Le 14 mars, Mahmoud Abbas a nommé Mohammad Moustafa, un de ses proches conseillers, au poste de Premier ministre. Une nomination vivement critiquée par le Hamas, soutenu par le Jihad islamique et le FPLP. Le Fatah riposte avec véhémence aux attaques du Hamas. Ce regain de tension ravive un vieux contentieux qui remonte aux élections législatives de 2006, qui ont conduit à une profonde fracture au sein d’un corps politique palestinien déjà éprouvé par les affres de l’occupation. Face aux enjeux cruciaux de l’après-7 octobre, les Palestiniens n’ont d’autre choix que de s’unir…
Force est de le constater : la nomination du nouveau Premier ministre palestinien, Mohmmad Moustafa, en remplacement de Mohammed Shtayyeh qui avait présenté la démission de son gouvernement le 26 février, a ravivé les tensions entre le mouvement Fatah et le Hamas, les deux poumons de la résistance palestinienne, en conflit depuis 2007.
Le Hamas a vivement critiqué le choix fait par Mahmoud Abbas en désignant, le 14 mars dernier, ce haut fonctionnaire de 69 ans à la tête de l’Exécutif. Mohammed Moustafa était le conseiller économique du président Abbas. Il était en outre le patron du Fonds d’investissement pour la Palestine et avait également siégé pendant une quinzaine d’années à la Banque mondiale, à Washington.
Dès le lendemain de cette nomination, le Hamas s’est fendu d’un communiqué virulent cosigné par le Jihad islamique et le FPLP, ses alliés sur le terrain des combats à Ghaza. «Former un nouveau gouvernement sans consensus national va aggraver les divisions», ont déploré les trois formations palestiniennes.
Pour elles, cela «prouve la profonde crise au sein de l’Autorité palestinienne et sa déconnexion de la réalité». Le Hamas a peu goûté, en somme, le fait que sa direction n’ait pas été consultée avant la désignation du nouveau chef du gouvernement.
LE Hamas plus légitime que l’OLP ?
Le non-dit de la réaction violente du Hamas est qu’il y a une nouvelle donne après le 7 octobre dont il faut tenir compte au sein du mouvement national palestinien.
Le Hamas étant la locomotive de la guérilla palestinienne et l’avant-garde de la lutte armée contre l’occupant israélien à Ghaza, il a de facto, sous-entend-il, plus de «légitimité», par extension, à prendre les rênes du leadership palestinien.
Il se sentirait peut-être même plus légitime que l’OLP qui s’est toujours définie comme «le représentant unique et légitime du peuple palestinien» ; l’OLP dont, au demeurant, le Hamas ne fait toujours pas partie. A ce titre, il aurait dès lors un droit de regard sur les décisions importantes de l’Autorité palestinienne malgré le lourd passif des désaccords qui opposent le parti islamiste à la direction post-Oslo (qu’il n’a jamais vraiment reconnue).
C’est cela qui lui fait dire, au fond, que le choix porté sur le technocrate Mohammad Moustafa est anachronique par rapport aux réalités du terrain. Le Fatah, mouvement dont Mahmoud Abbas, faut-il le signaler, qui est l’un des membres fondateurs et le chef putatif, n’a pas tardé à réagir à cette attaque cinglante.
On remarquera que c’est précisément sur ce terrain de la «légitimité révolutionnaire» que le Fatah a choisi de répondre, remettant en cause jusqu’à la pertinence stratégique des attaques du 7 octobre et l’efficacité de ce mode opératoire.
Dans un communiqué au vitriol diffusé vendredi soir, il reproche d’abord à son grand rival d’avoir planifié et mené seul l’opération «Tofane el Aqsa», et d’avoir engagé des négociations avec l’occupant en continuant à faire cavalier seul. Le Fatah accuse ouvertement le Hamas «d’avoir causé le retour de l’occupation israélienne de Ghaza» en «entreprenant l’aventure du 7 octobre».
Celle-ci, charge-t-il de plus belle, a provoqué une «Nakba encore plus horrible et cruelle que celle de 1948». «La véritable déconnexion de la réalité et du peuple palestinien est celle de la direction du Hamas, qui jusqu’à présent ne saisit pas l’ampleur de la catastrophe que connaît notre peuple», renchérit le parti de Abou Mazen.
Dans le contexte de la guerre atroce menée par Israël contre la bande de Ghaza et dont les effets s’étendent sur l’ensemble de la Palestine occupée en tenant compte de la violente répression qui s’abat sur la Cisjordanie, ce regain de tension sur le front interne risque de compliquer davantage la tâche aux Palestiniens dans leur lutte contre l’occupant sioniste, en prévisions des reconfigurations qui vont se dessiner à la proclamation du cessez-le-feu.
Les enjeux vont être énormes, à commencer par l’avenir institutionnel et existentiel de la bande de Ghaza et le mode d’administration qui va lui être imposé. L’Autorité palestinienne est mise en demeure d’être réformée. L’avenir de Mahmoud Abbas lui-même est en jeu, le président de 89 ans ayant été complètement dépassé (et effacé) par les événements.
C’est peu dire donc que les Palestiniens ont tout intérêt à parler d’une seule voix et faire bloc derrière une direction soudée s’ils veulent concrétiser le rêve d’un Etat palestinien plein et souverain à la faveur de la sympathie mondiale dont ils jouissent aujourd’hui et du retour de la cause palestinienne sur le devant de la scène internationale.
Cet objectif est d’autant plus réalisable que quasiment toutes les capitales occidentales soutiennent la solution à deux Etats. D’où l’urgence d’unir toutes les forces et de transcender les différends.
La guerre fratricide de 2007
Mais la tâche s’annonce compliquée quand on sait que la fracture est profonde, et que le conflit entre le Fatah et le Hamas date d’une vingtaine d’années au moins. Pour saisir les racines des divisions interpalestiniennes, il faut remonter aux élections législatives du 25 janvier 2006.
Ces élections, qui visaient à élire le nouveau Conseil législatif palestinien, ont été remportées par le Hamas par 48,3% contre 43,8% pour le Fatah. Ce dernier, soutenu par l’Autorité palestinienne, va contester les résultats du scrutin. Des affrontements vont opposer les services de sécurité palestiniens aux milices du Hamas.
Le 16 décembre 2006, Mahmoud Abbas décrète la dissolution du gouvernement Hamas et la tenue d’élections générales anticipées. La décision est motivée par l’échec des négociations entre Fatah et Hamas sur la constitution d’un gouvernement d’union nationale.
Le 9 février 2007, les feux partis rivaux signent l’Accord de La Mecque et le 15 février, Mahmoud Abbas charge l’islamiste Ismaïel Hanniyeh de former un gouvernement d’union nationale. Celui-ci tiendra à peine quatre mois. Le 14 juin 2007, Mahmoud Abbas dissout le gouvernement dirigé par le leader islamiste.
Le lendemain, le Hamas s’empare par la force de la bande de Ghaza, jugeant illégitime la destitution d’Ismaël Hanniyeh.
Le Fatah crie au «coup d’Etat» à Ghaza. Depuis, les territoires palestiniens issus des Accords d’Oslo sont soumis à une gouvernance bicéphale : à Ramallah siège l’Autorité palestinienne sous la présidence de Mahmoud Abbas, avec un gouvernement nommé par ses soins, et à Ghaza siège un autre gouvernement dirigé par le Hamas. Depuis cette date, Israël impose un blocus sans relâche à la bande de Ghaza.
Ce blocus est clairement lié au fait que le Hamas a pris le contrôle de l’enclave palestinienne. Une punition collective pour plus de deux millions de Palestiniens que rien ne justifie. «Jamais les Palestiniens n’ont été aussi divisés et faibles que depuis les combats fratricides de l’été 2007 à Ghaza.
Leurs conflits internes minent la solidarité internationale avec leur cause, réduisant la pression sur l’occupant israélien et transformant les territoires palestiniens en une poudrière susceptible d’exploser à tout moment», écrivait le politologue et journaliste palestinien Marwan Bishara dans un numéro du Monde Diplomatique de novembre 2007, soit au plus fort des tensions qui déchiraient les deux camps palestiniens.
«Le Hamas accuse le Fatah d’avoir conspiré contre son gouvernement, parfois avec la complicité d’Israël. Le Fatah dénonce l’incapacité du parti islamiste à gouverner efficacement et son ‘‘coup violent’’, du 15 juin 2007, contre la Présidence et la Constitution.
Quant aux indépendants, ils critiquent les deux mouvements pour avoir placé leurs intérêts de faction au-dessus de l’intérêt national», résume le journaliste.
Et Marwan Bishara de livrer ce témoignage édifiant : «Peu après la signature des Accords d’Oslo de 1993, je fus témoin d’accusations réciproques au cours d’une table ronde sur l’avenir de la Palestine, à laquelle prenaient part un certain nombre de dirigeants et de militants de l’Intifadha.
A ma grande surprise, l’esprit de camaraderie et d’unité qui régnait durant les premières heures fit place à un affrontement verbal dès que nos hôtes annoncèrent que les soldats israéliens avaient évacué leur base et que le couvre-feu serait levé le soir même.
Les responsables du Fatah menacèrent quiconque ferait obstacle à leur tentative de transformer un processus de paix dont ils admettaient l’imperfection en processus de construction d’un Etat. Les représentants du Hamas, eux, exprimèrent leurs doutes et leur défiance à l’égard d’une voie diplomatique injuste dont l’avenir était dès l’origine peu prometteur.
Bien que tous ces arguments comportent une part de vérité, le Hamas et le Fatah, comme le reste du peuple palestinien, ont été d’abord et surtout les victimes d’un accord qui promettait liberté et unité, mais a produit désespoir et division en les enfermant dans une politique à somme nulle : le succès d’une faction devenait l’échec de l’autre.»
Al Qassam n’a pas mené seul les attaques du 7 octobre
Les deux frères ennemis sont restés irréconciliables malgré les nombreuses tentatives de les rabibocher. Il ne faut donc pas s’étonner que le Hamas n’ait pas songé à mettre le Fatah, la direction de l’OLP et l’Autorité palestinienne – qui constituent la même famille politique, en réalité – dans la confidence au moment de préparer les attaques du 7 octobre.
Le secret qui a entouré la préparation de l’opération «Déluge d’Al Aqsa» avait d’autant plus de quoi vexer le Fatah que le Hamas n’a pas agi seul. Au moins cinq factions palestiniennes ont pris part à ces attaques. Mais comme on le verra, parmi ces groupes figurent des commandos issus politiquement du Fatah.
Dans un article daté du 11 décembre 2023, le quotidien Al Charq Al Awssat a dressé une cartographie détaillée des principales factions qui combattent aux côtés du Hamas à Ghaza.
La principale force qui est déployée dans la bande de Ghaza, c’est évidemment les Brigades Azzedinne Al Qassam, le bras armé du Hamas, fortes de quelque 30 000 combattants d’après Al Charq Al Awssat.
La deuxième force par ordre d’importance est Saraya El Qods, la branche militaire du Jihad islamique. Ensuite, nous avons Kataeb Chouhada Al Aqsa, les Brigades des martyrs d’Al Aqsa qui n’est autre que «la branche militaire du Fatah», précise le journal londonien.
D’ailleurs, ce groupe est l’héritier d’Al Assifa (littéralement «la tempête»), le bras armé du Fatah qui avait déclenché la révolution palestinienne en janvier 1965. Cela signifie que le Fatah a participé aux attaques du 7 octobre, à tout le moins sa branche ghazaouie.
Ce que confirme la chaîne Sky News Arabia, citant la société israélienne de radiodiffusion (KAN), qui a déclaré samedi dernier que «les Brigades des martyrs d’Al Aqsa, la branche militaire du mouvement Fatah, ont participé aux attaques du 7 octobre et ont équipé des bataillons et des équipes pour la guerre contre Israël».
Les autres principales formations politiques palestiniennes sont elles aussi engagées sur le front de la lutte armée à Ghaza. Parmi elles, les Brigades Abou Ali Moustafa qui sont la branche militaire du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP).
Il y a aussi les Forces Omar El Kassem dites aussi Kataeb el Mouqawama el Wataniya, les Brigades de la résistance nationale, qui sont l’aile militaire du FDLP, le Front démocratique de libération de la Palestine.
Retenons aussi les bataillons Al Nasser Salah al Din qui sont issus des «Lijane El Mouqawama Al Chaâbiya», les Comités de résistance populaire qui ont émergé au cours de la deuxième Intifadha d’Al Aqsa, en 2000. Il convient de citer aussi Kataeb Al Moudjahidine.
Ce groupe est «issu du mouvement Fatah avant d’annoncer sa séparation complète d’avec celui-ci. Il reçoit des financements du Hezbollah et du Jihad islamique» indique Acharq Al Awsat.