Samir Gani. spécialiste de la filière oléicole : «Il est plus qu’indiqué de favoriser nos variétés autochtones d’oliviers»

27/11/2023 mis à jour: 20:49
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Photo : D. R.

Face au niveau du stock mondial très critique d’huile d’olive, l’Algérie dispose de leviers qui lui permettent de se positionner en tant que régulateur du marché mondial. C’est ce que nous a déclaré, à l’occasion de la célébration de la Journée mondiale de l’olivier, le 26 novembre, et en marge d’une journée portes ouvertes sur l’huile d’olive, à Ouled Fayet, Samir Gani, spécialiste de la filière oléicole, président des journées scientifiques, qui se tiennent lors du Salon international de l’olivier (JSSIO) et conseiller pour le développement de la qualité de l’huile d’olive, afin de faire l’état des lieux de l’olivier en Algérie et les ambitions que nourrit la filière pour booster la production oléicole.

  • Où en est la filière oléicole en Algérie actuellement ?

Je dirai que la filière oléicole en Algérie est à la croisée des chemins. Mais pour être plus explicite, je dirai que la filière oléicole en Algérie était négligée pendant des décennies.

On se rappelle le programme d’un million d’hectares, lancé depuis l’an 2000, où l’on a réalisé malheureusement à peine 25% (selon les chiffres officiels). Tout comme la cadence du sursaut technologique du processus d’extraction de l’huile d’olive qui est très lent, puisque plus de 50% de nos huileries sont en mode traditionnel.

Ce qui freine le développement qualitatif et quantitatif de notre huile d’olive. Sachant qu’une huilerie moderne nous donne un meilleur rendement avec moins de pertes d’huile, mais surtout une maîtrise facile et adéquate en termes d’hygiène qui est la clef pour extraire une huile d’olive de qualité.  Cependant, nous constatons un éveil de conscience chez les producteurs qui, chaque jour, relèvent le défi pour améliorer la qualité de leur produit oléicole.

Ce challenge est surtout relevé par de nouveaux producteurs qui émergent et qui sont à l’affût de formations dans le domaine pour se mettre au diapason de ce qui se fait dans le reste du monde. Mais pas que, puisqu’ils ont compris que le consommateur réfléchi «santé» et qui dit santé, dit huile d’olive de qualité. Cela étant dit, le monde oléicole est en effervescence depuis au moins une année.

Le prix de l’huile d’olive sur le marché mondial a pratiquement doublé, passant en quelques mois, au cours de cette année, de 4000 à 8000 euros la tonne d’huile d’olive, et les prix risquent d’augmenter encore plus à cause de la baisse drastique de la production en Espagne qui assure, à elle seule, plus de 50% de la production mondiale.

Ajoutons à cela le niveau du stock mondial qui est très critique ainsi que l’augmentation très palpable de la consommation à travers le monde. Face à cette conjoncture, l’opportunité s’offre à l’Algérie pour se positionner en tant que régulateur du marché mondial de l’huile d’olive à moyen et long termes, puisqu'on est le pays qui possède le plus de superficies de terres favorables pour la plantation d’oliviers…

Il faut savoir par ailleurs que la surface des oliveraies dans notre pays représente 45% de la surface totale de l’arboriculture fruitière et occupe, de ce fait, la première place au plan national. Mais pour atteindre cet objectif, un plan d’urgence doit être mis en place pour organiser cette filière.

  • Peut-on connaître la part d’exportation des producteurs algériens et vers quels pays ?

En toute franchise, notre part de l’exportation demeure insignifiante, puisque sur les 100 000 tonnes de production, un chiffre qui est publié par le MADR ; on a exporté à peine 600 tonnes, un chiffre donné par le ministère du Commerce.

Cette quantité que je qualifie de négligeable, on la retrouve au niveau de notre communauté à l’étranger, comme la France et le Canada. En revanche, il y a lieu de signaler que des quantités importantes sont transférées illégalement à travers nos frontières, ce qui nuit à l’économie du pays, d’un côté, et cause, d’un autre côté, une inflation sans précédent sur le marché local.

  • Quels sont les objectifs, à court, moyen et long termes du plan de développement de la filière oléicole ?

Lors de l’ouverture de la Conférence nationale sur le plan de développement et de protection de la filière oléicole, organisée en septembre dernier, par l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), le ministre de l’Agriculture et du Développement rural, Mohamed Abdelhafid Henni, avait mis l’accent sur le programme de développement de la filière qui se doit de s’appuyer sur la revalorisation de la richesse oléicole à travers les nouvelles plantations et l’élargissement de leurs surfaces, et mise sur l’intensification de l’oléiculture par l’irrigation, l’amélioration des techniques de production et une meilleure utilisation de la mécanisation agricole spécialisée.

Il avait indiqué aussi que «l’oléiculture figure parmi les principales filières agricoles de notre pays, en termes de quantité et de qualité, ce qui permet à l’Algérie de se positionner à la 7e place à l’échelle mondiale dans le domaine de la production de l’huile d’olive».

  • On parle de l’olivier à la conquête de la steppe. En quoi consiste ce programme ambitieux ?

En avril 2021, un programme de 400 000 hectares d’oliviers était en cours de réalisation à l’échelle nationale. On avait l’ambition de porter la superficie totale dédiée à cette filière à 900 000 hectares à l’horizon 2024.

On est pratiquement en 2024, et on est loin du compte, car le chiffre avancé récemment par le ministre de l’Agriculture est aux alentours de 440 000 hectares. Cela pour dire que tous les programmes sont ambitieux, encore faut-il qu’ils soient exécutés.

  • Quelles sont, selon vous, les raisons qui font que le prix du litre d’huile d’olive soit cher pour les bourses moyennes en dépit de la concurrence ?

Ce qui est cher, c’est l’huile d’olive de mauvaise qualité qui peut se révéler nocive pour la santé. Il faut savoir qu’en l’absence de contrôles rigoureux, des huiles frelatées font des ravages sur le marché de l’huile d’olive en Algérie aux dépens du consommateur qui est souvent attiré par le «bon prix».

Ces pratiques frauduleuses risquent de porter atteinte à la santé du consommateur et à l’économie du pays, tout comme elles instaurent une concurrence déloyale. Quant à l’huile d’olive de bonne qualité, elle n’est pas chère et son prix est bien justifié, cependant  il ne faut pas que ça soit exagéré.

Notons que le grand souci chez le producteur réside dans l’achat de la matière première, en l’occurrence, l’olive qui a vu son prix doublé, voire triplé ces dernières années, d’où la nécessité de réguler le marché en commençant par le plafonnement et l’instauration des prix référentiels de cette matière première, et pourquoi pas créer carrément des marchés d’olive dans les régions productrices.

  • On fait état ces dernières années de pépinières spécialisées dans les variétés espagnoles de plants d’olives pour booster la production. Pouvez-vous nous en dire davantage ?

Il faut d’abord signaler que lorsque les Espagnols ont développé le système de plantation intensif, ils ont aussi développé la mécanisation qui va avec. Le choix principal qui encourage les oléiculteurs à opter pour ce système est évidemment le rendement élevé, l’entrée rapide en production et la minimisation des coûts. Toutefois la rentabilité de ce système dépend de la mécanisation qui va avec ainsi que la superficie de l’oliveraie.

  • Certains oléiculteurs affirment que cette expérience espagnole s’est révélée  bénéfique…  Etes-vous de cet avis ?

En Algérie, les expériences qui ont été concluantes se comptent, dois-je dire, sur les doigts d’une seule main, à l’image de la société ORUS qui a réalisé un projet intégré sur une superficie de 1200 hectares dans la région de Saïda. Ce genre de projet peut booster la production de l’huile d’olive s’il est multiplié, et surtout accompagné d’experts dans le domaine.

Il se trouve que c’est dans les Hauts-Plateaux et à la lisière septentrionale du Sahara qu’on peut trouver les grandes superficies pour ce genre de culture. Concernant le nord du pays, il est plus qu’indiqué de favoriser nos variétés autochtones d’oliviers, et ce, vu leur adaptation facile au climat méditerranéen, leur résistance au changement climatique, leur longévité et surtout la qualité et la diversité de leurs huiles qui caractérisent nos produits du terroir.

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