Palace Jugurtha, luxueux établissement hôtelier à l’ouest de Gafsa, au bord de la route qui mène à la frontière algérienne à une trentaine de kilomètres à vol d’oiseau.
Un cadre d’une banque tunisienne de développement agricole se plaint du manque d’eau, il ne pleut plus depuis plusieurs années, ajouté au tableau les pénuries de lait et d’essence, c’est la situation d’aujourd’hui. «Si la Tunisie était aussi riche que l’Algérie…», conclut sans vraiment conclure le cadre.
Gafsa c’est le sud pour les Tunisiens, à la latitude de Laghouat, ce qui n’est pas vraiment le Grand-Sud pour les Algériens, et Gafsa ressemble d’ailleurs plus à Bou Saâda qu’à Tamanrasset.
Au Jugurtha, personne ne s’étonne que l’hôtel porte le nom d’un Algérien, ici le brassage est évident, nous sommes tous des Amazighs, originaires de Gafsa, Capsa et sa civilisation, particulièrement ici où dans les villages environnants, on parle encore un peu le tamazight.
Tout comme la table de Jugurtha du côté de la ville tunisienne du Kef, étrange structure montagneuse, est une attraction touristique, on trouve dans la région Sidi Aïch, Boumerdès, Tala, Haïdra, écrit ici sans Y, et El Goléa. Oui, et le film ?
C’est L’Effacement, à l’image de la disparition de l’ancien temps, tiré du roman de Samir Toumi du même nom, auteur qui a vécu quelque temps en Tunisie, et porte bien son nom, le film, pas l’écrivain, comme en miroir, le film se tournant en Tunisie, alors qu’il est censé se passer en Algérie. Au bord du Bayech, ex-long fleuve tranquille aujourd’hui à sec, qui alimentait la grande sebkha, le chott Jerid, l’ex-lac Triton d’Hérodote et Diodore de Sicile, lieu où la déesse Athéna, fille de Zeus, dieu des dieux, serait née, sortie de l’eau tout mouillée.
Ce même chott communique avec ceux d’Algérie, chott Melghir, d’où le projet de la grande mer intérieure si une ouverture était faite à partir du golfe de Gabès. Oui, le film. Franco-germano-tunisien, selon l’argent consacré, avec quelques extérieurs pris à Alger, une première partie tournée à Marseille, la ville française la plus algérienne, et la deuxième ici, à Gafsa.
La planète Tatooine
La Tunisie capsienne est-elle plus raffinée ? C’est probable, «bien sûr que j’aurais aimé tourner en Algérie», explique Karim Moussaoui, réalisateur. «On a déposé un dossier, mais au moment où le fonds d’aide a été dissous, on nous a demandé de réécrire les dialogues, on a attendu, puis on a décidé qu’on n’avait plus le temps», résume-t-il.
Car ici, même à Gafsa, à 350 km au sud de Tunis, dans le désert, tout va plus vite. «Il y a aussi le fait qu’il nous fallait une tonne d’autorisations, pour fabriquer une caserne où le héros passe son service militaire, avoir des vraies fausses armes, c’est très compliqué en Algérie», précise encore le réalisateur.
Pourtant, les Capsiens, c’est vieux, - 12 000 ans, le néolithique, noyau de la population nord-africaine qui a ensuite essaimé dans le Sud constantinois, la civilisation capsienne, plus raffinée, ayant conquis la région, la langue capsienne étant reconnue par ailleurs comme l’ancêtre de la langue amazighe. Oui, et le film ? C’est l’histoire d’un homme qui voit son reflet dans le miroir disparaître progressivement, au milieu de péripéties, comme celle du film en lui-même, la difficulté en Algérie d’avoir des visas pour les techniciens étrangers, des tenues militaires ou même des talkies walkies comme dans tous les films du monde, ce qui est très pratique ici dans le Sud. Détail important, Karim Moussaoui explique : «L’armée tunisienne nous a même loué des camions militaires et un Hummer», chose impensable en Algérie.
En réalité, c’est de l’appréhension, dans son précédent film En attendant les hirondelles, qui s’est tourné en Algérie, du matériel s’est retrouvé bloqué 3 semaines à la douane, notamment des micros HF (sans-fil) qui se vendent par ailleurs à Alger à l’air libre.
Les Capsiens, c’est bien, et l’efficacité tunisienne n’est pas à démontrer, avec tous ces petits métiers qui manquent au cinéma algérien, costumiers, accessoiristes, décorateurs, sont bien là, faisant vivre des familles entières et aidant grandement les productions. A Gafsa, plantée entre Sidi Bouzid, là où la révolution du jasmin a commencé pour embraser toute la Tunisie et démettre le président Benali, et les confins sahariens, nous ne sommes plus qu’à quelques kilomètres de Tataouine, «les sources» en tamazight, petite ville qui a connu deux fois la célébrité, Tataouine pour les Français afin de désigner un trou perdu, et Tatooine pour les Américains.
Il y a encore des petits métiers et il n’y a pas de petit gain, comme pour la table de Jugurtha au Nord, ce sont 180 euros demandés pour visiter les décors de La guerre des étoiles, Star wars, où un épisode a été tourné dans cet aride désert berbère, avec spéciale dédicace du réalisateur Georges Lucas, la mention de Tataooine dans la saga, planète-désert située en bordure extrême de la galaxie et origine de la famille Skywalker, en hommage à Tataouine, la petite ville berbère tunisienne.
Oui, et le film ? L’effacement est un peu tout ça, peines perdues, disparitions, reflets du cinéma tunisien sur l’Algérien et cette résignation à aller tourner ailleurs. Oui mais Karim Moussaoui est-il un Capsien ? Il répond qu’il est de Jijel, donc il ne sait pas trop. Rendez-vous en 2024, en Algérie, pour la projection du film.