Debout et imperturbable, l’ancienne ministre de la Culture, Khalida Toumi, semblait préparée à cette condamnation à six ans de prison ferme assortie d’une amende de 200 000 DA, prononcée jeudi dernier par le pôle financier près le tribunal de Sidi M’hamed, à Alger, dans le cadre de l’affaire liée à la gestion des manifestations politico-culturelles : «Alger, capitale de la culture arabe», «Tlemcen, capitale de la culture islamique», le Festival panafricain et la préparation du film sur l’Emir Abdelkader, entre 2006 et 2014.
Après plusieurs renvois et plus de 29 mois de détention (depuis le 4 novembre 2019), l’ex-ministre avait comparu, du 24 au 28 mars dernier, avec l’ancien ordonnateur financier et coordinateur des manifestations culturelles, Abdelhamid Benblidia, et l’ex-directeur de la culture pour la wilaya de Tlemcen, Miloud Hakim, pour «abus de fonction», «dilapidation de deniers publics» et «octroi d’indus avantages». Le verdict est tombé jeudi dernier, en début de matinée. Khalida Toumi a été reconnue coupable des faits qui lui sont reprochés, au même titre que Abdelhamid Benblidia, qui a écopé d’une peine de 4 ans de prison ferme et d’une amende de 100 000 DA, et Miloud Hakim, qui s’est vu infliger une condamnation de 2 ans de prison ferme assortie d’une amende de 200 000 DA.
Le juge a néanmoins ordonné la levée de la saisie des biens immobiliers et des comptes bancaires gelés des mis en cause, lesquels devront s’acquitter d’une somme de 100 000 DA, versée au Trésor public, au titre des dommages subis. Faisant partie du collectif de la défense de l’ancienne ministre, Me Boudjemaâ Ghechir n’a pas caché sa «surprise» mais aussi sa «déception». Selon lui, la décision du juge repose sur «la hiérarchisation de la responsabilité administrative et non pas la responsabilité pénale. C’est quand même surprenant. Mais nous allons faire appel contre cette sentence».
Pour rappel, Khalida Toumi a été placée en détention le 4 novembre 2019 pour trois chefs d’inculpation liés à 29 décisions selon la procédure du «passer outre», une prérogative dévolue aux ministres. En clair, l’ex-ministre a été condamnée pour ses actes de gestion.
Dès l’ouverture de son procès, elle s’est défendue en rejetant «dans la forme et dans le fond» les accusations portées contre elle, en se présentant comme «une détenue politique», voire «une victime scarifiée comme bouc émissaire dans le cadre d’un procès illégal organisé par des mercenaires».
«Pas de favoritisme»
Elle a affirmé que «tous les comptes d’affectation spéciale de ces manifestations ont été clôturés dans le cadre des lois de finances et tout le monde sait qu’aucun compte ne peut être clôturé sans passer par le contrôle de l’IGF, de la Cour des comptes et des deux chambres du Parlement» et fait remarquer en outre que «les enquêteurs n’ont fait ressortir ni détournement, ni dilapidation, ni profit, ni corruption ou encore de favoritisme au profit de mes amis et mes proches».
Mme Toumi a dénoncé la campagne médiatique contre sa personne pour avoir signé en 2015, avec le groupe de 19 personnalités, une lettre ouverte au défunt Président déchu et pour son soutien à Louisa Hanoune, secrétaire générale du PT, lors de son incarcération par le tribunal militaire en 2019. Une campagne, a-t-elle précisé, lancée «par le procureur du tribunal de Tlemcen qui, lors d’une conférence de presse, a déclaré à l’opinion publique que j’ai fui le pays vers la France et que le procureur du tribunal de Sidi M’hamed n’a pas pu m’auditionner pour cette raison.
Cette déclaration a été publiée par l’APS, le 19 juin 2019, alors que l’affaire n’était pas encore enrôlée au niveau de la justice et que je n’avais reçu aucune convocation. Juste après, j’ai été convoquée par le conseiller chargé de l’instruction qui a déclaré à la fin de mon audition : ‘‘Personne sur terre ne peut dire que Khalida Toumi a pris un seul centime.’’ Je suis victime d’un complot (…)». La prévenue a clamé son innocence en exprimant sa conviction d’être «une détenue politique». Lors de son audition, elle avait insisté sur le caractère «exceptionnel» de ces décisions, puisque sur plus de 600 marchés, il n’y a eu que 29 «passer outre», ayant pour but de «clôturer des situations financières en suspend».
Elle a expliqué qu’en tant que ministre, elle était membre de la commission nationale de préparation de ces manifestations, présidée par le Premier ministre, laquelle commission l’a désignée comme présidente du comité d’exécution et, à son tour, elle a nommé Abdelhamid Benblidia comme ordonnateur financier et coordinateur chargé de l’exécution de ces manifestations, classées, selon elle, par le Premier ministre, comme une priorité nationale, concernée par la procédure des marchés de gré à gré. L’ancienne ministre a affirmé n’être jamais intervenue dans les passations des marchés ou dans le choix des entreprises, dans le cadre de l’exécution de ces manifestations : «Je n’intervenais que pour résoudre des problèmes. Je ne suis pas chargée de l’exécution de ces événements, qui relève des prérogatives d’un comité mis en place à cet effet.»
Mais, l’ordonnateur financier et coordinateur des manifestations, Abdelhamid Benblidia (en détention), s’est défendu en déclarant, qu’il agissait «sur instruction de madame la ministre», avant de se contredire à plusieurs reprises. Cependant, le procureur n’y est pas allé avec le dos de la cuillère pour enfoncer les trois prévenus, à commencer par Khalida Toumi, contre laquelle il a requis une peine maximale de 10 ans de prison ferme assortie d’une amende de 10 millions de dinars et deux autres de 8 et de 5 ans de prison ferme avec une amende d’un million de dinars contre respectivement Abdelhamid Benblidia et Miloud Hakim.