Rabah Ameur-Zaïmeche. cinéaste franco-algérien : «Le cinéma est d’abord l’éloge à la vie»

06/12/2023 mis à jour: 00:33
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Le réalisateur Rabah Ameur-Zaimeche à Béjaïa , Le gang des bois du temple ( photo : dr)

Le gang du bois du temple est le dernier long métrage du réalisateur franco-algérien, Rabah Ameur-Zaïmeche, projeté en avant-première algérienne aux 18es Rencontres cinématographiques de Béjaïa (RCB), qui se sont déroulées du 23 au 28 septembre dernier. 

Ce drame policier, sorti en France en septembre 2023, revient sur l’attaque d’un convoi d’un prince saoudien, sorti de l’hôtel Georges V, à Paris, vers l’aéroport du Bourget, en août 2014. Huit hommes, dont certains armés, auraient pris avec eux «un butin» d’environ 250 000 euros et des documents confidentiels. Rabah Ameur-Zaïmeche s’est inspiré de ce fait divers pour raconter une histoire humaine, simple et dense à la fois. Un film qui dénonce autant les oligarchies que les stéréotypes sur les migrants. Rencontre.

 

 

Propos recueillis par Fayçal Métaoui

 

-Pourquoi l’intérêt pour cette histoire. L’attaque d’un convoi du prince saoudien, Abdulaziz Bin Fahad, par un gang de quartier à Porte de la Chapelle, à Paris, en août 2014. Qu’est-ce qui vous a motivé à vous intéresser à ce sujet ?
 

C’est l’amour des gangsters ! Je pense qu’il faut avoir un cran extraordinaire pour pouvoir défier les figures symboliques des oligarchies actuelles. Moi, simplement, je ne suis qu’un cinéaste qui se cache derrière sa caméra. J’ai gardé en tête l’idée de faire un film sur ce fait divers jusqu’à l’assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi au consulat d’Arabie Saoudite à Istanbul, en Turquie, le 2 octobre 2018. J’ai été sidéré par la violence d’un tel meurtre et par l’impunité par rapport à ce crime. Il y a de la complicité qui vient de partout. Des personnes puissantes et riches se considèrent au-dessus des lois et éliminent ceux qui les dérangent. J’ai décidé de mélanger les deux faits pour en faire un nouveau scénario.
 

-Les gangs ont un langage, des codes. Avez-vous fait des enquêtes ou des recherches sur «le fonctionnement» d’un gang avant de réaliser votre long métrage ?

J’ai grandi dans la cité des Bosquets à Montfermeil (commune située dans le département de la Seine Saint-Denis en région Île-de-France) au sein d’une famille unie et aimante. Mon père nous a poussés à faire des études. J’avais des copains qui n’ont pas fait d’études et dont les parents étaient analphabètes et qui ont été happés par la spirale de la délinquance. Certains ont été éliminés à cause des accidents de la vie. Ce film est aussi sur les bandits d’honneur d’Algérie et du monde.
 

-Comment éviter le cliché qui lie les cités où vivent des Français d’origine étrangère à la délinquance ? 

Tout simplement en faisant du prolétariat français, une seule classe fédératrice qui rassemble toutes les minorités, toutes les différences culturelles, religieuses, ethniques, de genres ou d’âges. On fait partie du prolétariat à partir du moment où on ne possède pas les moyens de production. Il faut éviter les divisions et continuer à croire que nous sommes un seul peuple. Nous devons rester debout, il faut juste se dispenser des questions raciales. La plupart du temps, on stigmatise les quartiers populaires (...) Tous les mouvements d’indépendance d’Afrique et d’Asie étaient présents dans le Mouvement ouvrier français dans les années 1920. Rappelons-nous de l’Etoile Nord africaine et de Messali Hadj. Après le travail à l’usine, les militants apprenaient le soir à lire et à écrire. Ces personnes étaient courageuses.
 

Après l’affaire Nahel (adolescent d’origine algérienne tué à bout portant par un brigadier de police le 27 juin 2023), des appels se sont levés des milieux de la droite et de l’extrême-droite pour exiger des Français d’origine étrangère d’éduquer les enfants.  Des enfants à «civiliser», selon eux.

Parce qu’on jette tout le temps l’erreur sur les autres. Il ne s’agit pas de l’éducation des parents. Au contraire, la population, les jeunes surtout,  ont réagi d’une manière civilisée face à un meurtre commis par la police sur un jeune de 17 ans. Ils ont crié : «Vous ne pouvez pas nous tuer impunément.» C’est un geste de révolte. Ce n’étaient pas simplement que des émeutes, c’était un mouvement insurrectionnel. Nous voulons conserver nos vies et notre dignité.
 

-Comment le cinéma peut-il contribuer à changer l’image par rapport aux Français d’origine étrangère, à briser certains stéréotypes sur les musulmans et autres minorités vivant en France ?

On a évoqué l’interdit de porter l’abaya à l'école, lors de la rentrée scolaire. C'est une autre tentative de nous diviser. On veut marquer qu’il existe des distinctions culturelles entre les différentes strates et catégories sociales. En France, il n’y a qu’un seul peuple. Il faut le rappeler à chaque fois.
 

-Votre film commence avec un décès, puis un chant funèbre, une lenteur qui n’est pas celle d’un film proche du polar. Pourquoi ce choix de commencer avec un rythme non accéléré ?
 

J’ai décidé de commencer par le silence, le deuil et le recueillement de la même manière qu’Albert Camus dans le roman L’étranger sur la mort de sa mère. Camus est un Algérien, un grand écrivain qui m’a beaucoup inspiré. Dans le film, M. Pons (Régis Laroche), un militaire à la retraite, est étranger à sa propre existence. Il navigue et flotte dans le quartier jusqu’à sa décision de devenir un être humain à part entière.
 

-Dans le film, les dialogues entre les membres du gang paraissent presque spontanés, non écrits, lorsqu’ils sont au café, au garage, dans la voiture...
 

En ces moments-là, les acteurs sont en action, jouent presque leur propre existence. Ils ont la joie de participer à une œuvre et à susciter la curiosité du spectateur. Au départ, l’écriture est précise, minutieuse. Et lorsqu’on est confronté à la situation du tournage, on essaie de s’en émanciper, de se libérer. C’est donc une nouvelle écriture, une écriture du cinéma. On a besoin de spontanéité et d’improvisation.
 

Lors d’une soirée, montrée dans le film, l’émir saoudien se libère de son habit traditionnel et se met à suivre le rythme de la musique de Sofiane Saïdi (musicien d’origine algérienne). On a l’impression qu’il exécute la danse du diable !
 

Il s’agissait d’une transe. L’émir se met en scène sur un techno-raï sulfureux, électrique. Il est donc pris par la musique et devient un homme simple sans les déterminismes et les caractéristiques liés à sa classe sociale. Il faut noter que la musique algérienne est toujours populaire, elle émane du peuple...

 

-Justement, vous avez beaucoup travaillé sur la bande son. Cela a aidé parfois le spectateur à la compréhension du récit...

Le cinéma est une musique. Les premiers moments du film sont silencieux, sans dialogue, suivis de musique de recueillement avec le chant d’Annkrist, une chanteuse bretonne qui a, à son actif, six albums depuis les années 1980. Elle est redécouverte par le public grâce au film. Mais, le silence est habité par les rumeurs de la ville, les rires des enfants. 

C’est une bande son basée sur nos vies quotidiennes. Il y a aussi des ruptures et des accélérations. Il y a une symphonie de sons...
 

-Le prince saoudien est accompagné par un personnage intrigant, un conseiller omniprésent. Comment avez-vous construit ce personnage ?

C’est un intendant d’origine américaine, responsable de la logistique du prince dans ses déplacements, qui s’occupe de ses caprices, ses désirs. Le rôle est interprété par Lucius Barre, lui-même intendant du Festival du cinéma de Locarno en Suisse. Par le passé, il était attaché de presse au Festival de Cannes. Cet acteur est pour moi une magnifique découverte. Slimane Dazi a été incroyable lors du tournage dans le rôle du détective privé contacté par l'intendant pour enquêter sur les auteurs de l'attaque.

-Un intendant américain pour un prince d’un pays du Golfe n’est évidemment pas un hasard...

Sans être caricatural, c’est ce qu’on voit depuis des années, la protection des Etats-Unis des monarchies du Golfe dont l’une d’elles abrite les Lieux Saints de l’Islam.
 

-Le détective privé est arrivé à retrouver le gang assez facilement. Quel était l’indice qui l’avait orienté vers ce groupe ?
 

Le détective a collecté beaucoup d’informations au sein de l’agence de location de voitures de luxe. Après, c’est au spectateur de suivre le fil de l’histoire. Il est libre de suivre sa propre trajectoire. C’est un cinéma libre qui donne la place d’honneur à chaque spectateur. Un spectateur intelligent. En étant en hors champ, on laisse le spectateur choisir la fin du long métrage. Chacun peut avoir sa propre fin. Par exemple, on ne sait pas sur qui a tiré M. Pons, mais, on sait qu’il a accompli une mission.
 

-Le cinéaste doit faire confiance au public...

Le cinéma est là pour ouvrir les espaces, créer au sein de ces écarts un monde sensible où chacun peut trouver sa place, éveiller sa conscience et son intelligence.

Votre film est en forme de boucle. On revient presque au même endroit avec une scène sur les enfants...
Devant un système économique qui nous écrase et opprime, il reste encore des enfants. Il y a la scène des enfants qui jouent avec les pigeons dans un jardin public. Parfois, nous avons envie de retrouver notre enfance, et la vie doit continuer.
 

-Le cinéma doit donc susciter l’espoir...

Le cinéma est d’abord l’éloge à la vie (...) Mon ambition est de pouvoir retourner en Algérie, filmer l’Algérie contemporaine à travers le convoi d’une compagnie de transport routier qui traverse la magnifique région du Sahara. C’est une manière de mettre en valeur nos paysages. Il s’agit d’évoquer aussi la présence de la femme algérienne.
 

-La période ottomane en Algérie vous intéresse aussi...

J’ai en perspective une trilogie qui débute avec le road movie dans le Sahara avec le titre, La naufragée du désert. Le second film s’appellera, Les noces d’Atlas, une histoire d’amour qui se déroule pendant la guerre d’Algérie dans le monde rural. 

Et, enfin, le troisième film aura pour titre, La côte barbare, l’histoire d’un chasseur de lions qui est confronté aux forces ottomanes. J’ai déjà un scénario qui est terminé. Je mettrai tout en œuvre pour la production de cette trilogie algérienne. Je soumettrai le scénario aux institutions algériennes de la culture pour pouvoir avoir un financement et les autorisations de tournage. 

 

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