La récente inscription du costume féminin traditionnel du Grand est de l’Algérie, avec ses pièces emblématiques telles que la gandoura et la melehfa, sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’Unesco a été l’occasion d’une grande célébration dans la wilaya de Constantine, mais aussi à travers tout le pays.
A cet égard, le Musée public national des arts et des expressions culturelles traditionnelles de Constantine, Palais de Hadj Ahmed Bey, a ouvert ses portes du 5 au 12 janvier pour accueillir cette cérémonie tout au long de la semaine.
L’événement a été inauguré en présence des autorités locales, qui ont été conviées à une «gaâda constantinoise», une manifestation traditionnelle marquée par des femmes vêtues de costumes typiques. Un riche programme d’activités a été mis en place, incluant un défilé de mode, une exposition de différentes tenues parmi lesquelles figurent dix variantes de la melehfa et 27 pièces de gandoura et de caftan, certaines datant de plusieurs siècles.
Ces costumes, portés principalement lors des grandes occasions, comme les mariages ou les célébrations religieuses et nationales, témoignent de l’authenticité d’un patrimoine culturel vivant. Cet événement ne s’est pas limité à une simple célébration folklorique, mais s’est affirmé comme un manifeste en faveur de la préservation de notre histoire et de notre patrimoine profondément enracinés.
Selon Meriem Guebaïlia, directrice du musée et membre de la commission d’inscription du dossier, cette inscription représente avant tout un savoir-faire ancestral lié au costume traditionnel et aux techniques de broderie. Elle a tenu à souligner la différence fondamentale entre «la pratique» et «la bonne pratique» de ce patrimoine. Elle a pris pour exemple le yoga, inscrit au patrimoine mondial au nom de l’Inde pour expliquer que bien que ce savoir-faire soit pratiqué dans d’autres pays, comme la Chine, mais il n’en demeure pas moins d’origine indienne.
L’Algérie, qui a été l’un des premiers pays à signer la Convention de 2003 de l’Unesco sur le patrimoine culturel immatériel, a activement contribué à son enrichissement. Meriem Guebaïlia s’est ainsi référée à l’article 2 de cette convention qui stipule que ce patrimoine «est recréé en permanence par les communautés et groupes en fonction de leur milieu, de leur interaction avec la nature et de leur histoire et leur procure un sentiment d’identité et de continuité, contribuant ainsi à promouvoir le respect de la diversité culturelle et la créativité humaine».
C’est pourquoi, elle a insisté sur l’importance de maintenir une «bonne pratique», un héritage transmis de génération en génération et incarné, en Algérie, par plus de vingt générations, de père en fils. Elle a également rappelé que le costume traditionnel algérien, notamment le caftan et la gandoura, existait bien avant l’ère ottomane, et qu’il demeure un élément indissociable de l’identité de Constantine, ville millénaire, symbole de rayonnement culturel et de citadinité.
Un savoir-faire exceptionnel
Durant la cérémonie d’ouverture, un film retraçant l’histoire de ce patrimoine a été projeté, mettant en lumière le savoir-faire exceptionnel dans la confection des costumes et des bijoux, et présentant les témoignages des artisans et des communautés ayant contribué à l’élaboration du dossier d’inscription. Plus de trente personnes et associations de Batna, Annaba et Constantine ont pris part à ce projet.
L’exposition a permis d’admirer une variété de costumes, dont la melehfa, le caftan et la gandoura, confectionnés en satin ou en velours et brodés de motifs floraux et animaliers, réalisés grâce à des techniques comme le fil d’or et le perlage. L’événement a également été l’occasion de mettre en lumière les compétences liées à la fabrication et au port de ces tenues traditionnelles. Mme Guebaïlia soutient que cette inscription n’aurait pu être réalisée sans l’existence préalable d’une banque nationale des données, méticuleusement analysées et évaluées par des anthropologues et chercheurs du CNRPAH.
Elle évoque en particulier le Musée national du Bardo, où est conservé un caftan du XVIe siècle, accompagné de son numéro d’inventaire et acquis par le biais d’une famille. Elle mentionne également le Musée des antiquités, détenteur du fameux caftan du qadi. En outre, certains musées internationaux conservent également des tenues traditionnelles algériennes. «A titre d’exemple, l’impératrice Sissi possède une collection de douze caftans offerts par l’Algérie ; la dernière pièce, reçue en 1880, provient de Constantine et se compose de trois gandouras ornées de fil d’or. L’impératrice, icône de beauté et d’élégance, ne s’adonnait à aucun choix vestimentaire anodin, ce qui témoigne de la valeur incontestée de ces vêtements.
Ces pièces sont conservées dans l’un des palais de Vienne». Elle évoque aussi le caftan algérien des années 1700, offert par Ali Pacha Dey d’Alger à l’occasion de la signature d’une convention de paix entre l’Algérie et la Suède à l’époque. Ce précieux objet est aujourd’hui préservé à Stockholm. Enfin, elle n’oublie pas de mentionner le caftan brocardé de Lalla Zineb, actuellement conservé à Damas. «Tous ces éléments ont été intégrés dans la mise à jour du dossier, qui sera également soumis à l’Unesco», conclut la directrice du musée, soulignant l’importance de cette contribution à la préservation du patrimoine culturel. L’un des moments forts de cet événement a été la révélation d’une nouvelle publication : un livre consacré à la melehfa à travers l’Algérie et ses différentes manières de la porter.
Ce livre, rédigé en deux langues, est le fruit de deux années de recherche minutieuse menées par l’équipe du musée, sous la direction de Mme Guebaïlia. Il s’appuie sur des archives historiques à l’instar d’un acte de mariage établi en 1700 dans lequel est mentionné la melehfa, des documents photographiques et des thèses de doctorat, et met en lumière l’influence des différentes civilisations, telles que les Numides, les Romains et d’autres, sur l’évolution de ce costume.
A travers cette publication et l’ensemble des activités organisées, cet événement a permis de rappeler la profondeur et la richesse de notre histoire culturelle, et de démontrer l’importance de préserver et de transmettre ces savoirs et savoir-faire ancestraux aux générations futures.
Constantine
De notre bureau Yousra Salem