je peux essayer d’avancer l’hypothèse que notre Etat n’est pas arrivé à faire en sorte que tous ses démembrements travaillent dans la même direction. J’ai demandé des dérogations pour commencer à travailler et lui-même a écrit à la wilaya pour expliquer qu’il s’agit d’un événement à caractère national.»

Le magistrat évoque le marché de 40 millions de dinars, octroyé de gré à gré à la société Fillali, pour équiper le Centre culturel de lustres en cuivre «reçus au mois de janvier alors que l’ODS (Ordre de service) n’a été signé qu’au mois de mars. Pourquoi ?» 

Khalida Toumi précise que son rôle «n’est pas la gestion et la comptabilité. J’ai donné une instruction pour qu’au cas où il n’y a pas de société à Tlemcen qui réalise ce type de lustres, il faut aller en chercher dans les 9 wilayas limitrophes et dans le cas où il y en a pas, il faut aller vers toutes les autres wilayas en évitant bien sûr Tizi Ouzou, dont je suis originaire. Les lustres ont été fabriqués à Constantine, qui recèle les meilleurs artisans dinandiers. Le détail de la procédure ne relève pas de mes prérogatives».

L’ex-ministre apporte des précisions : «Il faut savoir qu’il ne s’agit pas de simples lustres ou de simples réalisations. Ce sont des ingénieurs qui les ont faits à l’image de ceux de l’Alhambra en Andalousie. Ce sont des pièces d’art faites par des artisans. Ce Palais a obtenu le 1er prix d’architecture. Ils ont refait tous les éléments de l’architecture de l’époque de l’Andalousie. Je n’ai jamais interféré dans les marchés, à l’exception de celui du Palais de la culture de Tlemcen, où j’ai dit qu’il fallait le donner à la société publique SNLB pour faire la boiserie, et la loi me le permet.

Le projet comporte 15 nouvelles infrastructures à Tlemcen et 73 sites à restaurer et à préparer.» 

Le magistrat revient à la charge en citant un marché donné à la même entreprise, dans les mêmes conditions, pour équiper des mêmes lustres le centre d’étude Les Andalouses, pour un montant de 13 millions de dinars. 

La prévenue réplique en lançant : «Mon but était de faire travailler des Algériens.»

Le juge : «Où était l’urgence pour aller vers le gré à gré ? La manifestation était terminée.» 

Khalida Toumi : «Il y a une différence entre finir la manifestation et terminer le projet. La loi sur le recours au gré à gré ne parle pas uniquement de l’urgence. Elle cite aussi le cas des projets d’importance nationale. Je ne connais cet artisan, mais je sais qu’il a préparé les lustres du Centre pour satisfaire la commande. J’ai signé un ‘‘passer outre’’.» 

Le juge revient justement sur ce «passer outre» : «Vous disiez que c’était pour éviter les contentieux judiciaires liés aux situations non payées, qui coûtent de l’argent. Comment est-ce possible, puisque les procès-verbaux de réception des travaux ont été signés en janvier 2014 ?» 

La prévenue déclare que sa responsabilité à cette date était de «clore ce dossier. Ce qui est important, c’est de faire en sorte que les factures soient adossées à des travaux réalisés. Je respecte les droits des artisans et je ne veux pas qu’ils usent de la justice pour obtenir leurs dus».

«Je ne connais aucune des entreprises…»

Le juge appelle le directeur de la culture de Tlemcen, Miloud Hakim, qui confirme que l’ODS a été signé en février 2013, précisant qu’il «fallait respecter les engagements de l’Etat vis-à-vis des partenaires. Les projets ont connu des retards importants». Selon lui, il y a eu la réception d’une partie du projet, dédiée à une exposition ouverte lors du lancement de la manifestation.

Le juge appelle Azzedine Benblidia, ordonnateur, pour l’interroger sur le marché accordé de gré à gré à la société Chellali Djamel, pour équiper la bibliothèque du centre des études. «Pourquoi aviez-vous signé un engagement le 8 décembre 2013, avant que le contrôleur financier n’appose son visa ?»

Le prévenu : «Je l’ai fait sur instruction de la ministre, en tant que présidente du comité exécutif.» 

Le juge se tourne vers Khalida Toumi qui répond : «Ce n’est pas mon travail. C’est le leur. L’ouverture concernait une partie qui était immense. Je ne fuis pas mes responsabilités.» 

Mais Benblidia persiste : «Je ne fais rien de mon propre chef. C’est moi qui signe, mais sur instruction de la ministre.» 

Le juge l’interroge sur le choix de la société, Benblidia affirme : «Ce n’est pas moi qui décide.»

Le magistrat : «Est-ce madame la ministre qui choisit les sociétés ?» 

Benblidia : «Ce n’est pas elle, mais je fais tout avec son accord.» 

Khalida Toumi réplique : «En théorie, peut-être que la responsabilité incombe totalement au ministre, mais dans la pratique, ce n’est pas le cas. Quand on le désigne, on lui délègue les pouvoirs mais pas la signature. Benblidia était coordinateur et ordonnateur.» 

Le juge : «Il dit que les sociétés ne peuvent être choisies sans votre accord.»

La prévenue : «C’est une erreur et je ne sais pas pourquoi. La délégation de pouvoir n’est pas la délégation de signature et le ‘‘passer outre’’ est un pouvoir discrétionnaire du ministre.» 

Le procureur lui fait savoir que les «26 passer outre devaient être argumentés, alors qu’ils ne l’étaient. Il ne s’agit pas d’un pouvoir ouvert»

Mme Toumi tente de prouver au tribunal que le nombre de ces «passer outre» reste «relatif» en comparaison avec celui des projets, quelque 500 ou 600 projets, dont 150 à Tlemcen et 170 à Alger.

Le procureur : «Benblidia dit qu’aucun des marchés n’est donné sans votre accord.» 

Mme Toumi : «Je ne peux pas être à Alger et à Tlemcen en même temps. Mais lorsqu’il y a un problème, j’interviens pour le régler. Je ne connais aucune des entreprises. Il fallait réhabiliter le palais royal des Zianides, un chef-d’œuvre architectural somptueux, mais je n’étais pas chargée du suivi ou de la signature du marché.» 

Harcelé par le procureur, Benblidia finit par se contredire en affirmant : «Ce sont les chefs de projet qui décident et qui donnent les noms des entreprises. Ils se réunissaient et rendaient comptent à la ministre de la situation. Je suis ordonnateur certes, mais mon travail est technique.»

Le magistrat interroge l’ex-ministre sur le marché accordé de gré à gré à Darkaoui pour l’acquisition de stores en 2013, après la manifestation ; Khalida Toumi affirme qu’il «s’agit de la fermeture du dossier et non pas de la manifestation. J’ai agi dans le cadre de l’article 43, qui classe les projets à caractère national comme priorité». 

A Benblidia, le magistrat demande des explications sur les marchés octroyés, sans ODS, pour l’acquisition de chaises, fauteuils et bancs, aux sociétés Bendaoud Mehdi et Chellali Djamel. Il évoque des problèmes et la désignation par la ministre des deux directrices de la culture d’Alger et de Sidi Bel Abbès pour se déplacer à Tlemcen et les régler.

Le magistrat : «La plupart des sociétés ont enregistré des retards, aucune n’a fait l’objet de pénalités de retard.» Benblidia garde le silence. Le juge se retourne vers Mme Toumi : «Qu’en pensez-vous ?»

La prévenue : «Lorsque les problèmes deviennent importants. Mes seules instructions vont dans le sens de terminer les travaux.»

Le juge demande à Benblidia : «Est-ce la ministre qui vous instruisait de signer les ODS ?» 

Benblidia : «Je n’ai pas dit qu’elle a donné des instructions.» Une déclaration qui suscite le rire du magistrat et du procureur. Le débat s’est poursuivi durant toute l’après- midi. 

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