L'écrivain franco-algérien Kamel Daoud, lauréat du prix Goncourt 2024 pour son roman Houris, fait face à une procédure judiciaire en France.
L'Algérienne Saâda Arbane l'accuse d'avoir utilisé son histoire personnelle sans son consentement pour façonner l’un des personnages centraux de son roman. Une plainte pour atteinte à la vie privée a été déposée, soulevant un débat brûlant sur les limites entre fiction et réalité. Faisant déjà l’objet d’une procédure en Algérie, Kamel Daoud a été officiellement assigné en France le jeudi 13 février 2025. Selon une enquête de Mediapart, cette assignation fait suite aux accusations de Saâda Arbane, qui affirme que l’auteur s’est librement inspiré de sa vie pour créer le personnage d’Aube dans Houris.
L’affaire prend une nouvelle tournure avec les informations révélées par l’AFP : La plainte déposée devant la justice française s’accompagne d’une demande de 200 000 euros de dommages et intérêts. Une première audience est prévue le 7 mai 2025.
Me Lily Ravon et Me William Bourdon, avocats de Saâda Arbane, dénoncent un «abus de confiance», un «pillage» et une «violation très grave de l’intimité». De son côté, la plaignante rejette catégoriquement l’idée d’une instrumentalisation par le pouvoir algérien, une hypothèse avancée par Kamel Daoud dans sa réponse publique à la polémique.
Les griefs de madame Arbane
Sollicités par Mediapart, Kamel Daoud, sa femme Aïcha Dehdouh et les éditions Gallimard n'ont pas donné suite aux demandes de commentaires. Les avocats de Mme Arbane insistent sur le fait qu’une ressemblance fortuite entre la plaignante et le personnage du roman est «totalement impensable».
Survivante d’une attaque terroriste en 1993 en Algérie, Saâda Arbane assure s’être immédiatement reconnue dans le personnage d’Aube. «Ma cicatrice. Ma canule. Les conflits avec ma mère. L’opération que je devais subir en France, la pension que je reçois en tant que victime du terrorisme islamiste...», énumère-t-elle, affirmant que tous ces éléments se retrouvent dans Houris.
Un élément central du dossier concerne le lien entre l’auteur et la plaignante. Selon Saâda Arbane, Kamel Daoud aurait eu accès à ses éléments biographiques par l’intermédiaire de son épouse, Aïcha Dehdouh, qui fut sa psychiatre entre 2015 et 2023. Les avocats de Mme Arbane évoquent une «violation du secret médical» et un «abus de confiance», soulignant que leur cliente a exprimé à plusieurs reprises son refus à ce que son histoire soit utilisée.
Me William Bourdon et Me Lily Ravon qualifient cette procédure d'«absolument exceptionnelle» dans l’histoire judiciaire des atteintes à la vie privée sous couvert de fiction.
De son côté, Kamel Daoud nie fermement toute inspiration directe et parle d’un «procès médiatique». Son éditeur, Gallimard, également assigné, dénonce de «violentes campagnes diffamatoires».
Les documents judiciaires consultés par Mediapart révèlent plusieurs indices troublants. Un détail en particulier vient renforcer les soupçons : le manuscrit original du roman portait le titre Joie, traduction possible du prénom Saâda en arabe dialectal.
De plus, une dédicace énigmatique y figurait : «A une femme extraordinaire, la véritable héroïne de cette histoire.» En novembre dernier, Mme Arbane déclarait à «One TV» qu’elle s’est sentie «dépossédée de son histoire, de sa vie, contre son gré. Aujourd’hui, elle souhaite que justice soit faite et espère obtenir réparation pour ce qu’elle qualifie de «trahison».
L’audience du 7 mai sera décisive pour la suite de cette affaire qui ébranle aussi bien le monde littéraire que celui judiciaire.