L’ancien PDG de Sonatrach, Mohamed Meziane, et son vice-président chargé des activités aval, Abdelhafid Feghouli, se sont renvoyés, hier, la responsabilité et les accusations dans l’élimination de l’émirati Petrofac du marché de réalisation du complexe gazier d’Arzew GNL3 au profit de Saipem, dont les représentants ont nié toute «surfacturation». Le procureur général a, cependant, requis une peine de 20 ans de prison contre l’ex-ministre de l’Energie, Chakib Khelil, avec confiscation de ses biens et ceux des membres de sa famille, mais aussi contre Mohamed Meziane, Abdelhafid Feghouli et les représentants de Saipem, en fuite à l’étranger.
Le procès en appel de l’affaire liée au contrat de réalisation du complexe gazier à Arzew (GNL3), obtenu en 2008 par la société italienne Saipem pour un montant de 4 milliards de dollars, s’est ouvert hier devant la chambre pénale près la cour d’Alger.
Au centre de ce dossier pour lequel 38 prévenus ont comparu, l’ancien ministre de l’Energie, Chakib Khelil, en fuite aux Etats-Unis, l’ancien PDG de Sonatrach, Mohamed Meziane, en détention (à Oran) pour une autre affaire, son ex-vice-président chargé des activités aval, Abdelhafid Feghouli, poursuivis pour «abus de fonction», «violation de la réglementation des marchés publics» et «octroi d’indus avantages», mais aussi les représentants de Saipem Algérie et Saipem Italie, jugés pour «fausse déclaration douanière» et «surfacturation».
Après une journée d’audition, le procureur général a réitéré le réquisitoire de première instance, qui faisait état de la réclamation d’une peine de 10 ans de prison assortie d’une amende de 2 millions de dinars contre Chakib Khelil, avec confiscation de tous ses biens et ceux de son épouse et de ses deux enfants, et la confirmation du mandat d’arrêt international lancé contre lui.
Le procureur a également réclamé une condamnation de 10 ans de prison ferme et une amende d’un million de dinars contre Mohamed Meziane, son vice-président, Abdelhafid Feghouli, et trois anciens responsables de Saipem, considérés comme étant en fuite, Massimo Chiyoda, Gilberto Bolato et Toufik Ferhat. Ont été également requises des peines allant de 3 à 5 ans de prison ferme et un million de dinars.
En ce qui concerne les sociétés Saipem Contracting, Chyoda, Stella Corporation, Snamprogetti, le procureur a demandé le paiement d’une amende équivalente à deux fois les montants de 9,967 millions d’euros et de 153 000 dollars et la confiscation de leurs biens. Le premier à passer à la barre est Abdelhafid Feghouli.
Il évoque sa carrière et ses diplômes, avant que la juge ne le ramène aux faits. Mais, le prévenu persiste à poursuivre ses propos. «Restez dans les faits qui vous sont reprochés», précise la présidente, mais Feghouli réplique : «Je veux vous donner un aperçu sur ma personne pour que vous sachiez que je ne suis pas sorti de nulle part et je ne suis pas venu sous les ailes de Chakib Khelil.» La juge : «Parlez-nous de ce contrat avec Saipem que vous aviez signé.» Feghouli explique que ce projet était déjà prêt avec tout le volet étude puisqu’il a été accordé à deux sociétés espagnoles, Repsol et Gaz Naturel, mais à la suite d’un problème, il a été annulé.
Échanges d’accusations et renvoi de responsabilités
«Nous avions décidé de lancer une consultation restreinte. J’étais à Alger et l’équipe qui travaillait sur le projet était à Oran. Je n’étais pas informé de tous les détails», dit-il. La présidente : «L’offre la moins-disante était celle de la société émiratie, Petrofac. N’est-ce pas ?» Le prévenu : «Avant d’arriver à l’offre commerciale, il fallait passer par l’offre technique, et Petrofac n’avait pas présenté de garanties, une condition nécessaire pour répondre au cahier des charges.
Elle a demandé un délai de 10 jours, qui lui a été accordé mais elle n’a pas présenté la garantie. Nous sommes passés au deuxième soumissionnaire, qui était Saipem.» La juge : «Vous aviez déclaré lors de l’enquête avoir opté pour Saipem sur instruction de Chakib Khelil. Est-ce le cas ?» Feghouli nie en disant : «La commission des offres s’est réunie à Oran, alors que moi j’étais à Alger.»
La juge : «Petrofac dit qu’elle a ramené la garantie dans les délais...» Feghouli répond : «Ce n’est pas vrai. Je savais qu’elle n’allait pas la ramener et je suis intervenu pour deux raisons. D’abord parce qu’il y avait une infraction flagrante aux procédures de la R15. Petrofac n’a pas respecté les conditions techniques et elle revient pour faire une offre commerciale. Je l’ai dit et vous pouvez visionner l’enregistrement diffusé par la Télévision publique le jour de l’ouverture des plis.»
La présidente insiste sur la question des instructions données par Chakib Khelil, Feghouli rappelle que sa conformation en tant que vice-président a été faire 10 mois après l’explosion du complexe de Skikda, qui avait fait 27 morts et plus d’une cinquantaine de brûlés, «la garantie est un gage de sécurité de l’unité… J’étais chargé des ressources humaines, il y a eu une mauvaise gestion de ce complexe…»
La juge : «Revenez aux faits. Pourquoi êtes-vous intervenu pour éliminer Petrofac ?» Feghouli persiste à déclarer que c’était pour satisfaire les conditions techniques. «Qui signe habituellement ce genre de contrats ?» lui demande la juge, et le prévenu affirme que c’est le PDG, précisant que «ce marché a fait économiser à Sonatrach la somme de 30 milliards de dinars. Qu’est-ce que je fais ici ?» La présidente se tourne vers Meziane qui apparaît sur l’écran de télévision depuis son lieu de détention. «Pourquoi n’avez-vous pas signé le contrat ?» lui demande-t-elle.
«C’est l’activité aval qui s’en charge. C’est la règle. C’est le vice-président qui négocie. Il a toute l’administration pour faire le travail», répond Meziane suscitant la réaction de Feghouli : «Ce n’est pas vrai !» Meziane poursuit : «C’est la procédure qui est de mise à Sonatrach depuis 1968.» La juge s’adresse à Feghouli : «Vous aviez déclaré que c’était une manœuvre pour éliminer Petrofac et que c’était sur instruction de Chakib Khelil.» Le prévenu dit ignorer cette déclaration, mais se ressaisit quelques minutes après en affirmant : «Je l’avais dit certes, mais je n’avais pas de preuves.»
Pour ce qui est du choix des prix forfaitaires, le prévenu explique que «c’est pour engager la responsabilité de la partie contractante vis-à-vis de Sonatrach». La juge : «Pourtant, il y a eu des avenants et les prix ont connu une hausse.» Feghouli fait remarquer : «Je n’y étais plus. Lors de la signature du contrat il y avait tout le monde. Le ministre, le PDG de Sonatrach et celui de Saipem, qui était une grosse pointure. Je ne voulais pas faire de scandale. J’ai signé le contrat type.»
La juge revient vers Meziane et lui demande qui avait rédigé les clauses de ce contrat. «C’est l’activité aval.» La juge : «C’est une usine clé en main, les prix ne pouvaient être touchés qu’en cas de force majeure.» Meziane garde le silence et Feghouli répond : «C’est la commission juridique qui prépare les contrats, et si on constate qu’il y a eu un trop perçu, on exige la restitution. Ma mission se limite à vérifier la présence de deux signatures, du responsable technique et du responsable juridique.
Sans les deux paraphes, je ne signe pas.» Faisant allusion à Meziane, Feghouli, d’un ton colérique, lance : «Il parle d’une organisation et d’une procédure, mais il n’y a rien. C’est lui qui fait tout. Il m’a envoyé à la réunion. Je ne peux pas lui dire non. Si je refuse, c’est quand même honteux devant le PDG de Saipem. Durant mes 33 ans au sein de Sonatrach, je n’ai jamais failli au respect de l’échelle de ma hiérarchie. Il m’a demandé une copie du contrat qu’il a lue et donné son accord pour la signature.»
La juge : «Selon vous, pourquoi n’a-t-il pas signé ?» Feghouli ne donne pas de réponse. Il se limite à préciser : «C’est lui qui devait signer. J’étais PDG de Naphtec et, à ce titre, c’est moi qui signais les contrats.» Meziane : «Jamais. C’est lui qui signe. Cela relève de son activité. C’est la procédure. Le ministre lui transmet directement les contrats. Je ne reçois que les copies.»
La juge revient vers Feghouli, qui explique : «Ce n’est pas vrai. Il avait des pouvoirs illimités.» Interrogé sur l’offre de Saipem, le prévenu révèle que l’entreprise italienne était certes classée 2e, mais après l’élimination de Petrofac, il y a eu des négociations pour faire baisser son prix de 62 000 DA la tonne à moins de 55 000 DA, montant proposé par Petrofac.
«Saipem a accepté les conditions et présenté une garantie, ce qui fait qu’elle a fait une offre très intéressante pour Sonatrach, aussi bien pour le volume de production, que pour le délai de réalisation», dit-il. A propos des marchés obtenus par son fils Sofiane, Feghouli affirme que ce dernier a soumissionné entre 2013 et 2014, alors que lui avait quitté Sonatrach en 2010.
Les auditions et les plaidoiries de la défense se sont poursuivies jusqu’en fin de journée. Nous y reviendrons.