Journée nationale de la Casbah : Gros plan sur une cité qui agonise

24/02/2023 mis à jour: 11:15
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Entre ruines et restauration, le paysage est, par endroits, inhospitalier, pour ne pas dire repoussant, tant les décombres enlaidissent l’espace. L’ambiance bon enfant d’autrefois a laissé place à un paysage qui attriste. Le décor qu’offrent les murs décrépits, les passages dépavés, les ruelles obstruées par les décombres de certaines maisons ayant rendu l’âme, renseigne sur l’insouciance ou l’impuissance des locataires, conjuguée à l’apathie des pouvoirs publics, dont les programmes de sauvegarde de la Casbah mis en place depuis l’Indépendance n’ont pas réussi à sauver les biens immeubles, sinon très peu. Comment ne pas sentir ce pincement au cœur lorsque le regard balaie ces   étais destinés à préserver temporairement (un provisoire qui dure) des bâtisses brinquebalantes  que cela soit à Souk el Djemaa (Socgemah) ou  du côté de la rue de la Mer rouge ; lorsque nos mirettes défilent des douérate dont les murs laissent échapper la lumière que trahissent des lézardes menaçantes ; quand on chemine à travers des maisons menaçant ruine, au moment où d’autres viennent tout juste de rendre l’âme, engorgeant la rue des Frères Boudriès (ex-rue Thèbes) ou encore l’ex-rue Porte-neuve. Plus loin des éboulis de décombres engorgent en aval la rue Ahmed-Allem (ex-rue Médée). Plus de 150 entreprises  et une cinquantaine de BET qui, mobilisés au chevet de l’ancienne médina, dans le cadre du Plan permanent de sauvegarde et de mise en valeur des secteurs sauvegardés (voir décret exécutif 03-324), avaient fini par lever le pied sans venir au terme des travaux de restauration qui leur ont été confiés...

L'Unesco avait préconisé en 2018 la création d’une agence, dotée d'un «pouvoir de décision rapide» et regrouper toutes les disciplines en une «structure unique» afin que les opérations de réhabilitation ne soient plus «fragmentaires», mais inscrites dans un plan d'ensemble cohérent. Peine perdue, car la recommandation est restée au stade du vœu pieux, comme d’ailleurs les plans de restauration menés par le passé, depuis le fameux Comedor, jusqu’au Plan permanent de sauvegarde dont les opérations de restauration avaient commencé en 2006. Excepté la restauration de quelques palais comme Dar essouf, Dar el cadi, le palais Mustapha Pacha et quelques dizaines de douérate dont nombre d’entre elles ont été mal restaurées, voire tout juste confortées grâce à des travaux dits d’urgence (étaiement), le bâti traditionnel continue à pâtir, faute de ressources financières. Faut-il souligner aussi que les travaux au niveau du Palais Hassan Pacha sont menés à pas comptés, alors que l’opération restauration au niveau Dar el Hamra et du Palais Ahmed Bey (administration du TNA) est au… point mort.

Au mois de novembre 2021, plusieurs familles propriétaires ont été «invitées» à vider les lieux, comme la famille Kechkoul qui élit domicile à la rue Kheireddine Zenouda (ex-rue de la Grenade ou zanqat Bou’akacha), avant de voir leurs douérate carrément murées, alors que les travaux d’étaiement de ces dernières remontent à 2012. Autrement dit, dix ans après, aucune opération de restauration n’est intervenue. La direction de l’OGBEC, dont le siège est à Dar Aziza et l’administration de l’ANSS, prennent soin d’aviser les proprios de maisons traditionnelles ayant évacué les lieux que désormais, les travaux de réhabilitation ne se feront plus à la charge de l’Etat, mais «s’ils veulent retourner dans leurs demeures, ils doivent répondre à un cahier des charges leur signifiant d’assumer le coût de l’opération restauration»,  fait savoir un résident.  «Des dépenses qui ne sont pas, ajoute-t-il, à la portée de beaucoup d’héritiers de ces biens immeubles.»

Soulignons au passage que le défunt gouvernorat avait décidé à son époque de décentraliser toutes les opérations de restauration, au grand dam de l’ANAPSMH (Agence nationale d’archéologie et de protection des sites et monuments historiques), ce qui n’a pas été sans poser la question des prérogatives.

Un dédale sans âme

Le quidam qui poursuit sa virée est saisi par un pincement au cœur, en  arpentant des quartiers rasés comme le lieu-dit «Kouchent el khandak» ! Quelques ombres furtives y vaquent à leurs occupations, à travers un dédale où la morosité a réussi à supplanter l’atmosphère enchanteresse de jadis. Un groupe de touristes sillonne les venelles, volant au passage quelques clichés d’une architecture qui crie sa peine, au milieu de placettes tristes et sans âme que côtoient des monticules de gravats et d’ordures, bigornant une cité qu’on a de cesse de dire que sa mort est programmée... Et ce n’est pas mal à propos de reprendre l’interrogation de l’ex-président de la Fondation Casbah, Ali Mebtouche, dans un propos tragi-comique : «Est-il venu le temps d’accomplir la prière mortuaire sur La Casbah ? Une cité dont la restauration avait englouti, plus de 24 milliards de dinars, pour un piètre résultat, car le spectacle dans son ensemble est toujours aussi rebutant. Il y a lieu de souligner qu’une vingtaine de familles environ refusent d'abdiquer et prennent soin de leur douérate alors que d'autres propriétaires ont décampé, laissant le patrimoine aux mains de pensionnaires qui s'en foutent royalement de son entretien. Ce n’est pas faux aussi de dire que La Casbah est devenue une usine de production de vrais-faux sinistrés, un asile d’attente dans l'espoir  de «décrocher» un logement.

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