Procès des deux ex-Premiers ministres Ahmed Ouyahia et Abdelmalek Sellal : La défense plaide «l’illégalité» des poursuites

12/05/2022 mis à jour: 01:02
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Photo : D. R.

Les avocats de GB Pharma, appartenant aux frères Benhamadi, ont réclamé la levée de la saisie, estimant que le décès de Moussa Benhamadi en prison «aurait dû entraîner l’extinction des poursuites, ce qui n’a pas été fait».

La défense des deux anciens Premiers ministres, Ahmed Ouyahia et Abdelmalek Sellal, a démonté, mardi dernier, les griefs pour lesquels ces derniers ont été condamnés en accordant «d’indus avantages» au groupe GB Pharma, appartenant aux frères Benhamadi, pour la réalisation d’une unité de fabrication de médicaments et l’obtention auprès de Mobilis d’un contrat de gré à gré pour la mise sur le marché de packs de tablettes et de téléphones Condor, avec des puces de l’opérateur public.

Des faits, pour lesquels ils ont été condamnés à une peine de 5 ans de prison ferme, assortie d’une amende d’un million de dinars, confirmée par la cour en février 2021. Et après un pourvoi en cassation, le procès est revenu, une seconde fois, devant la chambre pénale près la cour d’Alger, autrement composée, pour «non-motivation des décisions».

Pour l’avocat de Abdelmalek Sellal, Me Mourad Khader, «si on appliquait la loi, Sellal aurait été, dehors, en liberté. La Constitution de 2020 et celle qui l’a précédée en 2016 ont institué une Haute Cour de l’Etat, pour les faits commis par les Premiers ministres et les membres du gouvernement. Ni le pôle pénal ni cette chambre ne sont légalement habilités à le juger. Il y a une flagrante violation de la loi».

Me Khader est indigné contre le traitement de cette affaire : «Tous les dossiers de la Cour suprême dans lesquels il est impliqué ont été scindés avec ceux des hommes d’affaires instruits au niveau du pôle, sauf celui-là, où il est jugé séparément. Pourquoi ? Nous n’en savons rien. Mais, d’un autre côté, nous pensons que les décisions rendues par la justice, en appel, sont de manière indirecte en sa faveur.»

L’avocat évoque le grief de financement occulte de la campagne électorale du défunt président déchu, pour un 5e mandat et déclare «insensée» cette poursuite. «On commence par l’accuser de financement de parti politique, puis découvrant qu’il s’agit d’un candidat et non pas d’un parti, alors ils requalifient les faits en financement de campagne électorale. Or celle-ci n’a même pas été ouverte. Comment peut-on le poursuivre ainsi ?» souligne Me Khader.

D’une voix coléreuse, l’avocat lance : «Comment peut-on l’accuser de financement de la campagne électorale alors qu’il a bénéficié d’une extinction des poursuites en 2020 et la décision existe dans le dossier ?» Il s’interroge par ailleurs sur ce qu’il appelle de «prétendus indus avantages», en rappelant : «Le CNI (Conseil national d’investissement) est une institution souveraine qui décide à l’unanimité de ses membres.

Si vous condamnez son président, qui est le Premier ministre, vous condamnerez l’Etat.» Et d’aborder le contrat entre Mobilis et GB Pharma en déclarant : «C’est une opération commerciale réussie. Elle a permis à Mobilis d’augmenter son chiffre d’affaires.

Malheureusement, il y a eu de faux rapports contre Sellal pour le noyer. L’IGF (Inspection générale des finances) a, je le dis et le redis, commis un faux. Cela a été vérifié, puisqu’il y a eu par la suite une autre expertise qui a prouvé le contraire.» Me Khader se demande : «Comment peut-on dire que l’instruction du Premier ministre, qui plaide pour l’encouragement du produit national, peut être considérée comme contraire à la loi ?», avant de réclamer «l’extinction de l’action publique» contre son mandant.

«Tous ceux qui ont enquêté sur ces dossiers sont en prison…»

Lui emboîtant le pas, Me Mohamed Benkraouda, avocat d’Ahmed Ouyahia, entame sa plaidoirie en affirmant qu’il est «très difficile de bâtir un Etat de droit, alors que la loi n’est pas appliquée. Ni la Constitution ni les formes ne sont respectées». «Le prévenu se trouve à la prison d’Abadla, à Béchar, à 2000 km. Ce qui rend la mission de la défense extrêmement difficile. On l’a évacué d’Alger, en pleine instruction et le procureur vient nous dire ici qu’il aurait fallu changer la loi et ne pas obéir à des directives. Je peux vous citer, Monsieur le procureur, de nombreuses directives données par des ministres de la Justice, mais cela n’a pas entraîné des poursuites», crie Me Benkraouda.

Pour lui, «tous ceux qui ont enquêté sur ces dossiers sont en prison, décédés ou dégradés. C’est le résultat de la justice divine. Ces dossiers ont commencé dans le sillage du hirak, qui a été par la suite utilisé comme moyen de vengeance. On poursuit le Premier ministre pour des dossiers traités par le CNI en 2016, alors qu’il n’était même pas en fonction et on a saisi et confisqué son unique maison. Demain, lorsqu’il sortira de prison, il ne trouvera même pas où aller».

L’avocat fixe le regard attentif de la présidente et lui lance : «Regardez, comment il a fini après plus de 20 ans au service de l’Etat. Rappelez-vous comment les poursuites ont été engagées. D’abord on passe le dossier de l’homme d’affaires Mahieddine Tahkout, puis des rumeurs ont fait passer les bus de la société de ce dernier, comme propriété du prévenu et la suite, tout le monde la connaît. On a oublié que le pays a vécu 20 ans de développement à travers de lourds investissements dans les autoroutes, le logement, le transport pour s’arrêter uniquement sur une instruction pour mettre Ouyahia en prison. Les répercussions de ces poursuites sont lourdes.

Les fonctionnaires refusent de signer la plus simple des décisions. Ils ont peur parce qu’ils se disent que s’ils signent et que demain le Président s’en va, ils se retrouveront en prison.» Revenant sur les faits et avant de réclamer la relaxe, Me Benkraouda interroge les magistrats : «Est-ce que le prévenu a signé un quelconque marché ? Bien sûr que non. Il n’est pas habilité à le faire», puis précise : «Il a présidé le CNI, qui est une institution souveraine composée de 12 ministres et dont la décision est collégiale et souveraine. Assez de danse sur le cadavre des lions. Ouyahia a dix procès sur le dos, il est trop fatigué.»

Lui succédant à la barre, l’avocat du groupe GB Pharma, entreprise poursuivie en tant que personne morale Me Khemis Zeraia, entame sa plaidoirie en rendant hommage au défunt Moussa Benhamadi, ancien ministre des Télécommunications, mort en prison, qui avait, selon lui, été poursuivi dans cette affaire «uniquement parce qu’il détenait 1%» des actions de GB Pharma et a révélé : «Nous avions introduit auprès du tribunal de Sidi M’hamed la levée de la saisie sur la société qui fait travailler des dizaines de travailleurs algériens. Mais la Cour suprême a impliqué celle-ci dans un nouveau dossier. Elle a été condamnée définitivement et fait l’objet d’une saisie.»

D’une voix coléreuse, Me Zeraia déclare : «Moussa Benhamadi est mort en prison, alors que l’instruction était en cours et le magistrat conseiller de la Cour suprême écrit deux mois après que les poursuites et les faits sont toujours en cours. Et en conséquence, la société a été saisie. Ne sait-il pas que la mort conduit à l’extinction des poursuites ? La cour a prononcé des relaxes au profit de 59 prévenus et condamné uniquement trois autres prévenus. Dans ce dossier, les experts ont tous déclaré que l’opération commerciale entre Condor et Mobilis n’a eu aucun préjudice. Bien au contraire, Mobilis et le Trésor public ont gagné de l’argent.»

L’avocat a terminé sa plaidoirie en demandant la relaxe et la levée de saisie sur le groupe. La présidente se retourne vers Ahmed Ouyahia et lui demande un dernier mot. «Si l’affaire concernait les faits, j’ai eu suffisamment d’occasions pour donner des précisions. Si elle concerne la violation de loi et des règlements, j’ai déjà démontré qu’aucun texte n’a été violé. Si l’affaire est liée à autre chose, je dis que je suis victime d’un contexte politique. Je ne suis pas un corrompu. Je suis innocent», répond l’ancien Premier ministre. 

Abdelmalek Sellal se contente d’une seule phrase : «Je suis innocent.» Le verdict est attendu pour le 24 mai. 

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