Onze pays alliés à Israël coupent les vivres aux réfugiés palestiniens : L’Unrwa, un témoin gênant

30/01/2024 mis à jour: 10:16
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L’Unrwa est dans le collimateur des alliés de l’Etat hébreu - Photo : D. R.

Dans le viseur d’Israël depuis le début de la guerre, l’Unrwa est devenu, dès le prononcé des injonctions de la CIJ, un ennemi à abattre. Témoin gênant des actes de génocide commis à Ghaza, qui a aidé les magistrats de la Cour de La Haye à argumenter l’accusation et qui empêche par sa présence à Ghaza la bonne exécution du plan de déportation forcée des réfugiés, l’Unrwa se retrouve privée de fonds, avec lesquels elle maintient en vie plus de 1,7 million de Palestiniens.

Quelques heures après la reconnaissance par la Cour internationale de justice (CIJ) d’éventuels crimes de génocide commis par Israël à Ghaza, et les ordres donnés pour y mettre fin, les Etats-Unis coupent l’aide financière à l’Unrwa, l’agence onusienne qui permet de maintenir 1,7 million de réfugiés palestiniens en vie, malgré les conditions chaotiques engendrées par plus d’une centaine jours de bombardements intensifs, en plus d’un siège qui dure depuis des années.

Tout de suite après, ils sont rejoints par une liste de dix principaux alliés de l’entité sioniste : l’Allemagne, la France, le Canada, l’Australie, la Suisse, le Royaume-Uni, l’Italie, la Finlande, les Pays-Bas et le Japon, en prenant pour prétexte l’annonce de la mise de fin de contrat de 12 employés de l’Unrwa qu’Israël accuse, depuis quatre mois, d’avoir pris part aux attaques du 7 octobre dernier.

Selon le secrétaire général de l’Onu, Antonio Guterres, sur les 12 personnes, 9 ont été identifiées et immédiatement licenciées, la 10e est décédée et deux autres en cours d’identification, sans apporter une quelconque précision sur d’éventuelles preuves qui pourraient justifier le licenciement avant toute enquête ou procès.

Cela étant, même si l’on essaye d’admettre (ce qui est très difficile) que les mis en cause ont commis les faits, leurs actes n’engagent que leurs personnes. Ils ne peuvent aucunement impliquer les 13 000 employés que fait travailler l’Unrwa à Ghaza, afin de maintenir les réfugiés en vie. Plus de 90% de ces humanitaires de l’Onu sont eux-même des réfugiés qui affrontent quotidiennement la mort pour assurer un minimum de vie dans un contexte humanitaire catastrophique, où 146 de leurs collègues ont été tués par les forces d’occupation.

La décision de couper les vivres à l’Unrwa s’apparente à une punition collective, imposée non seulement aux réfugiés mais surtout à l’agence onusienne qui, depuis le début du procès intenté par l’Afrique du Sud à Israël, devant la CIJ, pour des crimes de génocide, fait l’objet d’attaques violentes menées par l’entité sioniste.

Pourquoi l’Unrwa se retrouve-t-elle dans le viseur d’Israël et de ses alliés occidentaux ? Tout simplement pour deux raisons. La première est que l’agence est un témoin clé de premier rang des actes de génocide commis par Israël à Ghaza. C’est d’ailleurs pour cette raison que les magistrats de la CIJ ont construit toute leur argumentation de «l’existence d’un risque réel et imminent d’un préjudice irréparable (…)» sur la base des rapports et déclarations crédibles et fiables des responsables de l’Unrwa.

«Une recherche sans fin de sécurité»

Dans son arrêt, la Cour reprend de longs passages du témoignage du commissaire de l’Unrwa, Philippe Lazzarini : «(…) Ces 100 derniers jours, le bombardement sans interruption de la Bande de Ghaza a provoqué le déplacement massif d’une population toujours sur le départ, constamment déracinée et forcée de partir du jour au lendemain, pour se rendre dans des endroits qui sont tout aussi dangereux.

C’est le plus grand déplacement du peuple palestinien depuis 1948. Cette guerre a touché plus de 2 millions de personnes, soit la totalité de la population de Ghaza. Nombreux sont ceux qui en garderont toute leur vie des séquelles, tant physiques que psychologiques. L’écrasante majorité, notamment les enfants, est profondément traumatisée.

Les abris surpeuplés et insalubres de l’Unrwa sont devenus le ‘‘foyer’’ de plus de 1,4 million de personnes qui sont privées de tout, de nourriture comme de produits d’hygiène, et de toute intimité. Les gens vivent dans des conditions inhumaines où les maladies se propagent, y compris chez les enfants.

Ils vivent dans l’invivable, et la famine s’approche inexorablement (…).» Les magistrats se disent «d’avis que les faits et circonstances mentionnés ci-dessus suffisent pour conclure qu’au moins certains des droits que l’Afrique du Sud revendique et dont elle sollicite la protection sont plausibles.

Israël a dès le début du procès à La Haye rejeté les accusations de génocide (de même que ses alliés) et axé sa défense sur son «droit à se défendre», en accusant tantôt l’Afrique du Sud, tantôt l’Unrwa et même le SG de l’Onu de «soutenir le Hamas».

Mais le dossier présenté par l’équipe sud-africaine n’a laissé aucun doute sur les actes génocidaires de l’Etat d’Israël à Ghaza. Trop d’images, trop d’enregistrements vidéo et de déclarations d’officiels israéliens montrent que la guerre menée par l’Etat hébreu est génocidaire. Plus grave, malgré la décision de la CIJ, elle se poursuit sans relâche.

Entre vendredi et samedi derniers, plus de 400 Palestiniens ont été tués dans des raids, alors que des milliers de rescapés étaient sommés de quitter Khan Younès vers Rafah, près de la frontière égyptienne, dans des conditions chaotiques, suscitant la réaction du bureau des droits de l’homme de l’Onu qui met en garde dans un communiqué : «Les ordres d’évacuation massive donnés par l’armée israélienne aux habitants de Ghaza continuent de les repousser dans des zones de plus en plus petites dans un contexte de violence toujours intense en violation probable du droit international humanitaire.»

Lui emboîtant le pas, le chef de l’Unrwa écrit sur son compte X (anciennement Twitter) : «Une mer de personnes contraintes de fuir Khan Younès et se retrouvant à la frontière avec l’Egypte. Une recherche sans fin de sécurité que Ghaza n’est plus en mesure d’offrir.»

L’horreur se poursuit en violation des injonctions de la CIJ

Si la première raison de la suspension des aides est d’éloigner le regard des médias sur l’accusation de génocide contre Israël, la seconde raison, bien plus grave et importante, est d’évacuer l’Unrwa de Ghaza. Cette agence onusienne gêne considérablement le plan de déportation forcée des réfugiés que l’Etat hébreux veut à tout prix exécuter pour créer une zone tampon, dépourvue de population.

L’Unrwa gêne aussi par sa présence sur les lieux qui constitue un gage de retour des réfugiés après chaque déportation forcée. Israël ne le cache pas. Il l’a exprimé à plusieurs reprises en promettant, par la voix du chef de sa diplomatie, Israël Katz, que l’agence onusienne «ne fera pas partie de la solution après la guerre», mais aussi en appelant «à lui trouver une autre alternative», tel que réclamé par Yair Lapid, le chef de l’opposition.

Les actes et les intentions de l’Etat hébreu sont donc très clairs. Pourtant, si l’on se réfère aux injonctions de la CIJ, il est fait obligation à Israël de «prendre toutes les mesures en son pouvoir pour prévenir la commission, à l’encontre des Palestiniens de Ghaza, de tout acte entrant dans le champ d’application de l’article II de la convention, en particulier les actes suivants : le meurtre de membres du groupe, atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe, soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle, mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe».

Bien plus. Il lui est fait injonction «de veiller, avec effet immédiat, à ce que l’armée ne commette aucun de ces actes». Mais Israël n’en a cure. Moins d’une heure après le prononcé de cet arrêt, Washington, qui assure à l’entité sioniste une enveloppe annuelle de 14 milliards de dollars d’aide (10 milliards en armement et 4 milliards pour le renforcement de la sécurité et des bâtiments) et qui, faut-il le rappeler, a rejeté les accusations de génocide, affirmant, par la voix d’un de ses porte-parole (M. Kyrbi), qu’ «il y a 0 civil tué à Ghaza», s’est empressé d’annoncer sa décision de couper les fonds à l’Unrwa.

Dix autres alliés d’Israël adoptent la même position qui occupe la une des médias, reléguant au second plan l’accusation de génocide qui pèse sur l’Etat hébreu.

De la responsabilité morale à la responsabilité pénale

Au-delà de la responsabilité morale et éthique devant la privation des réfugiés de l’aide humanitaire, il y a encore plus grave. La responsabilité légale. En effet, si l’on se réfère à l’arrêt de la CIJ, les injonctions conservatoires urgentes ont été imposées séance tenante dans le but de protéger la population civile des actes potentiels de génocide, à travers «l’arrêt des opérations militaires», mais aussi à travers «la prise, sans délai, des mesures effectives pour permettre la fourniture des services de base et de l’aide humanitaire requis de toute urgence afin de remédier aux difficiles conditions d’existence auxquelles sont soumis les Palestiniens de la Bande de Ghaza». Israël n’est plus la seule partie dans cette affaire.

Les pays qui ont pris la décision de priver les réfugiés palestiniens de leur droit à la survie tombent sous le coup de la justice internationale. Ils encourent le risque d’être eux aussi poursuivis pour complicité de génocide.

Pour la rapporteuse spéciale de l’Onu sur les Territoires palestiniens occupés, Francesca Albanese, ces pays «partagent la responsabilité politique mais aussi juridique.

Le refus de financement de l’Unrwa durant une période critique défie ouvertement l’ordre de la CIJ de permettre une aide humanitaire et remédier aux conditions très défavorables auxquelles sont confrontés les Palestiniens. Cela entraînera des responsabilités juridiques ou à la disparition du système juridique».

L’ancien patron de l’ONG américaine Human Rights Watch (HRW), Kenneth Roth, quant à lui, déclare sur Al Jazeera avoir été étonné des allégations non vérifiées sur l’implication des employés de l’Unrwa dans les attaques du Hamas du 7 octobre, mais, s’interroge-t-il, après les décisions de la CIJ sur les actes de génocide et des crimes de guerre avérés ne sont-elles pas suffisantes pour faire arrêter l’aide annuelle américaine de 3,8 milliards de dollars à Israël et les livraisons d’armes ?

En tout état de cause, le débat très attendu demain au Conseil de sécurité, dont la réunion à été convoquée à la demande de l’Algérie, «afin de donner effet aux décisions de la CIJ (…) à travers un projet de résolution, reflétant les derniers développements de La Haye», risque de déborder sur la décision des 11 pays qui se sont ralliés à Israël en coupant les fonds d’aide humanitaire destinés à la population de Ghaza, au moment où cette dernière est confrontée à une des crises les plus graves qui risque d’emporter encore plus de personnes ayant eu la chance d’échapper aux bombardements et aux tirs des snipers israéliens, par la famine, la soif, les maladies et l’insalubrité. 

 

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