Tayeb Ramdane. Comédien et metteur en scène de théâtre : «Le théâtre, c’est avant tout de la pratique…»

26/01/2025 mis à jour: 06:51
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A la tête de la coopérative théâtrale Ennoudjoum, vous venez de terminer une tournée avec sa dernière pièce Cauchemar qui a été jouée cinq fois entre le 9 et le 22 janvier, d’abord à Oran, ensuite à Mostaganem et Aïn Témouchent. Parlez-nous de votre longue expérience…


J’ai rejoint le théâtre d’Oran en 1971 la première pièce dans laquelle j’ai joué était intitulée Eddi walla Khelli mise en scène par Nouredine Boukhatem (il était maire d’Oran jusqu’aux dernières élections locales, ndlr) d’après un texte de Hadjouti Boualem. Juste après cela, en 1972, Abdelkader Alloula a rejoint le TRO, et j’ai participé à la majorité de ses travaux : El Khobza, El Mentouj, El Meida, Hammam rabbi, etc. J’ai donc joué avec Sirat Boumediene, Haimour, Belkaid, Adar, bref, toute la troupe du TRO. En 1976, Ould Abderrahmane Kaki est venu à Oran et j’ai également joué dans la majorité de ses travaux, notamment sa pièce maîtresse El Guerrab ouassalhine. Durant la période où j’étais comédien au TRO, nous avons participé à des festivals nationaux et internationaux, en Tunisie en Libye, en Syrie ou alors en Egypte, où par exemple, en 1989, nous avons eu le prix du meilleur spectacle avec Maaroud lahoua, la pièce de Mohamed Bekhti. J’ai également participé à pas mal de travaux télévisuels, et j’ai eu l’occasion de jouer dans le film L’épopée de Cheikh Bouamama de Benamer Bekhti dans  le rôle du secrétaire du personnage principal. Cette expérience était intéressante car nous sommes restés une année à Ain Sefra pour les besoins du tournage. J’ai joué avec Azzedine Medjoubi mais aussi avec d’autres réalisateurs et comédiens, notamment de la télévision comme Abdelghani Mehdaoui, Mohamed Hazourli ou alors l’acteur Madani Naamoun,  Mohamed Kechroud et Sid Ahed Agoumi. En 1989, avec Adar, toujours au TRO, nous avons réalisé la pièce Le Général, d’après un texte libanais. Plus tard, nous avons créé ensemble la coopérative Mesrah el madina avec laquelle nous avons réalisé Hamma L’cordonier, d’après un texte de Azzedine Mihoubi (qui a été bien après ministre de la Culture). C’est avec ce spectacle-là que nous avons été en Arabie Saoudite dans le cadre d’une semaine culturelle et notre travail a reçu un grand écho. 


Vous travaillez toujours ensemble ? 

Non, notre collaboration a pris fin lorsque j’ai créé ma propre coopérative Ennoudjoum et Adar la sienne. J’ai, en tout, dans ce cadre-là monté cinq projets en écriture et en mise en scène, généralement des adaptations, à l’exception de celle intitulée El Maktoub. La dernière pièce Cauchemar est inspirée d’un texte de Tewfik el Hakim qui, lui-même, s’est inspirée de la légende faustienne. A son époque, l’écrivain égyptien s’est intéressé à la réalité des années 1950 avec l’accession au pouvoir de Djamel Abdennasser, ses réformes et ses chantiers de développement, et moi j’ai voulu inscrire cette œuvre dans la réalité d’aujourd’hui avec notamment la crise du logement, occupation des caves et terrasses des immeubles, le vieux bâti, etc. Un écrivain public qui rédige les doléances des autres mais qui vit lui-même dans des conditions précaires…..


Au départ, la pièce devait s’intituler Djannat echaytane (paradis du diable). Pourquoi ce changement de titre ? Est-ce pour éviter de mauvaises interprétations ? 

De toute façon, c’était ironique de parler de paradis du diable. On peut voir les choses de cette manière. J’ai eu l’idée et j’ai effectivement pensé que le mot « cauchemar » passerait mieux aux yeux du public. Il y a du vrai dans la mesure où je me suis dit que c’est mieux dans le contexte culturel actuel.


Mais tu voulais aussi montrer les dégâts causés dans la société lorsque le mal interfère dans la vie des gens, mais cet aspect est passé presque inaperçu. Pour quelle raison ? 

C’est une affaire de moyens. Je voulais réellement allonger cette séquence avec de la projection vidéo, des effets stroboscopiques pour approfondir cette détresse mais les équipements manquent et même les théâtres d’Etat n’en ont pas. J’avais aussi, dans le cadre de ces maux sociaux, imaginé d’inclure, parmi les voix off, les péripéties d’un jeune harrag, mais le studio d’enregistrement n’a pas voulu. Il avait peur que cela soit mal interprété. Mais, disons que c’est du théâtre, que c’est ma responsabilité et que nous n’encourageons pas l’émigration clandestine ne l’ont pas convaincu. Une autocensure par ignorance du travail théâtral. J’ai donc dû changer de version quitte à ce que cela paraisse un peu dépassé. 


Tu as demandé et tu as eu une subvention pour ce projet. Les moyens octroyés ne sont-ils pas suffisants ? 


Beaucoup de monde demande des subventions, mais j’estime qu’il faut assainir ce secteur-là des coopératives théâtrales pour ne laisser que ceux qui ont un vrai background dans le métier. Nous sommes toujours régis en tant qu’association culturelle. Ce n’est pas normal car il y a des gens qui ne veulent faire que ça, c'est-à-dire du théâtre. La subvention prévoit cinq représentations, la générale incluse mais après cela, c’est à toi de te débrouiller. C’est dommage que tout un travail sombre dans l’oubli car il ne trouve personne pour le distribuer alors qu’il est intéressant de le faire tourner au moins dans les différentes régions du pays. Nous dépensons des sommes faramineuses pour le football alors qu’une partie infime pourrait servir à programmer des pièces pour faire profiter les publics un peu partout. Je me retrouve à faire l’auteur, le metteur en scène mais aussi le régisseur et l’administrateur, etc. Ces postes de travail je peux les créer mais comment payer les gens sans tournées ? C’est par ailleurs ce qui limite le nombre de comédiens sur scène. Moi j’ai fait appel à trois comédiens et leurs cachets me coûtent de l’argent. 


Les comédiens ont-ils été choisis sur la base d’un casting ? 

Oui, je suis passé par le casting, et au départ, j’avais des noms en tête, mais ils étaient difficiles à recruter à cause de leurs programmes, mais aussi pour le fait que, aujourd’hui, beaucoup préfèrent la télévision. Deux des interprètes de la pièce sont issus du théâtre pour enfants, et la comédienne qui interprète le rôle féminin a plus d’expérience pour avoir baigné étant jeune dans le milieu artistique et pour avoir acquis de l’expérience à l’époque où elle était avec nous dans Mesrah el madina.


Comment s’est opéré le passage à la mise en scène ? 

Ma formation a toujours été faite sur le terrain. J’ai, pour les avoir fréquentés et voyagé avec eux un peu partout en Algérie et à l’étranger, vu travailler Kaki, Alloula, Mustpha Kateb et c’est comme ça que j’ai acquis cette expérience, presque de manière instinctive, mais aussi avec l’observation, la connaissance de la réalité du travail théâtral en plus du don qui ne suffit pas car il faut beaucoup de travail.

 Le théâtre c’est avant tout de la pratique et  c’est pour cela qu’on survit malgré le manque de moyens. Mais on apprend aussi en ayant eu l’occasion et la chance de visiter des pays qui ont une longue une tradition dans le domaine. Peu importe si on adapte, car l’essentiel c’est le rendu final et sa pertinence pour une société donnée. En un mot, il faut être du métier. 

 

Propos recueillis par  Djamel Benachour

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