Privatisation des banques publiques en Algérie et réformes monétaires et bancaires : Quelle feuille de route ?

23/04/2023 mis à jour: 03:01
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Photo : D. R.

L’ouverture du capital (privatisation partielle ou complète) des banques publiques en Algérie est une étape importante qui devrait améliorer la qualité de service, renforcer les performances du système bancaire et contribuer davantage à soutenir les objectifs de croissance du pays.

Vu la forte domination du secteur public et les interrelations réelles, bancaires et financières, l’ouverture du capital doit de ce fait être inscrite dans le contexte d’une vaste réforme financière et bancaire cohérente articulée autour d’une stratégie globale de refondation de l’économie.

Le système bancaire algérien (SBA) a fortement évolué au cours des six dernières décennies. Les réformes du milieu des années 1990  avaient permis de faire évoluer le fonctionnement du SBA, avec notamment le recours à des instruments indirects de gestion. L’arrêt de ces dernières, conjuguée à un certain nombre de contraintes internes, ont causé des dysfonctionnements mis à nu par les chocs pétroliers de 2014 et 2020 et la pandémie de 2020-2021.

Ces dysfonctionnements couvrent un certain nombre de domaines. Les autorités ont entamé des réformes depuis 2015 mais les progrès accomplis à ce jour sont modestes. Au cours de ces deux dernières années, le renforcement des performances du SBA et la mise en place d’une nouvelle architecture financière et bancaire (avec notamment la préparation d’une nouvelle loi sur la monnaie et le crédit) focalisent, à juste titre, l’attention des autorités, avec un intérêt renouvelé pour une ouverture du capital des banques publiques.

Si cette dernière se matérialisait et des réformes d’accompagnement prises en simultanéité, elles feront faire franchir une nouvelle étape qualitative au système bancaire et par contrecoup à l’économie nationale. Deux grands défis qu’il prendre en charge dans le cadre d’un processus complexe de réformes. Détaillons tout cela dans les lignes ci-dessous.

Le système bancaire national est sous-performant et inadéquat pour une économie qui veut gagner en efficacité.

Evolution depuis 1962 à nos jours : (1) 1962-1966 : marquée par la coexistence d’un système mixte avec quelques banques françaises tournées vers le financement des opérations de commerce extérieur coexistant avec la Banque Centrale d’Algérie (BCA) et des établissements non bancaires (CAD, CNEP, compagnies d’assurance) mises en place à partir de 1963 ; (2) 1966-1967 :  nationalisation des banques étrangères en activité et création de trois grandes banques publiques en 1966 (BNA et CPA) et 1967 (BEA) en prévision d’un appui à la politique de planification des investissements au cours des décennies 1970s et 1980s ; (3) 1970s-1980s : un système bancaire de taille modeste et segmenté, bras financier neutre de l’état en matière d’investissements publics ; (4) 1990s :  réformes des banques visant à les faire évoluer de simple canaux de transmission des fonds du Trésor aux entreprises publiques en un véritable système bancaire qui jouerait un rôle dynamique dans la mobilisation et l’allocation des ressources sur la base des forces du marché et de la concurrence (avec recours à des nouveaux instruments de politique monétaire, la libéralisation des taux d’intérêt, la libéralisation progressive du compte courant et l’adoption d’une politique de change plus flexible) ; et (5) années 2000s à ce jour : caractérisée par la mise à nu de nombreuses distorsions à la faveur du chocs pétroliers de 2014 et de 2020 et de la pandémie.

Indicateurs de performance : (1) Taille: (i) 6 banques d’Etat mais aucune ne disposant d’une position de domination ; (ii) 14 banques privées finançant les grandes entreprises privées et leurs opérations de commerce international; et (iii) 8 sociétés de financement accordant des prêts d’investissement, dont 5 font du crédit-bail et représentent moins de 1% du crédit total; (2) Pénétration et inclusion financière: (i) 1 banque pour 25 000 habitants, un taux de pénétration bancaire insuffisant (la moyenne au Maghreb est de 1 pour 6000-10,000 habitants); et (ii) environ 3 millions de déposants, signe d’une faible inclusion financière; (3) Intermédiation: (i) un crédit total représentant 40,5 % du PIB à fin 2022, soit un faible niveau d’intermédiation en dépit de progrès récents ; (ii) des marges d’intérêt représentant en moyenne 2/3 du bénéfice d’exploitation, révélatrices d’une absence de concurrence ; et (iii) un niveau de crédit au secteur privé (21,3% du PIB en 2022) relativement modeste, en comparaison internationale (plus de 50%); (4) Configuration: marquée par : (i) une concentration des banques d’état qui représentent 86% des prêts à l’échelle du système, une domination n’incitant pas le secteur public à se remettre en question encore moins à progresser ; et (ii) une segmentation du marché bancaire avec les banques publiques travaillant essentiellement avec les entreprises publiques et les banques privées accompagnant leurs clients dans le financement des opérations du commerce extérieur.

Nonobstant un certain dynamisme dans la gestion et des avancées technologiques, le secteur privé est loin de participer, pour diverses raisons internes et externes, à la définition d’un nouveau modèle de financement moderne dont le pays a grandement besoin. Un tel système ne peut appuyer une refondation de l’économie du pays.

Les distorsions : outre la mauvaise qualité des prestations à la clientèle, l’absence d’innovation et le manque de dynamisme (un des facteurs de la thésaurisation), le SBA actuel:  (1) fausse la concurrence et favorise l’inefficience ; (2) contribue faiblement à la croissance (perte d’environ ½ point de croissance) ; (3) pose un risque pour la stabilité financière; et (4) pèse sur les finances publiques du fait des appuis du Trésor (plus de 1000 milliards de dinars entre 2001 et 2019) pour l’annulation pure et simple de la dette des banques, l’achat direct de créances douteuses et litigieuses et l’injection de nouveaux capitaux.

Les raisons de ces distorsions :  (i) l’arrêt brutal des réformes structurelles à partir de 2002 qui devaient lever les obstacles à la croissance du secteur privé ; (ii) un environnement réglementaire du secteur financier en flux ; (iii) des politiques macroéconomiques incohérentes : (iv) une infrastructure mal développée, y compris une centrale de risque avec une couverture limitée ; (iv) l’obligation de financement d’entreprises publiques déficitaires, l’octroi de financements à des conditions non commerciales et dans certains cas le financement de déficits budgétaires;  (v) la faiblesse de la  concurrence au niveau du secteur bancaire public en raison d’une concentration excessive du marché ; et (vi) une gouvernance économique insuffisante du de facteurs internes (qualité des managers, faiblesse des mécanismes de contrôle interne, manque d’indépendance des conseils d’administration, aléa moral qui bloque une gestion bancaire sur des critères de rentabilité) et externes (cadre institutionnel rigide).

Quelle feuille de route pour reconstruire un système bancaire performant ?

Deux grands axes : (1) l’ouverture du capital (qui à elle seule ne réglera pas les problèmes du secteur bancaire) ; et (2) des réformes monétaires, financières et bancaires inscrites dans une stratégie globale de mise en place d’un nouveau modèle économique et social (étape complémentaire incontournable).

Axe 1 : Les étapes de base pour mener une ouverture du capital et créer des banques plus efficientes.

Définir un cadre juridique et institutionnel appuyant la privatisation : comprenant : (1) les lois et réglementations liées directement au processus de privatisation, y compris des normes comptables et un filet de sécurité approprié (facilités de prêteur en dernier ressort et, éventuellement, assurance des dépôts) ; (2) les lois et règlements ne visant pas la privatisation directement mais pouvant avoir un impact ; (3) les règles portant sur le traitement post-privatisation des salariés ; et (4) la responsabilité administrative de la privatisation (organismes publics pilotant la privatisation bancaire).

Articuler une politique de privatisation : avec  une définition d’objectifs précis: (1) améliorer la gestion technique :  (i) en renforçant l’efficacité des banques pour réduire les coûts d’intermédiation des consommateurs et des investisseurs ;  (ii) en favorisant l’innovation en termes d’infrastructure et de produits bancaires ; et (iii) en faisant la promotion d’un actionnariat plus large pour repartir les risques ; (2) renforcer le cadre macroéconomique : (i) réduire les pressions sur les finances publiques (amélioration des recettes fiscales et allégement des charges budgétaires ;  (ii) améliorer la qualité de la programmation monétaire ; (iii) appliquer les règles du marché aux nouvelles banques et par contrecoup améliorer l’efficacité d’autres entreprises publiques car elles devraient être en mesure d’obtenir des crédits à des conditions commerciales et d’évaluation de risques plutôt que de compter sur le soutien des banques publiques ; (3) renforcer le rôle du marché dans la gestion bancaire et du secteur réel, contribuer au développement d’un marché financier interne en accroissant la capitalisation boursière et le nombre de titres négociables, favoriser la concurrence et une intégration au marché financier international ; (4) accéder à un savoir-faire technologique et bancaire ; et (5) créer des champions nationaux et maintenir l’emploi.

Le choix d’une ou plusieurs formes de privatisation : (1) la vente à un investisseur stratégique : qui permet d’offrir une indépendance vis-à-vis des intérêts acquis et d’apporter le capital, un savoir-faire, des compétences bancaires et un réseau externe ; (2) la vente en partie ou en totalité : à des plans d’actionnariat salarié : mode opératoire utilisé par plus de vingt pays, même si la tendance est que ces plans ne détiennent qu’une participation minoritaire, aux côtés d’autres investisseurs privés.

Dans certains cas, l’Etat conserve même une certaine propriété. Les plans d’actionnariat ont tendance à être plus efficaces lorsque le contrôle ultérieur est confié à un seul investisseur stratégique, qui fournit le capital et le savoir-faire ; et (3) l’offre d’actions au public par le biais d’un premier appel public à l’épargne.

Technique utilisée d’abord par les pays développés avant de se généraliser à plus de 60 pays émergents et en voie de développement depuis le début des années 1990 s et qui a permis de privatiser plus de 160 banques publiques.

Ce mode opératoire est avantageux car il a, en outre, contribué à développer les marchés boursiers locaux (les institutions privatisées sont devenues membres des bourses locales).

La détermination d’une liste de banques à privatiser :  une vente en l’état est préférable mais les banques publiques requièrent souvent une restructuration financière préalable afin d’attirer des investisseurs de qualité.

Alternativement, pour celles qui ne le seront pas, les autorités doivent prendre des mesures destinées à améliorer leurs performances avec notamment : (i) un mandat pour fonctionner sur une base commerciale ; (ii) une structure de gouvernance pour isoler, dans la mesure du possible, les banques d’Etat à l’abri d’une influence politique manifeste ; et (iii) la mise en œuvre du même régime de surveillance applicable aux banques privées.

Un horizon temporel à moyen terme : vu la complexité de l’opération d’ouverture du capital. Mettre en place en simultanéité les éléments de base facilitant la privatisation : Un dossier préparé avec beaucoup de soin (ce qui demande du temps) et, si l’on se réfère aux expériences des autres pays, et la mise en place d’un environnement marqué par : (1) des fondamentaux macroéconomiques sains (stabilité des prix, discipline budgétaire, visibilité à moyen terme) ; (2) une supervision de qualité ; (3) une gouvernance de banque guidée par des obligations de résultats et de transparence; (4) un système fiscal neutre favorisant l’intermédiation financière ; (5) une politique monétaire qui permet de déterminer des taux d’intérêt reflétant les forces de l’offre et de la demande ; (6) une programmation monétaire de qualité ; et (7) la mise en place d’une capacité technique importante : en effet, la privatisation implique de nombreux intervenants (la société émettrice, ses partenaires, la banque conseil, le conseil juridique, les commissaires aux comptes, la société de communication financière, les actionnaires, les autorités de supervision du marché, la commission des bourses et la Bourse d’Alger seule compétente pour décider de l’admission des titres à la côte de la Bourse.

Axe 2 : La conduite de réformes monétaires, bancaires et financières comme compléments indispensables

Stratégie de réformes. Les réformes monétaires, bancaires et financières doivent être cohérentes avec un cadre stratégique global qui inclut : (1) des réformes structurelles de grande ampleur pour réduire la dépendance de l’économie par rapport aux hydrocarbures, transformer le secteur privé en moteur de croissance et soutenir l’élargissement de l’activité économique; (2) une reprise du contrôle des finances publiques pour restaurer leur viabilité, reconstruire l’épargne budgétaire et garantir l’équité intergénérationnelle ; et (3) une réhabilitation des politiques monétaire, de change et commerciale comme leviers de gestion, de création de valeur ajoutée et d’ajustement macroéconomique.

Pour ce qui est des réformes financières (moyen terme), l’objectif est d’accroître la souplesse des taux d`intérêt, assurer une meilleure allocation du crédit, renforcer l`indépendance de la banque centrale et asseoir l`expansion des marchés monétaire et financier. Pour les réformes relatives à la politique monétaire.

A court terme, cette dernière doit mieux gérer les tensions sur la liquidité et apporter son soutien aux entreprises, notamment les SME qui constituent l’épine dorsale du pays.

A moyen terme, les réformes doivent : (1) renforcer l’efficacité du canal de transmission ; (2) mieux prévenir les crises systémiques de liquidité ; (3) améliorer («fine tuning») la qualité de la gestion de la liquidité ; (4) renforcer le cadre macro prudentiel ; (5) renforcer l’indépendance de la BA qui a été affaiblie en 2001, 2017, et 2021 ; (6) réduire l’écart entre le taux officiel et le taux sur le marché parallèle ; et (6) instituer une courbe de rendement bien définie. 

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