Karim Ouamane. Ex-directeur général de l’Agence nationale des déchets (AND) : «La sensibilisation est un levier essentiel pour réduire les risques»

02/12/2024 mis à jour: 09:08
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Photo : D. R.

Sachets en plastique, barquettes en aluminium, boîtes de conserve, boîtes en carton... Les emballages sont beaucoup utilisés dans l’agroalimentaire et sont aujourd’hui largement décriés pour leur impact et dangers sur la santé. Certains composants chimiques de ces emballages représentent des contaminants potentiels. En effet, ils peuvent migrer vers les aliments et les boissons.

  • Quels sont donc les potentiels dangers de l’emballage plastique sur la santé ?

Les plastiques, longtemps prisés pour leurs propriétés pratiques et économiques dans le domaine des emballages alimentaires, notamment leur capacité à préserver et protéger les aliments, font aujourd’hui l’objet de critiques sévères. Sous certaines conditions, ils peuvent libérer des substances chimiques nocives dans les aliments.

En effet, leur fabrication nécessite divers additifs qui, bien qu’ils améliorent les propriétés des plastiques, peuvent aussi présenter des dangers pour la santé humaine. Il y a par exemple les stabilisants qui sont souvent intégrés aux plastiques pour prolonger leur durée de vie. Ils protègent les matériaux contre la dégradation causée par la chaleur et la lumière.

Cependant, certains stabilisants, en particulier ceux à base de plomb et de cadmium, posent problème en raison de leur toxicité pouvant entraîner des problèmes de santé graves s’ils migrent dans les aliments. Les antioxydants constituent un autre groupe d’additifs cruciaux. Ils empêchent l’oxydation des plastiques, mais certains, tels que les phénols, peuvent migrer vers les aliments et avoir des effets néfastes sur la santé, notamment des perturbations hormonales.

Les plastifiants, comme le bisphénol A (BPA), sont employés pour rendre les plastiques plus souples et flexibles. Cependant, le BPA est particulièrement controversé, car il est soupçonné de perturber le système endocrinien, affectant ainsi la reproduction et le développement. Les colorants, bien qu’utilisés principalement pour des raisons esthétiques, peuvent également présenter des risques.

Certains colorants sont potentiellement toxiques ou allergènes et peuvent migrer dans les aliments, posant ainsi des dangers pour la santé. Les agents de remplissage, ajoutés pour améliorer la texture et réduire le coût des plastiques, posent également problème. Bien qu’ils puissent être d’origine minérale, ils soulèvent des préoccupations concernant la contamination des aliments.

Les agents d’adhésion et de lubrification facilitent le processus de fabrication des emballages, mais ils peuvent contenir des substances chimiques nocives susceptibles de migrer dans les aliments. Enfin, les conservateurs sont utilisés pour prolonger la durée de conservation des aliments. Bien qu’ils soient nécessaires, certains conservateurs peuvent avoir des effets indésirables sur la santé lorsqu’ils sont en contact prolongé avec des aliments.

En conclusion, bien que les additifs soient indispensables pour améliorer la fonctionnalité et la durabilité des emballages en plastique, la migration de ces substances vers les aliments et leurs effets potentiels sur la santé humaine soulèvent d’importantes préoccupations. Ainsi, des réglementations strictes existent dans de nombreux pays pour limiter l’utilisation de substances dangereuses dans les emballages alimentaires, garantissant ainsi la sécurité des consommateurs.

  • On parle aujourd’hui du «plastique recyclable», mais la fabrication d’emballages alimentaires à partir de matériaux récupérés pose de nombreux problèmes et leur usage n’est pas, à ce jour, sans risque pour le consommateur...  
    Si un plastique «propre et neuf» pose déjà problème sur la santé, que dire d’un matériau usagé dont on ne connaît ni l’origine ni l’utilisation qui en a été faite par des consommateurs avant d’être recyclé ?

L’utilisation de plastique recyclé dans les emballages alimentaires suscite des préoccupations, en raison de l’incertitude quant à l’origine des matériaux, du risque potentiel de contamination chimique et d’une migration accrue de produits chimiques liée au processus de recyclage.

Cependant, le progrès technologique dans ce domaine, notamment à travers la technique dite «bottle to bottle», offre des perspectives encourageantes. Ce procédé de recyclage, qui transforme les bouteilles en plastique PET usagées en nouvelles bouteilles, constitue une avancée majeure. Il est spécifiquement développé pour répondre aux préoccupations entourant l’utilisation de plastiques recyclés.

Grâce à des systèmes de traçabilité améliorés, cette technique assure une connaissance précise de l’origine des matériaux. En outre, elle intègre des processus de nettoyage et de décontamination rigoureux pour réduire au minimum les risques de contamination chimique. Les innovations technologiques dans cette méthode s’efforcent également de maintenir la qualité structurelle du plastique, diminuant ainsi le risque de migration de substances chimiques dans les aliments.

Toutefois, malgré ces avancées, la sécurité des plastiques recyclés dans les emballages alimentaires repose toujours sur la mise en œuvre de contrôles stricts et de réglementations appropriées. En somme, bien que des préoccupations légitimes persistent quant à l’utilisation de plastiques recyclés pour les emballages alimentaires, les progrès technologiques ouvrent une voie prometteuse pour atténuer ces inquiétudes et avancer vers des solutions plus sûres.

  • La potentielle migration des perturbateurs endocriniens du contenant vers l’aliment peut être influencée par d’autres facteurs, en lien avec le mode de conservation ou d’utilisation du produit qu’il contient. Ainsi, le type d’aliment qu’il contient, les températures auxquelles il est soumis ou encore sa durée de vie sont des éléments à prendre en compte lors du choix des contenants. Pourriez-vous expliquer le mécanisme de migration ?

La migration des perturbateurs endocriniens (PE) des emballages vers les aliments est un phénomène complexe, influencé par de nombreux facteurs interconnectés. Ce processus se produit lorsque des substances chimiques passent de l’emballage à l’aliment, et il est particulièrement sensible à divers paramètres. En premier lieu, la nature chimique du perturbateur endocrinien joue un rôle central. Certains de ces composés possèdent une affinité particulière pour les graisses, ce qui les rend plus enclins à migrer vers des aliments riches en lipides. Les caractéristiques de l’emballage sont également déterminantes.

La composition du matériau, son épaisseur et la présence d’additifs influencent le degré de migration des PE. Par exemple, les bouteilles en plastique pour l’eau minérale ou les sodas peuvent libérer des PE lorsqu’elles sont exposées à des conditions inadéquates. Les plastiques chauffés ou en contact avec des aliments acides sont particulièrement susceptibles de relâcher des substances toxiques.

Les conditions de stockage constituent un autre facteur-clé. Les températures élevées, un stockage prolongé ou une exposition à la lumière peuvent intensifier la migration. Par exemple, lorsque des bouteilles d’eau ou de soda sont transportées ou entreposées en plein soleil, la chaleur peut accroître la libération de perturbateurs endocriniens du plastique dans la boisson.

De plus, le chauffage au micro-ondes peut accélérer la migration des plastifiants, soulignant ainsi l’importance d’une bonne gestion de la température. Enfin, la nature de l’aliment lui-même a un impact significatif. Les aliments gras, acides ou soumis à des températures élevées, comme lors de la cuisson, favorisent davantage la migration des PE. Ainsi, le type de nourriture en contact avec l’emballage peut amplifier ou atténuer le risque de contamination.

En résumé, la migration des perturbateurs endocriniens des emballages vers les aliments résulte de l’interaction de ces divers facteurs, chacun contribuant à déterminer le niveau de risque associé. Des exemples concrets, tels que les bouteilles d’eau minérale ou de soda exposées au soleil ainsi que le chauffage au micro-ondes illustrent bien l’impact des conditions de stockage et de préparation sur ce phénomène.

  • Comment réduire le risque de migration  ?

Face aux préoccupations croissantes concernant les risques de migration des perturbateurs endocriniens dans les emballages en plastique, notamment lorsqu’ils sont en contact avec des aliments gras, acides, ou exposés à la chaleur, il est impératif de passer à des solutions plus sûres et efficaces.  Choisir des emballages adaptés aux aliments qu’ils contiennent, utiliser des matériaux alternatifs comme le verre ou les bioplastiques et respecter les recommandations d’utilisation (température, durée de conservation) sont des mesures-clés.

Il est nécessaire de renforcer la réglementation et les normes en vigueur. Des normes plus strictes doivent être mises en place pour encadrer l’utilisation des perturbateurs endocriniens dans les emballages alimentaires. Il est indispensable de s’appuyer sur les dernières avancées scientifiques pour élaborer des directives techniques à cet égard.

Il convient également d’intensifier les contrôles afin de garantir la conformité des matériaux utilisés. La sensibilisation des consommateurs est un levier essentiel pour réduire les risques. Des campagnes d’information doivent être lancées pour éduquer le public sur les dangers potentiels des emballages en plastique et l’encourager à pousser les fabricants à adopter des emballages sans conséquences pour la santé publique.

  • Les bouteilles en plastique font partie intégrante de notre vie de tous les jours. Certains les réutilisent pour conserver différents liquides ou dans un souci d’économie. Cependant, sommes-nous réellement conscients de leur composition et des risques potentiels pour notre santé ?

Les bouteilles en plastique font partie intégrante de notre vie quotidienne, mais un simple sondage révélerait que nous sommes loin d’être pleinement conscients de leur composition et des risques potentiels pour notre santé. Ces emballages à usage unique peuvent libérer des contaminants chimiques, en particulier lorsque nous les réutilisons pour stocker divers liquides.

Le bisphénol A, par exemple, est un composé utilisé dans certains plastiques, susceptible de migrer en petites quantités dans les liquides, perturbant ainsi notre système hormonal. Il est donc capital d’informer les consommateurs sur les risques potentiels liés aux bouteilles en plastique. Une véritable stratégie nationale est nécessaire pour éliminer progressivement ces additifs toxiques et encourager la recherche et le développement d’alternatives plus sûres.

  • Le PET, un plastique largement recyclé, est utilisé pour fabriquer la plupart des bouteilles en plastique. Or, il apparaît que le PET recyclé contient des contaminants chimiques qui apparaissent durant le processus de recyclage et qui pourraient migrer dans les aliments en contact avec celui-ci. Un commentaire ?

Le PET recyclé peut contenir des contaminants résiduels de son utilisation précédente, ce qui pose des risques pour la santé. Pour s’assurer que le PET recyclé est sûr pour les applications alimentaires, il est impératif d’améliorer les processus de recyclage et de mettre en place des normes strictes.

Je tiens à vous rassurer qu’en Algérie, il est formellement interdit de recycler les bouteilles ou autres emballages en PET ou autres types de plastique pour des applications destinées à contenir des produits de consommation. La technologie «bottle to bottle», que j’ai mentionnée précédemment, reste réservée à certains pays économiquement très avancés, car cette technique demeure extrêmement coûteuse.

  • Selon vous, quels sont les matériaux à privilégier pour l’emballage agroalimentaire afin de limiter les risques sur la santé ?

Dans un contexte mondial où la gestion rationnelle des ressources devient impérative, le projet d’amendement de la loi 01-19 sur la gestion, le contrôle et l’élimination des déchets, actuellement débattu à l’Assemblée populaire nationale, représente une avancée stratégique majeure.

En introduisant des dispositions sur le «statut de sortie du déchet» et les «produits plastiques à usage unique», ce projet de loi vise à réorienter notre approche des matériaux d’emballage, notamment ceux composés partiellement ou entièrement de plastique. Historiquement, les emballages plastiques ont dominé le marché grâce à leur coût réduit par rapport à d’autres matériaux.

Cependant, l’impact écologique et sanitaire de cette consommation massive est aujourd’hui incontestable. Reconnaissant les défis posés par la pollution plastique, la communauté internationale s’est engagée dans l’élaboration d’un traité international juridiquement contraignant sur les plastiques, prévu pour fin 2024. Ce traité vise notamment à encadrer l’ensemble du cycle de vie des produits plastiques, de leur production à leur élimination.

Les nouvelles régulations encourageront les industries, notamment agroalimentaires, à adopter des matériaux alternatifs dits «nobles». Le verre et l’acier inoxydable se distinguent par leur inertie chimique, offrant une sécurité sanitaire sans compromis. Parallèlement, le papier, le carton et les emballages bio-sourcés émergent comme des alternatives écologiquement viables, répondant aux attentes des consommateurs de plus en plus sensibles aux enjeux environnementaux et sanitaires.

Ce tournant législatif national et international est une opportunité stratégique pour les entreprises de redéfinir leur modèle d’affaires en intégrant des solutions d’emballage saines. Ainsi, en renouant avec des pratiques ancestrales et en innovant vers des solutions modernes et respectueuses de l’environnement, nous posons les jalons d’une économie circulaire où la santé humaine et la préservation de notre écosystème sont au cœur des préoccupations publiques stratégiques. 

 

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