«La décision a été rendue au terme d’un procès équitable, à la suite d’un débat contradictoire qui a duré deux mois, une instruction qui a duré des années» et «conformément à la loi, en application de textes votés par la représentation nationale», a dit le procureur général près la Cour de cassation Rémy Heitz.
L’inéligibilité de la figure d’extrême droite française Marine Le Pen, qui pourrait empêcher sa participation à la présidentielle de 2027, provoque de nombreux remous dans le monde judiciaire et politique français, scrutés de très près à l’international.
La justice française, qui l’a condamnée lundi à cinq ans d’inéligibilité et quatre ans de prison, dont deux ferme aménagés sous bracelet pour détournement de fonds publics au Parlement européen, a envisagé mardi un procès en appel rapide. Ce qui pourrait encore laisser à Mme Le Pen une possibilité de se présenter à la prochaine présidentielle.
En cas de détournement de fonds (4,1 millions d’euros dans cette affaire), la loi française prévoit des peines d’inéligibilité automatique. Il est toutefois plus rare qu’elles soient prononcées avec exécution immédiate, avant un jugement définitif. Le tribunal a expliqué cette décision par «le trouble majeur à l’ordre public» que constituerait une candidate à l’élection de 2027 «condamnée en première instance».
Le parti d’extrême droite a aussitôt dénoncé en retour la «tyrannie des juges». «L’ingérence des magistrats dans l’élection présidentielle, voilà le trouble à l’ordre public (...) Ne vous laissez pas intimider», a lancé mardi Marine Le Pen, accusant le «système» d’avoir «sorti la bombe nucléaire (...) parce que nous sommes sur le point de gagner des élections». Ces virulentes critiques ont poussé l’un des deux plus hauts magistrats de France, le procureur général près la Cour de cassation Rémy Heitz, à dénoncer des propos «inacceptables» et à défendre une justice qui «n’est pas politique».
«La décision a été rendue au terme d’un procès équitable, à la suite d’un débat contradictoire qui a duré deux mois, une instruction qui a duré des années» et «conformément à la loi, en application de textes votés par la représentation nationale», a-t-il dit.
Pas question toutefois pour Marine Le Pen, aujourd’hui âgée de 56 ans, de «se laisser éliminer» de la course à la présidentielle ni de passer le relais au jeune et ambitieux président du Rassemblement National (RN) Jordan Bardella, régulièrement cité comme probable dauphin. «Pour l’instant, on ne passe pas à autre chose», a martelé celui-ci, promettant d’«utiliser toutes les voies de recours».
Largement en tête du premier tour du prochain scrutin présidentiel selon de récents sondages, Marine Le Pen va «continuer d’occuper un rôle de tout premier plan. Et nous allons continuer à deux, en binôme, main dans la main, à avancer dans l’intérêt du pays».
Mme Le Pen a déjà annoncé son intention de faire appel et réclamé un deuxième procès rapide qui laisserait une fenêtre de tir étroite avant la présidentielle. Celui-ci ne devrait pas se tenir, au minimum, avant un an, avec une décision plusieurs semaines plus tard.
Mardi, la cour d’appel de Paris a à cet égard dit avoir été saisie de «trois appels» après la condamnation de Marine Le Pen et qu’elle examinerait le dossier «dans des délais qui devraient permettre de rendre une décision à l’été 2026», soit plusieurs mois avant la présidentielle. Pour Rémy Heitz, les dates seront «probablement assez vite» connues. Mais rien ne garantit que la cour d’appel rendra une décision différente du tribunal en première instance.
lA Classe politique partagée
Cette inéligibilité divise la classe politique française sur la question de la séparation des pouvoirs et de l’indépendance de la justice. «Il n’est pas sain que, dans une démocratie, une élue soit interdite de se présenter à une élection», a jugé un cadre du parti de droite Les Républicains (LR), un autre émettant des doutes sur «l’impartialité de la justice».
A l’inverse, le bloc central et la gauche considèrent que les juges n’ont fait qu’appliquer la loi et qu’«il n’appartient pas aux élus de remettre en cause des décisions de justice». Les rappels à l’ordre ont fusé lorsque le Premier ministre François Bayrou - lui-même relaxé en première instance dans une affaire similaire - a confié à son entourage qu’il était «troublé» par cette décision. «Quand on a la charge des affaires de l’Etat, la charge de la défense de la République, on ne peut pas être troublé par une décision de justice !», s’est agacé le patron du Parti socialiste, Olivier Faure.
Du milliardaire Elon Musk fustigeant un «abus du système judiciaire» à l’ex-président brésilien d’extrême droite Jair Bolsonaro évoquant une «persécution», de nombreux représentants de l’internationale populiste et réactionnaire ont vivement réagi depuis lundi. Le Kremlin a déploré une «violation des normes démocratiques».
Et les dirigeants d’extrême droite européens ont unanimement crié à l’injustice. «Je suis Marine !», a lancé sur X son allié hongrois Viktor Orban, quand la Première ministre italienne Giorgia Meloni a déploré un verdict «privant des millions de citoyens de représentation» et le patron de l’extrême droite néerlandaise Geert Wilders un jugement «incroyablement sévère».
M. Bardella a, quant à lui, comparé «le climat» en France à la situation en Roumanie, où un candidat d’extrême droite a été privé d’une victoire potentielle par l’annulation de la présidentielle fin 2024, en raison de suspicions d’ingérences russes.