Dans l’entretien accordé à El Watan, le SG du HCA affirme que le bilan de l’enseignement de tamazight reste «globalement positif». «Il y a des avancées remarquables. L’Algérie a consenti des efforts louables en faveur du développement de la langue amazighe et de sa réhabilitation...», se réjouit-il. Il reconnaît néanmoins que «beaucoup reste à faire et à parfaire». A cet effet, un mémorandum portant formulation d’un cadrage stratégique (2021-2038) relatif à la généralisation de l’enseignement de tamazight dans le système éducatif et de formation a été transmis au président de la République.
- Vous avez annoncé la tenue prochaine des assises nationales de l’enseignement de tamazight. Quels sont les objectifs qui lui seront assignés ?
Le moment est venu pour identifier les insuffisances qui ont marqué l’enseignement-apprentissage de tamazight dans sa phase expérimentale, et son évolution vers un enseignement normalisé, d’autant plus que nous sommes à la fin de la deuxième décennie de son introduction à l’école.
La proposition d’organiser les assises nationales reste une des clés institutionnelles que nous proposons justement pour la levée des verrous entravant le bon déroulement de cet enseignement-apprentissage de tamazight à travers le territoire national. Il est important aujourd’hui de développer cette approche institutionnelle globale, adossée à une stratégie collective, concertée et partagée, à même de penser la place et les fonctions de tamazight dans le cadre de la nouvelle politique linguistique et éducative du pays, générée par les dispositions de la Constitution (2020).
Nous misons sur une rencontre, d’ici à la fin de l’année, largement pensée, conçue et élaborée dans le sens d’une approche nationale, progressive, moderne et intégrée, qui pose la généralisation de l’enseignement-apprentissage de tamazight dans une démarche de politique publique d’éducation et de formation à placer sous le haut patronage de monsieur le président de la République.
Lors de ce rendez-vous, nous débattrons sereinement des grandes lignes d’une vision prospective, avec une détermination des objectifs des secteurs concernés à l’horizon 2038, définis et chiffrés sur la base des analyses effectuées, en sériant les options stratégiques pour atteindre les objectifs pédagogiques visés, notamment en matière de conception des outils pédagogiques et du matériel didactique, en direction de deux types de publics scolarisés : le public amazighophone et celui non amazighophone.
- Votre institution a réagi en août 2021 à une circulaire du ministère de l’Education nationale (MEN) sur l’enseignement de tamazight dans les trois paliers. Vous avez qualifié le contenu de ce document d’«ambigu». Malgré la réponse de la tutelle, les blocages soulevés par votre correspondance persistent à ce jour. Pourquoi, selon vous ?
La vigilance institutionnelle est toujours de mise, notamment lors du signalement d’un quelconque manquement ou dysfonctionnement, de surcroît quand cette question touche à des aspects aussi fondamentaux que les attributs linguistiques relevant du registre constitutionnel.
Nous le réitérons encore aujourd’hui pour confirmer que toutes dispositions réglementaires nécessaires à prendre doivent être en harmonie, en adéquation avec la Constitution. C’est cela la traduction réelle de la volonté de l’Etat en faveur de la promotion de tamazight. Malheureusement, dans la pratique et sur le terrain, nous constatons un certain paradoxe, lié au statut scolaire de la langue amazighe dans le système éducatif. L’exemple frappant est cette fameuse circulaire-cadre d’une rentrée scolaire 2021-2022 qui a suscité des interrogations parmi le corps enseignant et les inspecteurs de tamazight, en raison, justement, des ambiguïtés qu’elle comporte, notamment dans son axe relatif à l’organisation exceptionnelle de la scolarité des trois paliers pour la nouvelle année scolaire.
Bien entendu, nous sommes intervenus à temps pour relever que cette circulaire ministérielle a omis le volet politique et légal auquel les auteurs d’un tel document doivent se référer. Il y a un écueil réel car, déjà en temps ordinaire, l’enseignement de tamazight est touché par un emploi du temps inconvenant, démotivant, voire discriminant.
Maintenant, si vous me confirmez que la situation de blocage persiste, la question est alors à poser au ministre de l’Education nationale. Celui-ci, à maintes reprises, fait des déclarations en rassurant que ses instructions sont respectées en matière de clarification des finalités du système national d’éducation et des dispositions complémentaires relatives à la mise en place d’emplois du temps en adéquation avec l’organisation exceptionnelle dans les trois paliers.
- Qu’en est-il du cadre de concertation qu’est la commission mixte MEN-HCA, qui ne s’est plus réunie depuis 2015 ?
Ladite commission mixte ne s’est plus réunie depuis le 8 juillet 2015, malgré nos multiples lettres de rappel. A notre humble avis, il est urgent de revenir au cadre de la commission mixte et se rappeler que le HCA a été l’accompagnateur et le partenaire privilégié du MEN depuis l’introduction de tamazight à l’école en 1995.
Seule une action globale menée sereinement et conjointement par des groupes de travail du MEN, du HCA et des spécialistes pourrait aboutir à des résultats concluants. Nous ciblons, notamment, le règlement des questions essentielles, telles que la normalisation de la langue, la fragilité de l’enseignement induit par le caractère facultatif de son introduction, sous forme d’expérimentation à l’école dans les années 1990, la précarité du statut de la langue en tant que discipline scolaire, l’insuffisance de matériaux didactiques, de l’encadrement encore peu formé pour prendre en charge la diversité des situations linguistiques de la langue amazighe, etc.
Il est donc tout à fait clair qu’il faut travailler en synergie pour la prise en charge effective des aspects pédagogiques et administratifs qui entravent le bon déroulement de l’enseignement de tamazight à travers le territoire national et, par conséquent, entamer l’évaluation objective de ce dossier dans sa globalité.
- La généralisation de l’enseignement de tamazight par la promotion de ses variantes connaît plusieurs obstacles. Quel bilan faites-vous de cet enseignement, 27 ans après son lancement ?
Globalement, on peut dire que le bilan est positif. Il y a des avancées remarquables. L’Algérie a consenti des efforts louables en faveur du développement de la langue amazighe et de sa réhabilitation. C’est dire aussi qu’il y a eu une accumulation visible depuis 1995. Le nombre total des enseignants s’est établi à 3250 en 2020-2021, contre 223 en 1995/1996. La même tendance positive est observée partout, surtout dans le cycle primaire.
Ajoutons à cela l’implication, certes lente mais soutenue, des populations locutrices des différentes varaiantes de tamazight, qui sont observables sur la même période et sur tout le territoire national (Kabylie, Ahaggar, M’zab, Aurès, Chenoua, Saoura…), d’où une carte de formation universitaire spécialisée amazighe (départements à Alger, Tizi Ouzou, Bouira, Béjaïa, Batna, Tamanrasset et prochainement Chlef) en fonction de l’implantation de la langue.
En dépit des efforts consentis par l’Etat et l’importante expérience capitalisée durant un quart de siècle de son enseignement, beaucoup reste à faire et à parfaire du fait des préoccupations majeures posées concernant le dysfonctionnement constaté dans la continuité/discontinuité de l’enseignement au niveau intercyclique (passage cycle primaire/moyen ; cycle moyen/secondaire). Le tout adossé à des préalables fondamentaux, comme une politique linguistique qui détermine de façon claire le statut de la langue et sa place dans l’école algérienne, avec la consécration de son enseignement obligatoire et le lancement résolu, effectif et appuyé sur les moyens appropriés de l’Académie algérienne de la langue amazighe, une fois devenue opérationnelle avec un aréopage de scientifiques, toutes spécialités confondues.
- Les blocages sont liés, comme vous le précisez souvent, à l’«inadaptation» des textes (loi d’orientation sur l’éducation nationale de janvier 2008) et à la non-conformité des pratiques aux dispositions de la Constitution et aux décisions prises par les pouvoirs publics. Mais les obstacles sont-ils uniquement administratifs ?
Sur le plan politique, le caractère facultatif contenu dans la loi d’orientation de l’éducation 08-04 du 23 janvier 2008 est en totale inadéquation avec le caractère officiel de tamazight, consacré dans la Constitution (2020).
Il est temps de débattre des aspects pédagogiques, administratifs et surtout des problèmes de fond d’ordre institutionnel, considérant que le problème politique est réglé (préambule et articles 4 et 223 de la Constitution), suivant une approche fondée sur les données juridiques et projections statistiques en mesure de consolider qualitativement et quantitativement cet enseignement à travers tout le territoire national. Au HCA, nous travaillons continuellement sur les voies et moyens de consolider les avancées de tamazight et approcher son enseignement de façon rationnelle, sans précipitation, sans improvisation et sans surenchère de quelque nature qu’elle soit.
- Justement, vous avez annoncé l’envoi au président de la République d’un mémorandum portant formulation d’un cadrage stratégique (2021-2038) relatif à la généralisation de l’enseignement de tamazight dans le système éducatif et de formation. Qu’en est-il ?
Effectivement, le HCA a transmis au président de la République un mémorandum portant la formulation d’un cadrage stratégique (2021-2038) relatif à la généralisation de l’enseignement-apprentissage de la langue amazighe dans le système éducatif et de formation. C’est dans les dispositions du décret présidentiel 95-147 du 27 mai 1995, portant création du HCA, notamment son article 6, que nous puisons les ancrages de notre démarche.
Le document, à double articulation, exprime et formalise en la capitalisant une expérience historique de didactisation d’une langue aux caractéristiques linguistiques fonctionnelles connues. En même temps, il formule en termes scientifiques et statistiques les déclinaisons institutionnelles de sa généralisation progressive sur la durée de vie d’une cohorte d’élèves (12 années), d’où cette vision jusqu’à 2038. Cette démarche, on ne peut plus apaisée, relève de la politique de l’Etat et consacre le caractère national intangible de sa généralisation sur tout le territoire national dans la diversité de ses expressions les plus authentiques et productives.
C’est pourquoi, il est transmis aux autres instances de l’Etat, notamment celles ayant l’attribution de faire la saisine auprès de la Cour constitutionnelle. Notre document explicite les modalités d’une application structurée, générale et généralisée de tamazight, verticale et horizontale, progressive et réfléchie (2022-2038) sur tout le système d’éducation et de formation.
C’est une démarche de coconstruction avec toutes les élites du pays, d’où ce document, avec l’ambition de mener une projection sérieuse de travail dans la plus large concertation possible. Penser tamazight en ces termes, c’est consacrer l’Algérie et l’algérianité, patriotiquement, historiquement et géographiquement, le tout adossé à l’unité nationale et l’intégrité territoriale.