Projet de loi pour la prévention et la lutte contre la traite des êtres humains : 72 articles pour protéger les victimes et sanctionner lourdement les auteurs

22/03/2023 mis à jour: 20:00
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Le débat autour du projet de loi relatif à la prévention et à la lutte contre la traite des êtres humains, présenté et défendu par le ministre de la Justice en début de semaine, a été très timide et ne risque pas d’aboutir à l’enrichissement de ce texte de 72 articles, puisque le peu d’amendements proposés concerne plus la forme que le fond de ce texte, dont l’adoption est prévue la semaine prochaine. 

Ce qui a permis au ministre de la Justice d’être à l’aise lors de l’audience consacrée aux réponses aux questions des députés, concentrées autour de l’opportunité d’une telle loi, la notion de protection des personnes vulnérables et celle des enfants, sachant qu’un texte de loi liée à cette protection existe déjà, de même que pour le trafic de migrants. 

Le ministre a répondu qu’il «s’agissait de se mettre en conformité avec les conventions, accords et protocoles signés par l’Algérie depuis plus de 20 ans et d’élaborer une loi spécifique à la traite des humains, même pour anticiper sur ce phénomène, même s’il reste marginal dans notre société». 

Pour lui, «le contrôle et le suivi restent l’une des missions de la commission nationale de prévention contre la traite des humains, qui existe depuis 2016, et qui, en vertu de ce nouveau texte, se renforcera pour être plus réactive».

 Articulé autour de 76 articles, le projet de loi comporte 8 chapitres : la définition des termes, la prévention des crimes de traite des humains, le rôle de la commission nationale de prévention et de lutte, l’assistance et la protection des victimes, les procédures judiciaires, les jugements pénaux et la coopération internationale. 

Ainsi, la traite des humains est définie comme étant l’acte de «mobiliser ou transporter, transférer, héberger, recevoir toute personne ou plus par la menace ou toute autre forme de rapt, ou fraude, d’abus de pouvoir ou de fonction, de la vulnérabilité ou tout octroi ou réception de fonds ou d’avantages pour obtenir l’accord d’une personne ayant l’autorité sur une autre personne dans le but de l’exploiter. 

Cette exploitation englobe la prostitution, ou toute forme d’exploitation sexuelle, l’exploitation de personnes dans un but d’amusement, de travail forcé ou d’esclavage ou à des pratiques qui ressemblent à l’esclavage, ou dans le but de prendre des organes». 

La traite des humains constitue aussi «l’octroi ou la perception de fonds ou d’avantages pour vendre, remettre, ou obtenir un enfant et ce, quelle qu’en soit la raison». Lorsqu’il s’agit d’un enfant, il suffit juste que l’intention d’exploitation soit avérée pour qu’il soit considéré comme victime. 

Le projet de loi définit la victime comme étant «toute personne physique qui a subi un préjudice physique et moral résultant d’une des formes de la traite des humains, indépendamment de son sexe, son origine, sa couleur, sa religion, sa langue, sa nationalité, son appartenance ethnique», mais aussi indépendamment du fait «qu’il soit auteur d’un crime, identifié, arrêté, jugé ou condamné». 

Les personnes en situation de vulnérabilité sont celles qui «se retrouvent obligées céder à l’exploitation en raison de leur âge, de leur nationalité, de leur handicap, ou de leur incapacité corporelle, cérébrale, psychologique ou de leur situation de besoin, du fait de leur état de santé, des circonstances socioéconomiques ou illégales». 

 

Prostitution, esclavage, asservissement, mariage précoce… 

Les cas considérés comme faisant partie des actes de traite des humains sont nombreux. D’abord le travail forcé qui est l’acte d’obliger une personne à faire un travail, qu’il soit rémunéré ou non, contre son gré en recourant à la force, la menace ou à toute autre forme de contrainte. L’esclavage fait aussi partie de cette catégorie, et renvoie, selon la définition de ce projet de loi, à toute situation où s’exercent, contre une personne, des pouvoirs résultants du droit partiel ou total à la propriété mais aussi obliger une personne à faire des travaux ou des prestations selon des conditions qui ne lui permettent pas de s’en libérer ou de changer sa situation. 

Le projet de loi a également défini «l’asservissement» comme un acte de traite des humains, «à travers l’obligation d’une personne, en vertu de la loi, accord ou entente, de vivre et de travailler chez une autre personne et de faire des tâches particulières à celle-ci en contrepartie d’un revenu ou pas, et sans qu’elle puisse avoir la liberté de changer sa situation».

 Il a également considéré que «tout acte ou pratique qui permet la promesse de mariage d’une femme ou d’une mineure ou de leur mariage tout court, sans qu’elles aient le droit de refuser, ou de se rencontrer en contre partie de l’argent ou de tout autre avantage versé à leurs parents, leurs tuteurs, leurs familles ou à toute autre personne ou groupe de personnes, ou l’octroi au mari, aux membres de sa famille, ou à d’autres personnes, le droit désistement sur son épouse en contre partie de l’argent ou faire de l’épouse un héritage d’une autre personne, après le décès du mari». 

L’exploitation sexuelle fait désormais partie des crimes liés à la traite des humains. Le projet de loi la définit comme étant «l’obtention d’avantages, quelque soit leur nature, d’une personne qui pratique la prostitution, ou tout service sexuel, notamment son exploitation dans des scènes pornographiques à travers la production, la détention et la distribution par n’importe quel moyen des produits pornographiques».

 Le projet de loi a consacré non seulement la protection des témoins et des dénonciateurs, mais aussi celle des victimes de la traite des humains, à travers «leur hébergement dans les structures de l’Etat et les centres d’accueil, afin qu’elles puissent recevoir leurs familles, leurs avocats et membres des associations» une prise en charge sécuritaire, sanitaire et judiciaire, ainsi que la facilitation de l’obtention des droits». 

Il prévoit cependant de lourdes peines contre les auteurs de ces crimes et leurs complices, qui peuvent aller de 5 à 10 ans de prison assortis d’une amende de 500 000 à 1,5 million de dinars. Cette peine est portée à une détention provisoire de 10 à 20 ans et une amende de 1 à 2 millions de dinars lorsque l’auteur «est l’époux de la victime ou un membre apparenté, affilié, son tuteur, un fonctionnaire dont la fonction a facilité le crime», mais aussi «lorsque la victime est un enfant, une personne à besoins spécifiques ou en situation de vulnérabilité, ou que le crime a été commis par plusieurs individus, contre de nombreuses personnes, ou contre une quelconque personne ou groupe de personnes pour leur appartenance ethnique, avec des armes ou menace de l’usage des armes». 


20 à 30 ans de réclusion contre les auteurs de crimes à caractère transfrontalier

La même peine est par ailleurs infligée dans le cas où l’auteur aurait utilisé des produits anesthésiants ou psychotropes afin de neutraliser la victime, confisqué, détruit, falsifié, le passeport ou tout autre document d’identité de la victime, commis le crime en utilisant des menaces de mort et de torture, ou pendant une crise sanitaire, une catastrophe naturelle, biologique ou en recourant aux moyens technologiques d’information et de communication.

 Si les crimes de traite des humains ont été commis par un groupe dans le cadre d’une organisation criminelle, ou ayant un caractère transfrontalier ou dans le cadre d’un conflit armé, la peine encourue est comprise en 20 et 30 ans de réclusion assortie d’une amende de 10 à 20 millions de dinars et si la victime a fait l’objet de torture, de violences sexuelles, ou que celles-ci soient suivies de handicap ou de mort, la peine infligée est la réclusion à vie. Le projet de loi prévoit 5 à 10 ans de prison et une amende allant de 500 000 à 1 million de dinars contre toute personne qui «crée, dirige ou supervise un site, un compte électronique ou un programme d’information dans le but de commettre le crime de traite des humains ou faire son apologie ou de la publicité dans ce sens».

 
Ne pas dénoncer les crimes de traite des humains dont on a eu connaissance est puni d’un emprisonnement de 1 à 5 ans. Cette peine est portée de 2 à 7 ans de prison lorsque la personne concernée «est un agent public ou que le crime a été commis parce que ce dernier a manqué à ses obligations professionnelles ou sa mission, même s’il est soumis à l’obligation du secret professionnel». 

Toute personne qui bénéficie, en connaissance de cause, d’un service, d’un intérêt ou d’un quelconque acte effectué par l’une des victimes de la traite des humains est quant à elle punie d’une peine de 1 an à 5 ans de prison, laquelle peine passera de 5 à 12 ans de prison si la personne est en situation de vulnérabilité. 

En outre, «toute personne qui divulgue des informations obtenues dans le cadre de l’exercice de ses fonctions et qui peuvent aboutir à l’identification de la victime, d’un des témoins ou des dénonciateurs encourt de 1 à 5 ans de prison. 

Cette peine passe de 2 et 7 ans de prison si ces informations ont abouti à l’identification de la victime, des témoins et des dénonciateurs. Toute personne qui recourt à la vengeance, la terreur, la menace sous toutes ses formes, contre les victimes, témoins, dénonciateurs, experts, les membres de leurs familles ou toute autre personne qui leur sont affiliées, est punie d’une peine allant de 5 à 10 ans.

 Pour ce qui est des personnes impliquées dans les réseaux d’immigration clandestine, le projet de loi prévoit des sanctions pécuniaires contre les transporteurs qui ne respectent pas la réglementation qui régie l’entrée sur le territoire nationale et punit «de 3 à 10 ans de prison toute personne appartenant ou qui prend part d’une quelconque manière, sur le territoire national ou à l’extérieur, à une organisation criminelle, ou s’entend avec celle-ci dans le but de faire ou de se préparer à commettre un des crimes cités dans la loi sur la traite des humains. Toute personne qui crée ou dirige ces entités est condamnée d’une peine allant de 10 à 15 ans de prison et une amende de 1 à 1,5 million de dinars. 

Ceux qui cachent un des criminels, des fonds obtenus par ces crimes, ou toute information sur ces derniers et les moyens de leur accomplissement». Les auteurs condamnés pour des crimes de traite des humains n’ouvrent pas droit aux circonstances atténuantes sauf dans le cas où ils auraient écopé du tiers de la peine prévue par la loi. 

Les juridictions bénéficient de la possibilité de mettre les auteurs de crime de traite des humains, après leur libération, «sous contrôle sanitaire, psychologique, ou électronique pour une durée ne dépassant pas une année (…)». Elles peuvent «interdire à tout étranger condamné pour les crimes de traite des humains de résider sur le territoire national de manière définitive ou pour une durée ne dépassant pas 10 ans».

 En outre, les membres des organisations de traite des humains qui dénoncent ces actes avant le leur accomplissement, en sauvant des victimes, ou en identifiant les auteurs etc., «sont exclus de la sanction pénale». 

La prescription en matière d’action publique pour ces crimes est portée à 10 ans révolus, lorsqu’il s’agit de délits, à 20 ans révolus, lorsqu’il s’agit d’une réclusion provisoire et à 30 ans révolus, dans le cas d’une condamnation à perpétuité. 

Cette prescription est valable si aucun acte de procédure de poursuite ou d’enquête n’a eu lieu durant les périodes suscitées, et ce, à compter du jour où les faits ont été commis. 

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