Point de vue / La dédollarisation de l’économie mondiale : ne pas confondre la monnaie de transaction et celle de réserve

08/04/2023 mis à jour: 07:18
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Le dollar américain joue deux rôles fondamentaux dans l’économie mondiale, celui de monnaie de transactions et celui de réserves de changes. Ces deux rôles, nés des accords de Bretton Woods de 1944, accordent à cette monnaie des privilèges exorbitants par rapport aux autres devises, puisqu’elle va pouvoir tirer des milliards pour sa propre économie mais également pour l’économie mondiale, en permettant les transactions commerciales libellées en dollars mais également pour alimenter les réserves de changes de toutes les banques centrales du monde, qui vont les stocker et même les placer, en général en Tbones (bon du Trésor américain). 

Cette confiance aveugle en cette monnaie tenait au fait qu’elle était convertible en or à un taux de conversion qui est resté fixe durant des années, jusqu’en 1971, qui a vu la décision du président Nixon de suspendre la convertibilité du dollar sine die. En effet, l’émission de papier monnaie en dollar a été telle que les stocks d’or, situés à Fort Knox, ne pouvaient suffire à rembourser la masse monétaire imprimée, en cas de rupture de confiance de tous les pays du monde et leur demande légitime d’être remboursés en or, conformément audits accords.

Cette situation va entraîner une période dite de «réajustements» et de «flottements» de toutes les autres devises fortes (yen, livre sterling, mark, franc suisse…), pour contrecarrer ce choc monétaire et pour aboutir aux accords de la Jamaïque, qui vont permettre au dollar américain une dévaluation substantielle, qui va sanctionner tous les stocks de réserves en dollars des banques centrales du monde. Entre-temps, l’Europe va initier, pour limiter les dégâts, la création d’une monnaie unique à travers l’écu qui va devenir l’euro, par les accords de Maastricht. 

Cette situation a été «prophétisée» par Lord John Menard Keynes en 1944, lorsqu’il avait proposé une monnaie internationale détachée d’une monnaie nationale, qu’il appellera le bancor, gagée sur l’or et émise par une institution internationale, comme le FMI, pour éviter à l’économie mondiale le krach financier catastrophique, créé par la livre anglaise après le démantèlement de son empire colonial et l’effondrement de son économie ! Le passage du «gold standard», institué par les accords de Gênes de 1922, au «Gold exchange standard», des accords de Bretton Woods de 1944, allait structurer le système monétaire international, jusqu’à aujourd’hui.

En imposant les transactions internationales en dollar et notamment celles relatives aux hydrocarbures, les USA vont créer, de toutes pièces, le marché des pétrodollars et conforter leur hégémonisme monétaire au niveau mondial. En outre, la puissance économique et militaire américaine va entraîner la constitution de réserves de change dans toutes les banques centrales en dollars.

 Le déclin relatif de l’économie américaine, qui va perdre sa première place mais surtout la concurrence conquérante de l’économie chinoise, va remettre en cause le rôle du dollar comme monnaie nationale et internationale de transaction et de réserve. 

Deux phénomènes majeurs vont accélérer cette remise en cause, la montée du troc dans le commerce mondiale (30%), bien que banni par l’OMC, et le libellé des transactions en monnaie locale, notamment celles des hydrocarbures. Cette révolution n’aurait jamais pu voir le jour sans la géopolitique et «les dégâts collatéraux» du conflit ukrainien. 

En effet, les sanctions prises contre la Russie et notamment en matière d’énergie (embargos, gel des ressources financières, sortie du système Swift, délocalisation industrielle et commerciale…) se sont retournées contre les intérêts de leurs propres initiateurs, notamment les pays alliés aux USA. Dès lors, un certain nombre de pays et non des moindres (pays du Golfe, l’Inde, le Brésil, la Chine…) vont trouver un intérêt multiple à utiliser d’autres monnaies que le dollar dans leurs transactions, ce qui va avoir pour conséquence un reflux du dollar vers son pays émetteur avec toutes les conséquences subséquentes.

Mais le problème des opérations transactionnelles n’est pas aussi crucial que celui des réserves de changes que toutes les banques centrales détiennent. En effet, une simple révision, à la baisse, de 20 à 30% du pourcentage de dollars dans les réserves totales et au profit des autres monnaies ou de l’or aura un effet dévastateur sur l’économie américaine et notamment sur son niveau d’inflation, car des milliards de dollars vont refluer vers le pays émetteur. 

L’hégémonisme monétaire américain est donc en train de s’écrouler et les pays, à l’origine de cette situation, sont clairement identifiés comme étant le couple sino-russe, qui entraînent avec eux d’autres pays émergents. Quelle contre-attaque les USA vont-ils mener pour neutraliser cette menace ?  

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