Point de vue / Face aux tensions douanières américaines et à la volatilité pétrolière : Quelle stratégie budgétaire et économique pour l’Algérie ?

13/04/2025 mis à jour: 18:02
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La forte hausse des droits de douane américains fragilise l’économie mondiale avec notamment un ralentissement de la croissance, une reprise de l’inflation, l’instabilité des marchés financiers et la remise en cause du système commercial multilatéral. 

Cette politique isole les Etats-Unis sur les plans commercial, économique et géostratégique et pourrait entraîner un découplage durable avec la Chine. Face au risque d’effondrement du système financier, la Maison Blanche a suspendu temporairement, dès le 9 avril, une partie des droits de douane imposés le 2 avril — sauf à la Chine. Même si cette pause se prolonge, le choc douanier a plongé l’économie mondiale dans l’incertitude et le chaos économique. 

L’Algérie devra affronter les retombées de cette crise, y compris une perturbation potentielle des échanges avec les Etats-Unis (3,4 milliards $ en 2024), la chute des prix du pétrole et une hausse des coûts à l’importation qui ne manqueront pas d’affaiblir la croissance économique, accroître l’inflation, éroder la valeur de la monnaie nationale et accroître le chômage. Une guerre commerciale prolongée pourrait aussi limiter son accès aux marchés internationaux. 

Dans ce contexte fait d’incertitudes et de bouleversements structurels majeurs, il serait souhaitable que l’Algérie réagisse : (1) d’abord tactiquement par le biais d’une LFC 2025 accompagnée de mesures économiques et monétaires ainsi que d’un recalibrage du plan de trésorerie en vigueur ; et (2) ensuite de façon stratégique en préparant au cours des prochains mois de 2025 un plan global et cohérent de rééquilibrage des finances publiques sur le moyen terme (2026-2030) articulé autour d’une stratégie de refondation de l’économie nationale. Discutons de ces points. 

La seconde vague de hausse de droit de douane américains est en train d’imprimer des changements macroéconomiques, structurels et géostratégiques considérables. Les politiques commerciales erratiques et agressives de Donald Trump, marquées par des hausses de droits de douane brutales, des revirements et des annonces imprévisibles ont déstabilisé les marchés mondiaux, affaibli le dollar et mis à mal des décennies de relations commerciales stables. 

La pause de 90 jours sur les nouveaux droits de douane imposés aux partenaires commerciaux (exceptée la Chine) n’effacera pas les dommages infligés à l’économie américaine (rendements élevés des bons du Trésor, baisses des marchés boursiers et incertitude paralysante des entreprises) persisteront. 

Des droits de douane plus élevés, combinés à la dépréciation du dollar vont alimenter des pressions inflationnistes, comprimer les revenus des ménages, perturber les chaînes d’approvisionnement, faire baisser les investissements et, in fine, freiner la croissance économique. 

L’escalade de la guerre commerciale de Trump avec la Chine – où les droits de douane américains imposés à la Chine atteignent 145% tandis que ceux appliqués sur les produits américains se situent à 125% – risque d’endommager les chaînes d’approvisionnement essentielles entre les deux plus grandes économies mondiales. Au-delà de l’aspect économique, les tactiques chaotiques de Trump ont aliéné des alliés, mis à mal des accords comme le Partenariat transpacifique, isolé l’Amérique et favorisé l’érosion de la confiance dans son leadership. Sur le plan géopolitique, cette situation est en train de remodeler l’ordre mondial, poussant les partenaires traditionnels vers la Chine, qui a profité de ce vide pour développer ses liens commerciaux en Asie, en Afrique et en Amérique latine. Parallèlement, des rivaux comme la Russie et l’Iran profitent de l’influence d’un Occident distrait, accélérant la fragmentation du système commercial dirigé par les Etats-Unis en blocs régionaux. 

Les effets cumulés – ralentissement de la croissance, pressions inflationnistes, affaiblissement du dollar et diminution de l’influence américaine – ont créé un monde plus instable et multipolaire, dont la Chine est devenue le principal bénéficiaire. Les conséquences à long terme, tant économiques que stratégiques, pourraient s’avérer irréversibles bien après la fin de la présidence Trump. 

La récente pause temporaire de quatre-vingt-dix jours sur les hausses d’une partie des droits de douane est due essentiellement au fait que le système financier américain a frôlé l’effondrement ce 9 avril 2025 et d’ailleurs l’optimisme du lendemain a été éphémère. 

La pause de quatre-vingt-dix jours sur certaines hausses des droits de douane (exclusion faite de la Chine) a été principalement causée par une crise imminente du système financier américain le 9 avril 2025, notamment un risque d’effondrement du marché des bons du Trésor dont les rendements avaient grimpé à des niveaux dangereux. L’optimisme qui a suivi l’annonce du répit sur l’ajustement à la hausse des droits de douane s’est estompé rapidement, notamment après que la Chine ait répondu par des droits de douane de 125%, entraînant une chute de 3,5% des actions américaines, ainsi qu’une hausse des rendements des bons du Trésor à 10 ans à 4,5%, provoquant un affaiblissement du dollar. 

Les fonds spéculatifs se déchargent de leurs bons du Trésor pour couvrir leurs positions à effet de levier, tandis que les investisseurs exigent des primes de terme plus élevées, en raison de préoccupations croissantes sur la stabilité budgétaire qui pourrait être mise à mal par d’éventuelles baisses d’impôts. Ce nouveau soubresaut des marchés financiers est un signe d’une érosion de la confiance des investisseurs, exacerbée par la perspective d’une récession américaine et des perturbations dans les chaînes d’approvisionnement mondiales. 

A contrario, la zone de croissance Asie reste stable au vu d’un allègement tarifaire au profit du Vietnam, de l’Inde et de Taïwan. Parallèlement, les marchés chinois restent stables grâce à une gestion prudente du yuan par la Banque centrale chinoise et aux interventions massives d’institutions financières chinoises mobilisées à cet effet. 

Sur le plan stratégique, la guerre des droits de douane entre les Etats-Unis et la Chine pourrait favoriser un découplage économique significatif entre les deux superpuissances. Enfin, le calme actuel pourrait être le prélude a une crise financière plus vaste. Les canaux de transmission des effets du choc douanier à travers l’économie algérienne. 

La hausse de 30% des droits de douane imposée par les Etats-Unis affectera l’économie algérienne à travers les échanges commerciaux, les prix du pétrole et la volatilité du dollar. Les exportations algériennes (notamment de pétrole et de gaz) vont devenir moins compétitives sur le marché américain tandis que les importations en provenance des Etats-Unis vont être plus coûteuses, deux facteurs qui pourraient perturber les chaînes d’approvisionnement domestiques. 

Dans ce cas de figure, l’Algérie devrait d’ores et déjà envisager une diversification de ses partenaires commerciaux. La forte baisse du prix du pétrole en une semaine de $74,4 à 60$ va intensifier les pressions sur l’économie.

 Un tel recul traduit une chute de la demande mondiale de pétrole en 2025 (en raison de l’affaiblissement de l’activité mondiale) et une hausse de la production de l’OPEP+ va faire baisser les recettes budgétaires du pays. Enfin, la volatilité du dollar pèsera lourdement sur l’économie algérienne : une dépréciation accroît le coût des importations tandis qu’une appréciation augmente les revenus d’exportation mais alourdit la facture des importations. 

La dégradation du cadre macroéconomique du pays : Le choc douanier et ses bouleversements macroéconomiques et structurels au niveau mondial vont dégrader les perspectives économiques de l’Algérie. 

Une réévaluation des principaux indicateurs montre des écarts notables par rapport aux prévisions initiales de la loi de finances 2025. 

Ainsi : (1) la croissance économique, initialement estimée à 4,2%, devrait être fortement révisée à la baisse de 2 points de pourcentage du fait de la chute brutale des prix du pétrole, du ralentissement des investissements et de l’affaiblissement de l’activité dans la majorité des secteurs ; (2) l’inflation va remonter pour atteindre environ 7%, sous l’effet de la flambée des prix internationaux et des frictions du secteur de la distribution domestique (la LFI 2025 ne contenait pas de projection chiffrée de l’inflation pour 2025 ni sur le moyen terme) ;  (3) le compte courant de la balance des paiements devrait basculer vers un déficit en raison de la chute des recettes d’exportations du pétrole et de la pression accrue sur les importations. Le cadre macroéconomique sous-tendant la LFI 2025 projetait un léger solde positif en 2025 ; et (4) en matière de finances publiques, les recettes issues de la fiscalité pétrolière devraient chuter de 3454 milliards de dinars à 2757 milliards de dinars. Celles provenant de la fiscalité ordinaire enregistreraient un léger repli, passant de 4157 à 3989 milliards de dinars.

 Avec des recettes indirectes stables à 912 milliards de dinars, le total des recettes budgétaires atteindrait 7654 milliards de dinars, contre 8523 milliards initialement prévus, soit un manque à gagner de 869 milliards de dinars. Si les dépenses publiques sont maintenues à leur niveau initial de 16795 milliards de DA (13 667 milliards pour les dépenses courantes et 3128 milliards de dinars pour les dépenses d’investissement), le déficit global va se creuser de 2,5 points de pourcentage pour atteindre 23,6 % du PIB par rapport à 21,1% du PIB dans la LFI de 2025. Algérie : Stratégie de réponse aux conséquences du double choc douanier et pétrolier. 

Cette stratégie doit prendre en considération les nouveaux défis internationaux analysés ci-dessus mais également les contraintes domestiques, y compris l’absence d’espace budgétaire en 2025. Deux types de réponse, y compris : 


Les mesures immédiates en 2025  

  •  Adoption d’une LFC pour 2025 à mettre en œuvre le plus rapidement pour maximiser ses effets en 2025:  Vu le manque d’espace budgétaire et l’urgence de la situation, l’accent devra être mis sur des actions réalisables dans l’immédiat, y compris en termes de : (1) recettes (renforcer le recouvrement, rationaliser les exonérations afin de compenser les effets d’une baisse éventuelle de la TVA sur les produits sensibles) ; (2) dépenses courantes (revenir sur les hausses des dépenses prévues, annuler les dépenses jugées non prioritaires, accélérer les départs en retraite, reculer certains recrutements) ; et (3) dépenses en capital (geler tous les projets non prioritaires, etc.,,, ). Les rendements de ces mesures ne seront pas significatifs et il est clair que le Trésor devra absorber une grande partie du déficit additionnel pour 2025.
     
  •  Réajustement du plan de trésorerie pour financer les dépenses souveraines avec suivi hebdomadaire.
     
  • Finalisation des travaux techniques en cours sous-tendant les grandes reformes budgétaires devant appuyer le retour à la viabilité budgétaire à moyen terme 2026-2030
     
  • Mise en place d’outils de suivi de la gestion macroéconomique (cadre macroéconomique à moyen terme, cadre budgétaire à moyen termes de suivi, indicateurs économiques et financiers de base) 
    Les mesures à moyen terme : devront s’intégrer dans une stratégie de refondation économique (2026-2030) articulée autour de trois axes interdépendants et complémentaires :   
     
  • Un axe de stabilisation économique pour faire face à la volatilité des marchés mondiaux, notamment en raison des fluctuations des prix du pétrole et des effets du choc douanier américain. Les mesures clés incluraient un retour à la viabilité des finances publiques (discipline de la politique fiscale, rationalisation des dépenses courantes, meilleure efficience des dépenses en capital, financement rationnel du déficit, viabilité du système des retraites), le contrôle de l’inflation, un taux de change approprié au service de la gestion des comptes extérieurs et la réduction de l’endettement public. 
     
  • Un axe macro structurel pour renforcer l’efficience des leviers de gestion macroéconomique, y compris la politique budgétaire, la politique monétaire, la politique de change et la politique commerciale extérieure. 
     
  • Un axe structurel appuyant un processus de diversification de l’économie et des échanges extérieurs afin de sortir du modèle rentier pétrolier à travers des plus gros investissements dans l’agriculture, le secteur manufacturier et industriel, les technologies de pointe et les services à haute valeur ajoutée. 
  • Ces investissements seraient facilités par des réformes structurelles visant à : (1)  améliorer l’environnement des affaires (simplification des réglementations, attrait des investissements étrangers, encourager l’entrepreneuriat, booster la capacité des startups et les petites et moyennes entreprises, colonne vertébrale d’une stratégie de réindustrialisation du pays et de stimulation de l’innovation) ; (2) flexibiliser le marché du travail pour lutter contre la hausse du chômage, en particulier chez les jeunes et les femmes, en incitant à la création d’emplois dans le secteur privé, en améliorant l’éducation et la santé ; et (3) l’ouverture commerciale et financière pour appuyer le processus de diversification économique et commerciale et mobiliser l’épargne étrangère, indispensable pour financer la mise en place d’un nouveau modèle de croissance économique et social. Ceci passe par des politiques favorisant la productivité et la compétitivité extérieure du pays. 

 

Par   Abdelrahmi Bessaha , Expert international

 

 

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