Le film «Argu» (rêve, à l’impératif) de Omar Belkacemi a été projeté mardi à la cinémathèque d’Oran en présence du réalisateur et d’une partie de l’équipe de tournage.
Un film auquel le public a réservé un accueil plutôt favorable, mais qui a en même temps suscité un débat face aux critiques formulées par quelques-uns.
Pour le réalisateur c’est tant mieux que chacun puisse donner son avis mais pour lui il s’agit d’un regard parmi tant d’autres sur notre société. Longues séquences, beaucoup de plans fixes, des paysages à profusion, des portraits d’hommes et de femmes, des silences caractérisent ce premier coup d’essai qui, même teinté d’un soupçon d’exotisme, reste néanmoins poignant.
A titre illustratif, en multipliant les séquences de femmes transportant sur leurs épaules de lourds fardeaux (peut être ceux de la vie) alors que les hommes sont montrés en train de jouer aux dominos ou déambuler dans les marchés est certes une caricature poussée à l’extrême mais c’est sans doute pour mieux pointer du doigt une inégalité sociale qui subsiste même dans ces expressions les plus subtiles.
Subtile est également cette image de la sœur qui fait lentement le tour du «barreaudage» qui cerne la totalité de la terrasse de la maison, un enfermement qui ne dit pas son nom. Dans un village perdu au milieu des montagnes, le temps s’écoule très lentement mais le décor est également propice à la rêverie. C’est cette dualité entre une certaine vision du réel social et les possibilités d’évasion par l’image (la nature) qui sont proposés aux protagonistes principaux mais en même temps au spectateur.
L’évasion c’est aussi par la musique comme dans ce tableau relatif au chant choral féminin, probablement traditionnel, dont la mélodie, si c’est le cas, a été reprise en la magnifiant dans le titre Iya Athagmats du premier album du groupe Yugurthen datant de 1978. Sans tout cela l’œuvre se limiterait à ces aspects didactiques concernant la place de l’individu dans la société, la liberté individuelle face au poids de la collectivité, la difficulté à accepter l’autre lorsqu’il opte pour des choix de vie différents, etc. Toutes ces considérations prises en compte dans ce long métrage sont insérées dans une certaine «poésie de l’image» (une remarque exprimée dans le public) faisant que les lenteurs, au lieu d’ennuyer, confèrent au contraire du relief au récit.
Un intervenant dans le débat a évoqué à juste titre un lien avec le film La citadelle (1989) de Mohamed Chouikh mettant également en scène un marginal mais cette fois dans un village de l’Oranie. La comparaison s’arrête là mais la remarque vaut son pesant d’or, car mettant en avant l’importance de la filmographie nationale. «Les problématiques posées concernent toute l’Algérie», s’est insurgée une intervenante laissant entendre que si dans les grandes villes, on n’est pas sorti de l’auberge, que dire des localités de l’Algérie profonde. Un intervenant réagissant notamment à l’image de la bouteille de vin s’est inquiété du fait que ce film «sort un peu du cadre du cinéma algérien».
Pourtant, Argu, qui reste un film très pudique, ne fait pas non plus l’apologie de l’alcool mais la scène, ordinaire, était importante pour montrer la détresse d’un homme, un ancien immigré ayant été séparé de sa femme et de sa fille. Mais, pour ce cas précis, c’est sans tenir compte des films comme Omar Gatlato (1976) de Merzak Allouache ou Les vacances de l’inspecteur Tahar (1973) de Moussa Haddad qui ont eu énormément de succès populaire dans les salles à leur époque mais qui n’avaient fait, là aussi, que montré une réalité qui existe en Algérie, ce qui n’avait à l’époque suscité aucune réaction de ce genre. A cela, sur un autre registre, tout aussi pudique, il faut ajouter la belle histoire d’amour du film Le vent du Sud (1975) de Mohamed Slim Riyad (la version diffusée dans les salles). Ces films étaient portés par des acteurs confirmés.
Ce n’est pas le cas pour Argu. Pour le choix des acteurs, le réalisateur explique qu’il a opté pour des gens de son propre entourage, des hommes et des femmes qui n’ont pas d’expériences remarquables dans la comédie mais chez qui il a décelé du potentiel. C’est le cas pour l’interprète du rôle de Koukou (campé par Kouceila Mustapha), présent à la projection, mais aussi de Djura Bouamara à qui on a confié le rôle de la sœur «Jura» et dans le père (dans la vie) est également distribué (deuxième notable du village). L’expérience de celle-ci se limite au théâtre amateur dans un cadre associatif et de petits courts métrages dont l’un sur le machisme Chlaq (sur Youtube). «Le réalisateur a trouvé dans mon regard, j’ignore d’ailleurs pourquoi, une certaine mélancolie et c’est ainsi qu’en écrivant son scénario, il s’est tout de suite dit que le rôle était pour moi», explique-t-elle. Le constat est valable pour l’ensemble des acteurs distribués.
«Evidemment, par la suite il fallait répéter et bien travailler son rôle», ajoute-t-elle précisant que cette expérience l’a motivée à poursuivre dans cette voie en espérant saisir les opportunités qui pourraient se présenter à l’avenir. Parlant de son travail, Omar Belkacemi déclare assumer ses choix esthétiques et ne compte pas s’arrêter en si bon chemin car un autre film est en chantier. «Mon film a suscité un débat contradictoire, c’est le propre de l’art mais pas seulement car lorsqu’on exprime une opinion, il y a forcément des avis différents, voire même des hostilités», indique-t-il en aparté mais, ajoute-t-il, rassuré, «dans l’ensemble, l’accueil est favorable, ça été un réel plaisir et Je suis très content.»
Le film qui est passé dans plusieurs festivals à l’étranger venait d’être également projeté à Constantine et à Alger et il sera encore distribué ailleurs en Algérie dans les cinéclubs, les villages, les quartiers, etc. «Le film a reçu un très bon accueil mais les oppositions sont aussi dans mon propre village et je dirai même dans ma propre famille mais c’est un choix, c’est subjectif, c’est mon regard sur la société, sur mon environnement, un mélange de ce que je vois, de ce que je vis, de ce que j’ai vécu, etc.»
Omar Belkacemi a été révélé suite à la réalisation de son court métrage Lmuja (La vague), Tanit de bronze aux journées cinématographiques de Carthage en 2015, ce qui lui a permis de bénéficier de l’aide du ministère de la Culture (fonds de soutien au cinéma algérien) sur proposition, indique-t-il, de Ahmed Bedjaoui à l’époque où Azzedine Mihoubi était ministre de la Culture. Un hommage particulier est rendu au cinéaste Cherif Aggoune (1951-2019), crédité en tant que producteur dans le générique.