Jacques Fretey. Herpétologue : Créer un réseau d’observateurs le long des 1600 km de côte

21/04/2022 mis à jour: 23:01
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  • L’Union nationale pour la conservation de la nature a lancé un appel en direction des décideurs et gestionnaires pour la conservation des tortues marines de la Méditerranée. La situation des tortues marines méditerranéennes est-elle aussi préoccupante ?

La Méditerranée est une destination majeure de millions de touristes pendant la période estivale. Cette période correspond malheureusement avec la saison de nidification des tortues marines. 

Plusieurs plages de nidification en Méditerranée sont gravement menacées depuis plusieurs dizaines d’années par le développement touristique. Les installations touristiques de plage ont un impact direct car ce sont des obstacles mortels pour les femelles montant pondre. 

Les lumières artificielles d’arrière-plage des villas, hôtels, restaurants et dancings désorientent les femelles adultes et les nouveau-nés qui, au lieu d’aller vers la mer, sont attirées vers la terre où elles succombent à la déshydratation ou à la prédation par les chiens et les rats. 

L’extraction de sable pour la construction est aussi une menace anthropique non négligeable. Les captures accidentelles de tortues dans différents engins de pêche (chalut, palangre…) se produisent pratiquement dans tous les pays méditerranéens. 

Mais les principales causes de mortalité maintenant, ce sont certainement les collisions avec les bateaux, les pollutions par les hydrocarbures et l’ingestion de débris plastiques. Une attention particulière doit être accordée au plastique flottant et aux boules de goudron, que les tortues prennent souvent pour de la nourriture. 

Cela semble être un problème majeur pour les juvéniles pélagiques dans les zones de convergence où les débris flottants se concentrent.

  • Pour le cas de l’Algérie, avec ses 1600 km de côte, on sait peu de choses sur les sites de nidification des tortues qui seraient de nos jours complètement désertés alors que des écrits attestent leur existence jusqu’aux années 1980. Existe-t-il des moyens de réhabiliter ces zones ? 

Il me semble que la seule étude sérieuse sur les possibilités de nidification de la caouanne sur le littoral algérien fut celle de Luc Laurent sur 74 km de côte (soit 27%) en juillet-août 1989. 

A l’époque, prospectant à moto, il n’avait pas vu de traces de montées de femelles pour pondre, mais lors d’interviews de pêcheurs, des observations anciennes de nids lui avaient été rapportées. 

Premièrement, Luc Laurent pour sa prospection restreinte sur peu de temps s’était fié à la saison de ponte en Grèce, Turquie, Chypre, Israël et Libye. Or les pontes si elles existent en Algérie sont peut-être avant ou après juillet-août. 

Deuxièmement, on observe actuellement ce qu’on peut estimer être les premiers impacts du réchauffement climatique, avec une phénologie de reproduction des tortues marines modifiée et des caouannes qui reviennent pondre dans des zones désertées. 

Par exemple, sur les côtes méditerranéennes françaises, voici plusieurs années que des caouannes nidifient vers Fréjus. On observe aussi des tortues «aventurières» qui colonisent des plages. 

Impossible artificiellement de «réhabiliter des zones» et attirer les tortues. Mais maintenant que pratiquement tout le monde a un téléphone portable, il serait intéressant de créer un réseau d’observateurs (pêcheurs ?) tout au long des 1600 km de côte et que toute observation de montée de femelle sur une plage soit indiquée à une personne regroupant les données. 

Il se peut que les pontes soient sporadiques, et que même si un villageois observe des traces, personne « scientifiquement » ne le saura.

  • En 2018, à Dubaï, lors de la conférence des parties de la Convention de Ramsar relative aux zones humides, à laquelle l’Algérie est partie contractante, une résolution a été adoptée pour mettre en place des aires protégées pour les tortues. Deux sites Ramsar algériens sont côtiers, le lac Mellah à El Kala et le lac de Beni Bélaïd à Jijel. Que peut-on y faire concrètement ? 

Là encore, il faudrait des observateurs locaux qui puissent surveiller la présence de tortues, y compris en mer. Les plages de ponte ne sont pas seules à être importantes. Il se peut que sur la côte marine de ces 2 lacs existent des habitats de croissance, d’alimentation, de nettoyage, d’hivernage… tout aussi importants à conserver. 

De manière globale, il faudrait créer d’autres aires marines protégées après avoir fait un inventaire le plus exhaustif possible de la diversité biologique le long du littoral de l’Algérie. 

Il y a encore actuellement trop de lacunes dans les connaissances pour mettre en œuvre une conservation efficace. 

Il est donc nécessaire de rapidement améliorer les connaissances tant sur les tortues marines que sur les oiseaux littoraux.

Propos recueillis par  Slim Sadki

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