Si elle a été accueillie avec un retentissant ouf de soulagement dans le milieu des professionnels du voyage, algériens et tunisiens, la réouverture, depuis vendredi 15 juillet, des frontières terrestres entre l’Algérie et la Tunisie, en application de la décision commune du président de la République, Abdelmadjid Tebboune, et de son homologue tunisien, Kaïs Saïed, est, pour leurs «collègues» voyagistes clandestins, la pire nouvelle de l’été.
En ce début de reprise du trafic terrestre, après deux longues années de fermeture due à la pandémie de Covid-19, vers et en provenance du voisin de l’Est, c’est toute la chaîne touristique souterraine qui est grandement affectée.
En effet, que ce soit pour les transporteurs, les hébergeurs ou tous les commerçants et «agents» qui assuraient la fourniture de services au profit d’Algériens en transit, ou effectuant des entrées ou des séjours familiaux, médicaux, esthétiques, touristiques ou d’affaires, en Tunisie, cette reprise se digère mal, très mal. Aux réseaux transnationaux de passeurs qui s’étaient constitués autour des postes frontaliers, Haddada et El Fouidh dans la commune d’Ouled Moumen, wilaya de Souk Ahras, Bouchebka (Lahouidjbet), El Meridj et Betita (Bir El Ater) et Moudjahid commandant Mohamed Guenez (Aïn Zerga),wilaya de Tebessa, et Oum Teboul et Layoun, wilaya d’El Tarf, les deux ans de fermeture ont ouvert la voie à l’émergence d’un juteux marché. La «tête» se négociait par les courtiers à 50 000 DA à l’aller et 50 000 DA au retour (adultes), entre 15 000 et 20 000 DA (mineurs) pour les nationaux désirant effectuer de courts séjours, et pas moins de 300 euros pour nos émigrés transitant par la Tunisie. Les «réservations» se faisaient via des agences virtuelles établies de l’autre côté de la Méditerranée.
Flairant le filon, de plus en plus nombreux étaient les jeunes et moins jeunes algériens et tunisiens à s’y être lancés. «Vivant en France depuis une trentaine d’années, habituellement, je venais 3 à 4 fois par an en Algérie, car ma mère, qui a 85 ans, vit seule à Annaba. En juin 2021, elle a contracté la Covid-19 qui a failli l’emporter. Je devais rentrer coûte que coûte pour être à son chevet. Comme les frontières étaient fermées, une connaissance à mon fils m’avait recommandé de passer par la Tunisie où se trouvent des réseaux de passeurs qui pouvaient me faire traverser la frontière via le poste de Bir El Ater dans la wilaya de Tébessa. L’organisateur du voyage était basé à Marseille. Le paiement, 400 euros, s’est fait une fois arrivée à la frontières algéro-tunisienne. Arrivée à l’aéroport de Carthage, une voiture m’attendait à la sortie pour me conduire vers Bir Ater. Sur place, j’ai été hébergée par une famille tunisienne, où se trouvaient également deux compatriotes algériennes, l’une venait de Bruxelles (Belgique), l’autre de Munich (Allemagne). Vers 2h, une autre voiture nous avait conduites vers une forêt à quelques dizaines de mètres du poste d’El Mridj», témoigne Lynda, la cinquantaine, puéricultrice établie à Paris.
«Nous avions, par la suite, traversé la frontière à pied, nos bagages transportés à dos d’âne. Sur le territoire algérien, une troisième voiture assurait le trajet Tébessa-Annaba. Au retour, après un séjour de 10 jours, les mêmes procédé et itinéraire seront empruntés et au même prix. Mais cela valait la peine. J’ai pu voir ma mère et m’assurer qu’elle s’était remise de la Covid.» Ayant eu vent de ces voyages clandestinement organisés, dit autrement, de ce nouveau mode de harga, les autorités tunisiennes n’ont pas tardé à agir. Début août 2021, un vaste réseau de passeurs compatriotes avait été démantelé par les gardes-frontières tunisiens.
Pour 1100 euros/voyage, ces passeurs aidaient des familles algériennes en provenance de l’Hexagone, via l’aéroport Tunis-Carthage, à rejoindre l’Algérie à travers le poste-frontière de Bouchebka (Tébessa).
A la tête de ce réseau, un Franco-Tunisien résidant à Lyon qui organisait ces «convois» via les réseaux sociaux. Quelques mois après, leurs homologues algériens avaient interpellé une dizaine d’autres passeurs nationaux, agissant à Sidi Fredj (Souk Ahras), la commune la plus pauvre du pays, située à la frontière algéro-tunisienne. Ils aidaient des Algériens venant de l’étranger ainsi que des Tunisiens à traverser les frontières vers leurs destinations finales respectives en Algérie.
C’est dire que considérant les gros intérêts qui étaient en jeu, on peut comprendre la déception, aujourd’hui que les frontières sont rouvertes, des contrebandiers d’humains et de tous ceux qui contrôlaient la chaîne logistique et de services nécessaire.