Le mois de Ramadhan est une période phare pour l’industrie publicitaire en Algérie. Avec une audience massive devant les écrans et sur les réseaux sociaux, les annonceurs redoublent d’efforts pour capter l’attention. Spots publicitaires incessants, placements de produits omniprésents et budgets publicitaires en hausse : le marché de la communication explose.
Mais derrière cette manne financière se cache aussi une problématique de régulation, comme le montre la récente mise en demeure adressée par l’Autorité nationale indépendante de régulation de l’audiovisuel, Anirav, à plusieurs chaînes de télévision.
Chaque année, les marques et agences publicitaires investissent massivement dans les campagnes de communication durant le Ramadhan. Elles veulent atteindre «un stock de notoriété» pour le reste de l’année, et déclencher ainsi l’acte d’achat dans un contexte économique sensible où l’inflation dicte sa loi. Pour les annonceurs, le taux d’audience sur la TV est un taux qu’on ne retrouve nulle part ailleurs (surtout autour des écrans F’tour et après F’tour).
Globalement, le plus gros des investissements est concentré sur les deux premières semaines suivies d’une piqûre de rappel la dernière semaine avant la fête de l’Aïd. En sa qualité du mois le plus sacré de l’année pour les musulmans, le Ramadhan offre aux marques une occasion unique de se connecter avec les consommateurs, de présenter leurs produits et services et de toucher un maximum d’audience en un seul coup.
Le Ramadhan s’accompagne généralement d’une augmentation significative des dépenses de consommation des ménages. Cela offre aux entreprises la possibilité d’augmenter leurs ventes grâce à des publicités et des promotions ciblées. Les comportements d’achat sont complexes, car les consommateurs utilisent à la fois des canaux online et offline pour s’approvisionner.
Le géant Meta a sorti un rapport interactif qui explore les changements de comportement et d’attitude des observateurs et des acheteurs du Ramadhan dans 12 marchés-clés. La conclusion à tirer de ce rapport est que «si vous souhaitez augmenter vos ventes, vous ne voudriez pas manquer une énorme opportunité comme le Ramadhan et Aïd El Fitr au cours desquelles les ventes ont tendance à doubler et parfois à tripler». Les entreprises prennent en compte ces changements et adaptent leurs stratégies publicitaires. Par exemple, les publicités qui font la promotion d’aliments et de boissons sont diffusées à un moment coïncidant avec la rupture du jeûne.
Les marques ne jeûnent pas
De nombreuses entreprises y voient un moment-clé pour atteindre leur public cible, ce qui signifie que la concurrence est très féroce. Il y a tant d’encombrement publicitaire, et les marques cherchent une nouvelle visibilité. Beaucoup de marques se tournent vers les réseaux sociaux qui attirent davantage d’audience. Les Algériens passent beaucoup de temps sur leurs smartphones, et cette tendance ne fait que s’accentuer. Google a publié des données qui montrent clairement que la population de la région MENA passe plus de temps en ligne, utilise plus les smartphones et regarde davantage de vidéos YouTube pendant le Ramadhan. Malgré cela, Google avait affirmé que la plupart des marques de la région MENA ne profitent pas de cette opportunité.
Au lieu de cela, «elles continuent de se battre pour un espace publicitaire limité notamment à la télévision». Les raisons sont multiples. Les Algériens passent plus de temps devant leur écran, particulièrement après l’Iftar, moment où les chaînes programment leurs émissions phares (feuilletons, caméras cachées, talk-shows).
Le Ramadhan est synonyme de hausse des dépenses en produits alimentaires, électroménagers et autres biens de consommation, ce qui pousse les marques à rivaliser de créativité pour séduire les clients. En parallèle de la télévision, les plateformes comme Facebook, Instagram, TikTok et YouTube deviennent des terrains de jeu privilégiés pour les annonceurs.
Les estimations évoquent des investissements de plusieurs milliards de dinars, rien que pour cette période. Entre enchères publicitaires en hausse et stratégies marketing de plus en plus agressives, la concurrence reste rude. Le phénomène le plus marquant demeure l’explosion des coupures publicitaires.
Certaines chaînes multiplient les interruptions publicitaires de manière excessive, au point d’altérer l’expérience des téléspectateurs. En plus des spots traditionnels, le placement de produit est devenu monnaie courante, certains programmes se transformant en véritables vitrines promotionnelles.
Pour faire face aux budgets réduits, plusieurs feuilletions sont obligés de recourir au placement de produits. Aujourd’hui, les producteurs doivent eux-mêmes trouver des sponsors. Pire, certaines productions proposent directement aux marques d’intégrer des TVC (publicités télévisées) sans véritable stratégie de marque ni ligne directrice.
Il est courant de voir des personnages utiliser des produits alimentaires ou des boissons comme des marques de café (notamment en capsules) ou encore des produits d’hygiène (Cotex). Cependant, cette frénésie a attiré l’attention des autorités de régulation. L’Anirav a récemment sanctionné cinq chaînes de télévision : Echorouk TV, El Hayat, Ennahar, Bahia et TV6, pour dépassement des limites légales en matière de publicité.
L’organisme leur a donné 72 heures pour se conformer aux règles en vigueur, sous peine de sanctions financières et de suspensions potentielles de programmes. Selon le communiqué officiel de l’Anirav, ces chaînes ont «privilégié leurs intérêts lucratifs au détriment de l’intérêt du téléspectateur», en allongeant les coupures publicitaires et en multipliant les placements de produits abusifs.
Si la publicité est essentielle pour la survie économique des médias, elle ne doit pas se faire au détriment de la qualité des programmes.
Le défi est de trouver un juste équilibre entre rentabilité et respect des réglementations. Ces abus limitent fortement, voire rendent nul l’efficacité publicitaire. Aujourd’hui, on parle de «l’économie de l’attention». L’intervention de l’Anirav montre une volonté de préserver une certaine éthique dans l’audiovisuel. Le débat sur l’omniprésence de la publicité durant le Ramadhan n’est pourtant pas nouveau.
L’Anirav pourrait durcir le ton et imposer des sanctions plus sévères si les chaînes persistent dans leurs pratiques excessives. De leur côté, les annonceurs devront repenser leurs stratégies pour éviter un rejet du public face à une saturation publicitaire. Kamel Benelkadi