Le personnage «Echaytane», campé par Imad Brahmi, est rendu presque sympathique, mais en tout cas clownesque dans un accoutrement indéfinissable aux allures d’épouvantail ne faisant même pas peur aux enfants.
Pari gagné pour Tayeb Ramdane de la coopérative théâtrale Enoudjoum (les stars) qui a réussi à monter le projet de sa nouvelle pièce qui a été jouée cinq fois à partir du 9 janvier. Le travail s’intitule finalement Cauchemar y compris dans sa graphie arabe au lieu de Djanat Echaytane (le paradis de Satan) retenu auparavant, notamment durant les différentes lectures dramatiques organisées au cours de l’année 2023.
Un titre ironique dans les deux cas, car si dans le second, on peut deviner qu’au final c’est un enfer qui est promis, dans le premier, c’est le registre de la comédie dans lequel s’inscrit le travail qui rend le titre paradoxal. C’est justement cette part d’hésitation qui caractérise cette œuvre inspirée de la légende faustienne d’abord popularisée par le dramaturge allemand Goeth avant que la thématique ne soit reprise et réinterprétée dans différentes cultures.
La version «ramdanienne» tient compte des préoccupations actuelles mais aussi des caractéristiques culturelles de la société où on évolue, et c’est cette confrontation entre le réel vraisemblable et l’imaginaire culturellement acceptable qui donne lieu à des situations cocasses, plaisantes et parfois hilarantes.
Cette œuvre théâtrale est sans prétention, et on peut également, d’une certaine façon, déplorer, même si c’est rare, l’introduction de certains clichés qui ont la peau dure comme cette assertion selon laquelle «Echaytane», cette version soft de la traduction du mot satan, plus connotée, reste désarmé et perdant des pouvoirs devant la femme.
La scène y afférente fait rire certains, mais fait grincer les dents d’autres. Néanmoins, et c’est le propre de la comédie d’élargir le cercle de la tolérance. Dans sa construction globale, on remarque plutôt un déséquilibre entre l’intention et la concrétisation sur scène du rôle de ce satan que l’auteur de l’adaptation a voulu qu’il soit source de désordre social.
«Vendre son âme…»
La séquence relative à cet aspect des choses est minimisée dans la mise en scène, se contentant de quelques moments de bruitages, de jeux de lumières et de brefs récits presque inaudibles pour raconter un ensemble de déconvenue n’épargnant ni les jeunes ni les moins jeunes.
Le personnage «Echaytane», campé par Imad Brahmi, est rendu presque sympathique mais en tout cas clownesque dans un accoutrement indéfinissable aux allures d’épouvantail ne faisant même pas peur aux enfants. L’intrigue est focalisée sur la situation d’un écrivain public «ktatbi», (Hmida, rôle campé par Ahmed Laouni) vivant avec sa femme, Daouiya (rôle confiée à Houria Zaouche) dans une cave et rêve d’écrire l’œuvre de sa vie pour atteindre la gloire, alors que son épouse, plus réaliste, ne pense qu’au moment où leur tour viendra pour bénéficier d’un logement plus décent. Il y a certes des moments de critiques, à l’exemple de cette séquence ironique sur la langue de bois mais en général, l’auteur de la pièce ne va pas au bout des choses.
On sait que l’écrivain est prêt à tous les sacrifices sauf (et il est beaucoup question dans le récit) à celui de «vendre son âme… au diable», mais dans ce cas, pourquoi ne pas aller directement au cauchemar et épargner au public l’introduction d’un personnage qui n’est finalement là que pour le décor, ou du moins pour meubler la relation du couple ?
Il faut par contre saluer la prestation des comédiens mais surtout Houria Zaouche dont la justesse de jeu ne cesse de s’affiner. Elle n’en fait ni trop ni pas assez et son aisance dans l’interprétation de la diversité de rôles qu’on lui confie est remarquable.
Elle le confirme dans ce rôle de femme au foyer gardant la tête sur les épaules face à un conjoint rêveur, même si juste à doses homéopathiques, mais qui peine à aller au-delà de ce qui est moralement permis y compris dans son cauchemar.