Une initiative personnelle née du constat qu’elle a fait au cours de ses fréquents séjours : les autochtones, essentiellement les femmes et enfants, voient passer des milliers de touristes pour voir des « choses » dont ils ignorent tout. Les hommes les connaissent parce qu’ils sont occasionnellement guides, chauffeurs ou cuisiniers et qu’ils en parlent entre eux. Yamina Miri, éprouve un incommensurable attachement au Grand Sud. Pas une passion, nous corrige-t-elle, mais un amour sans borne.
L’immensité, la vastitude, le regard porté très loin sur l’horizon sans rencontrer d’obstacle et dont on ne se remet pas automatiquement lorsqu’on revient à nos horizons bouchés d’urbanisés. Et puis le silence, aussi pur que l’air, sans parasite et qu’on prend plaisir à écouter longuement avec délectation. Et puis encore la fascination du ciel étoilé qui illumine les nuits jusqu’à jeter sur le désert une nappe de clarté. Et les gens, d’une inépuisable affabilité, pleins d’attention, paisibles, observateurs silencieux qui posent sur vous un regard bienveillant, affectueux.
Le coup de foudre s’est produit, nous dit Yamina en 1987 à Bou Saâda lorsque elle descend du bus qui emmenait les étudiants de 4° année de l’Institut national d’agronomie (INA aujourd’hui ENSA) pour un stage dans les oasis. Elle avait 24 ans. «J’ai découvert le désert assez tard» pense-t-elle mais cela a été tellement fort qu’elle y retourne en 1996 pour son voyage de noces à Tamanrasset.
Coup de foudre à Bou saâda
Yamina Miri est une jeune femme de 59 ans, pleine d’énergie, mariée à Djamel Aït Abdelmalek, contrôleur aérien qui adore son métier et indéfectible soutien de ses expéditions. Elle est mère de 2 filles Besma et Myriam, respectivement de 23 et 21 ans. Elle s’est engagé adolescente pour la défense de la nature, vocation qu’ont fait naître chez elle les fréquents séjours chez ses grands-parents à Msirda (Tlemcen), puis ses études en foresterie à l’INA.
Ecologiste par sa formation, elle a obtenu un magistère en écologie avec un travail sur le lac Oubeïra d’El Kala qui fait toujours référence. Elle délaissera un peu son militantisme pendant les 22 ans qu’elle a consacré à son travail très prenant dans une mission diplomatique à Alger et pour l’éducation de ses filles. Toujours en poste, notre passionnée va retourner dans le désert, mais c’est en jeune retraitée qu’elle va pouvoir enfin s’y consacrer à plein temps.
Elle y revient une première fois à Tamanrasset en 2007 puis à partir de 2028, régulièrement à Djanet, 2 à 3 fois par an, accompagnée toujours des siens. Ils vont s’intégrer et devenir membres d’une plus grande famille, celle des personnes qui les ont adoptés.
Ce sont les femmes, les enfants, leurs parents et les proches du guide Lahcène, du chauffeur, du cuisinier et leurs aides de leur première escapade dans le Tassili N’Ajjer en 2008. Yamina, émerveillée, n’a pas perdu ses réflexes de scientifique.
Elle touche enfin un rêve, dit-elle, au Cyprès de Tassili et prend note de ses observations sur les animaux et les végétaux pour lesquels elle va actualiser l’inventaire et assembler un herbier où figurent des espèces non décrites, ce qui la replonge agréablement dans la recherche et la documentation. Un autre lien fort qui va se tisser avec le Tassili. Lors des escalades et des crapahutages dans les canyons et sur l’immense plateau de 600 km²du Tassili n’Ajjer, elle prend des milliers de photos parmi lesquelles des paysages fabuleux bien entendu, mais surtout celles de milliers de gravures et de peintures rupestres.
«Des livres pour partager mes émotions»
La découverte des vestiges pariétaux du plateau du Tassili vont la subjuguer. « Rien à voir avec ce que j’avais vu auparavant dans l’Ahaggar et les vallées du Tassili. Celles-là sont impressionnantes par leurs dimensions, les animaux représentés sont gigantesques et c’est là où prend vraiment conscience du génie des hommes de la préhistoire », nous livre l’investigatrice qui va nouer dès ce moment une autre relation forte et affective avec le pays des Targuis.
«C’était trop beau, les fresques étaient à tomber parterre » s’est-elle exclamée et cela lui a donné l’envie de partager ses sentiments et c’est ainsi que Yamina Miri est devenue auteur de deux ouvrages sur le Tassili. Le premier Sept lieux, sept légendes du Tassili N’Ajjer a vu le jour en 2018 et il est toujours à la recherche d’un éditeur. L’écrivaine romance deux légendes targuies parmi les 7 contes que comprend le livre.
Les 5 autres sont le fruit de son imagination où les personnages qui sont des humains mais aussi des plantes et des animaux en voie de disparition, le guépard, ou disparus, comme les éléphants et les girafes, évoluent parmi des éléments du patrimoine targui comme la fête, le chant, la danse, la gastronomie, etc.
L’épilogue est un appel à la préservation et la sauvegarde des patrimoines naturel et culturel inestimables de la région. Un conte pour les enfants, mais aussi pour les adultes, précise notre interlocutrice.
Le second ouvrage Six jours sur le plateau du Tassili, hasard du calendrier, vient de sortir. Yamina nous a montré le premier exemplaire de l’édition finale pendant notre conversation (mardi après-midi). Ce sont des notes d’un trek de 6 jours d’un groupe d’amis sur le plateau en 2019. Une épreuve pour laquelle il a fallu une soigneuse préparation de deux mois. Physique avant tout car il faut être en excellente condition pour faire entre 20 et 25 km par jour et surtout logistique. «Nous avions 15 ânes pour transporter les équipements du bivouac et la nourriture. Il n’y a pas de 4X4 dans ce vaste secteur et c’est une véritable bénédiction » se félicite l’exploratrice.
Ce second ouvrage, nous dit l’autrice est, en plus de quelques anecdotes qui racontent les bons et mauvais moments de l’expédition, une description des fresques visitées annotées des références des chercheurs. Il est né sous l’instance de Samira Bendriss mon amie éditrice, qui faisait partie du groupe.
Colorier les fresques pour sensibiliser les enfants
Yamina Miri, à travers ses séjours et dans sa grande famille d’accueil, constate et s’émeut que les autochtones, particulièrement les femmes et les enfants, n’ont pas conscience de vivre au cœur d’un trésor inestimable, pour l’humanité certes, mais avant tout pour eux, car c’est la garantie de pouvoir en bénéficier par les retombées du tourisme, mais pas n’importe lequel.
Celui qui est rigoureusement accompagné de pratiques saines qui assurent la protection de sites et leur propreté. C’est ainsi qu’est née l’idée en 2020 de faire connaître ce patrimoine aux enfants par le coloriage des fresques que la plupart ne connaissent pas, à l’exception de la célèbre car facile d’accès « la vache pleureuse de Tigherit ». Appellation que réprouve Yamina Miri parce qu’en fait ,des vaches pleureuses, il y en a en fait 6, tient-elle à préciser.
Le projet n’a pu se concrétise qu’en février 2022 avec le recul de la pandémie par ses propres moyens, et ceux rassemblés auprès de généreuses donatrices par Alima. Sur les lieux, c’est son ami de 15 ans Abdelaziz Abdaoui, président d’une association locale de Djanet, qui contribue à l’organisation de 4 ateliers de coloriage. Le premier à la maison de la culture d’Ifri, un quartier périphérique de Djanet avec 52 enfants.
Le deuxième à Tayenni, à 20 km de Djanet, pour 45 enfants de familles qui vivent dans un hameau fait de huttes construites de bric et de broc et dans une grande misère. Le troisième au cœur de la splendide vallée de l’oued Issendilène. Atelier qui s’est déroulé en plein air pour 25 enfants accompagnés de leurs mamans avec leurs bébés sur les genoux. Le quatrième et dernier, à Iherir, qui englobe 40 enfants.
Notre narratrice est surprise des dimensions de l’extension prise par la localité depuis son dernier passage en 2008. Elle a été littéralement outrée de voir que ses eaux usées se déversent directement dans l’oued Iherir. Yamina Miri est revenue très satisfaite du déroulement des ateliers, mais bouleversée et révoltée par l’ampleur et la quantité des déchets abandonnés par les visiteurs et qu’on retrouve jusqu’aux endroits les plus reculés du désert. « ça empire ! » clame-t-elle.
«Surtout les lingettes dont on se sert après avoir fait ses besoins, les bouteilles en plastique et le papier aluminium utilisé pour les méchouis.» Nul doute qu’il s’agit des gestes de visiteurs individuels et inciviques et ceux mal encadrés par des guides qui laissent faire contre une bonne rétribution. Mais le plus dur, ce sont les dégradations faites aux gravures et peintures rupestres. Graffitis, dommages divers avec peinture et burinage.
Et comble de tout, des fragments de fresques ont été découpés au burin et emportés. Inutiles de dire que les complicités sont évidentes. Les gueltas ont des joyaux naturels des massifs sahariens qui recèlent des trésors de biodiversité à découvrir et dans lesquelles se baignent sans scrupule les visiteurs, déplorent encore l’écologiste.