Nabil Djedouani est acteur, archiviste et réalisateur. Il a assisté Rabah Ameur-Zaïmeche pour la réalisation des longs métrages Histoire de Judas (2015) et Terminal Sud (2019). Il s’intéresse depuis 2019 aux archives du cinéma et de la musique algérienne créant un débat sur les réseaux sociaux sur cette question et s’apprête à lancer un site internet consacré aux archives numériques du cinéma algérien. Nabil Djedouani est membre du Comité artistique des rencontres cinématographiques de Béjaïa (RCB). Les 18es RCB se déroulent jusqu’au 28 septembre 2023 à la Cinémathèque de Béjaïa et au Musée Bordj Moussa.
- Comment s’est faite la sélection des 33 films participant à la 18e édition des Rencontres cinématographiques de Béjaïa (RCB) ?
Avec le retour des RCB, après trois ans d’arrêt, nous avons voulu faire la part belle aux jeunes créateurs algériens vivant en Algérie ou à l’étranger.
Pour nous, la vocation des RCB est d’être la vitrine du cinéma algérien qui est en train de se faire. Cela donc a été déterminant dans notre choix.
D’où la programmation de dix-huit courts métrages. Cela dit, il y a un manque de longs métrages. Cette année, nous avons retenu que La Dernière Reine d’Adila Bendimerad et Damien Ounouri. Nous avons reçu près de 400 films de partout.
Il y a eu des échanges entre les membres du comité artistique, Latifa Lafer et Hakim Abdelfatah, pour dégager une sélection de films liée à la thématique du «Cinéma et la ville», retenue cette année. Un cinéma qui interroge notre rapport à l’urbanité et qui prend pour cadre différentes villes algériennes. Le film tunisien Ashkal (Formes) de Youssef Chebbi s’intéresse au nouvel urbanisme à Tunis.
- A partir de ce que vous avez vu et visionné, qu’est-ce qui préoccupe le plus les jeunes cinéastes algériens aujourd’hui ?
C’est se raconter aujourd’hui au quotidien en regardant l’avenir et en faisant une sorte de constat sur leur vie. On est moins dans un cinéma qui regarde vers le passé, du moins dans les films que nous avons sélectionnés.
Par exemple, le court métrage Déboussolé de Youcef Mansour a été tourné durant le hirak en Algérie avec la question «que se passe-t-il maintenant ?» (Dans le film, deux amis d’enfance abandonnent le projet du départ à l’étranger).
- Dans les premiers films que nous avons vus, ici à Béjaïa, il y a beaucoup de mélancolie, de déception, d’interrogation...
Pour les films projetés lors de la soirée d’ouverture (samedi 23 septembre), nous avons opté pour les courts métrages tournés dans la région de Béjaïa pour justement signer ce retour.
Il y a effectivement une mélancolie qui se dégage des films, l’idée d’une jeunesse qui s’interroge sur partir ou rester. Une question qui, malheureusement, est présente dans la société algérienne et qui traverse les générations aujourd’hui.
- Qu’en est-il du choix des documentaires ?
Nous avons reçu énormément de documentaires lors de la sélection. On est donc partis sur des coups de cœur, sur la poésie du réel disons.
A titre d’exemple, Au cimetière de la pellicule de Thierno Souleymane Diallo (Guinée) s’intéresse à l’héritage cinématographique en Afrique et sur l’accès aux archives. C’est une question qui est importante pour moi, comme vous le savez.
- Justement, vous travaillez beaucoup sur les archives du cinéma algérien. Où en êtes-vous avec vos recherches et votre projet de lancer un site ?
J’espère pouvoir annoncer bientôt le lancement du site internet «Les archives numériques du cinéma algérien» sur lequel je travaillé depuis plusieurs mois, je pense que ça sera le début de quelque chose d’autre.
Je veux continuer ce travail de collecte, de numérisation et de partage... et de donner accès librement aux sources aux étudiants algériens qui en ont besoin pour leurs études. Mon objectif est de pouvoir accéder à tous les films algériens, encore perdus ou difficilement visibles.
Beaucoup de ces films sont en France, en dehors de l’Algérie. Mais, il y a des archives intéressantes en Algérie. Le fonds de la Télévision algérienne est exceptionnel. Idem pour celui de la Cinémathèque algérienne qui devrait être numérisé et préservé.
A mon avis, il faut lancer des programmes de formation sur la restauration et la conservation des archives filmées.
- Parlez-nous de l’exposition que vous avez organisée en Slovénie sur deux personnalités algériennes ?
J’ai été invité à la Biennale des arts graphiques de Ljubljana en Slovénie (la Biennale se déroule jusqu’au 14 janvier 2024) où j’ai pu faire une exposition sur deux figures algériennes politiques et artistiques importantes, Mohamed Boudia et Boubaker Adjali (photographe et documentariste anticolonialiste). Deux hommes engagés dans le combat national. Ils ont poursuivi leur lutte, Adjali en Afrique, et Boudia, en Palestine.
Boudia a été assassiné en 1973 par le Mossad en raison de cet engagement politique. C’est une mémoire que je trouve absente. L’exposition était donc l’opportunité d’évoquer les deux personnages.
J’ai créé un dispositif inspiré d’une mise en scène cinématographique, j’ai écrit un mur d’enquête dans lequel je pars d’un scénario disparu d’un film de Boubakar Adjali, intitulé We exist, the palestinian, tourné en 1969. Il ne reste que trois minutes de ce film et un scénario.
Donc, c’est le point de départ d’une enquête fictive pour raconter ces deux personnages (Mohamed Boudia a utilisé le théâtre comme une arme de combat politique pour l’indépendance de l’Algérie, ndlr).
- Etes-vous favorable à la création en Algérie d’un grand centre des archives et de documentation sur le cinéma, au-delà de celui de la Cinémathèque algérienne ?
Cela relève de la compétence du ministère de la Culture et des Arts qui veut créer un centre de conservation d’archives. Actuellement, les archives sont mal conservées.
J’ai pu voir des images de bobines stockées dans un état lamentable. Le stockage exige des conditions de température, d’humidité et de lumière précises.
Des bobines sont au niveau du CNCA (Centre national du cinéma et de l’audiovisuel), aux Archives nationales, à la Cinémathèque, à la Bibliothèque nationale, l’ENTV.
Des archives éparpillées. Peut-être qu’il faudrait créer un endroit où rassembler et conserver toutes ces images et entamer une stratégie de numérisation. Mais ces images ne doivent pas rester dans les placards ou dans les disques durs. Elles doivent être exploitées dans une vraie politique de diffusion. Il existe une chaîne de télévision publique dédiée aux archives (Ed-dhakira), mais on peut créer une plateforme, à l’image de l’INA (Institut national de l’audiovisuel) en France qui donnerait accès à ces images et permettrait de mieux connaître l’Histoire de l’Algérie et de remettre en valeur les créateurs, les gens qui ont essayé de faire des choses de ce pays.
L’Etat algérien a aujourd’hui tous les moyens pour créer un centre de conservation d’archives filmiques aux normes internationales.
Dans ce domaine, l’Algérie doit être leader sur le plan africain et arabe. On peut également créer un centre de formation à la conservation et à la restauration des archives qui aura une ambition continentale, panafricaine et panarabe. C’est une question de volonté politique et de moyens.
- Vous plaidez pour l’exposition publique des archives...
Oui. Donner à voir les archives, les faire circuler, est une manière de mieux les conserver. C’est le travail de la Cinémathèque.
La Cinémathèque doit faire un travail patrimonial, projeter des films du patrimoine algérien. Il existe des pans entiers qu’on a perdus, oublié.
Par exemple, les premiers films de Farouk Beloufa qui sont peut-être quelque part. Il y a eu plusieurs tentatives de les répertorier.
C’est un immense travail qui peut prendre dix ans, mais il faut le faire. Cela peut même avoir un impact sur la création artistique actuelle.
Propos recueillis à Béjaïa par Fayçal Métaoui