C’est aujourd’hui, à Johannesburg, en Afrique du Sud, que s’ouvrent les travaux du 15e sommet des BRICS. Cette rencontre intervient dans un contexte de non-alignement et de tensions internationales attisées par la guerre en Ukraine. Le bloc, qui produit un quart de la richesse mondiale, revendique un équilibre économique et politique mondial multipolaire, notamment au regard des Etats-Unis et de l’Union européenne. Mourad Goumiri, docteur d’Etat en sciences économiques, nous parle des principaux enjeux de cette rencontre.
- Les travaux du sommet des BRICS commencent aujourd’hui mardi 22 août. Pourriez-vous expliquer ce qu’est le groupe BRICS ?
Avant de répondre à votre question, un retour en arrière est nécessaire pour aborder la question du G7, réunion des nations les plus industrialisées.
Il comprend le Canada et les Etats-Unis d’Amérique du Nord, le Royaume-Uni, l’Allemagne, la France et l’Italie en Europe, et le Japon en Asie. Cependant, un grand absent se dégage de ce forum déterminant les affaires mondiales : les pays émergents, comme la Chine, le Brésil et d’autres.
A mesure que leurs parts dans l’économie globale augmentent, ils aspirent à défendre leurs intérêts. Ainsi, ils ont formé les BRICS, à l’origine avec quatre ou cinq membres : Brésil, Russie, Inde et Chine.
Plus tard, l’Afrique a été incluse via l’Afrique du Sud, complétant ainsi les BRICS. Ces pays, unis au sein des BRICS, revendiquent leurs places et intérêts sur la scène mondiale, évitant que les décisions économiques majeures soient prises exclusivement par le G7. En effet, ces pays, au développement grandissant, désirent discuter et sécuriser leurs intérêts.
D’autres pays sont attirés par le groupe BRICS, car ils partagent des intérêts similaires. Le concept de Sud Global émerge, reflétant une nouvelle géopolitique et géostratégie, nécessitant une alternative au néocolonialisme, notamment par le multilatéralisme.
Cette dynamique émerge de la Seconde Guerre mondiale, des accords de Bretton Woods, de la Banque mondiale, du FMI et du GATT, institutions multilatérales façonnant toujours l’économie mondiale sans l’inclusion complète des pays émergents.
- En quoi consiste exactement le rôle des BRICS ? Pourquoi exercent-ils tant d’attraction sur les pays du Sud ?
Les cinq nations, réunies au sein des BRICS, souhaitent influencer la géopolitique mondiale en défendant leurs intérêts. Au fil du temps, la Chine a émergé de la dépendance économique pour devenir l’atelier du monde, affichant d’énormes excédents dans sa balance de paiements en investissant à travers le monde.
D’autres pays, tels que le Brésil et l’Inde, ont également gagné en importance sur la scène mondiale, désirant protéger leurs intérêts, en particulier leurs ports, contre les pays industrialisés.
Les perspectives d’avenir pour les BRICS sont prometteuses mais aussi complexes. Le groupe a déjà démontré sa capacité à s’imposer sur la scène mondiale en tant qu’acteur économique majeur. Sa croissance économique rapide et ses populations importantes lui confèrent une influence grandissante.
Les BRICS ont également la possibilité de rééquilibrer les dynamiques économiques mondiales en offrant une alternative aux institutions financières dominées par les pays industrialisés. Les pays qui souhaitent y adhérer veulent justement profiter de cette notoriété et de ce poids pour protéger leurs intérêts. L’Algérie en fait partie.
- Cette année marque la 15e édition du sommet des BRICS, se tenant du 22 au 24 août. Pourquoi une telle attention cette année ?
Il y a une forte attention cette année, car de nombreux pays estiment qu’ils ne trouvent pas leur place au sein du G7, groupe de nations industrialisées. Intégrer les BRICS leur offrirait une meilleure protection de leurs intérêts. Les sanctions, imposées par les Etats-Unis, comme avec l’Iran, inquiètent de nombreux pays, qui craignent d’être sanctionnés s’ils ne respectent pas les demandes américaines.
Les Etats-Unis ont externalisé leur système judiciaire, permettant à n’importe quel juge américain de prendre des décisions à l’échelle mondiale. Cette réalité incite les pays à chercher des alternatives pour protéger leurs intérêts.
- Quels sont les critères pour adhérer à ce groupe sélect ?
Les BRICS possèdent des règles internes pour l’adhésion, permettant à d’autres pays de devenir membres ou observateurs, voire de sortir. Les critères économiques stricts sont primordiaux, tels que le PIB et la participation au commerce international. Les pays, souhaitant y adhérer, doivent répondre à ces seuils minimaux.
Deux types d’adhésion existent : membre à part entière ou observateur. Etre observateur n’est pas une position inférieure, mais une étape vers une adhésion complète. Les observateurs contribuent aux débats, mais ne possèdent pas de droit de vote, en attendant de remplir les critères.
- L’Algérie a annoncé, officiellement, demander à rejoindre les BRICS. Quel intérêt pour notre pays d’adhérer aux BRICS et réciproquement ?
L’Algérie voit dans son adhésion aux BRICS l’opportunité de défendre ses intérêts nationaux au sein d’un groupe puissant, ce qui ouvre des horizons prometteurs pour le pays. L’Algérie aspire à devenir une plateforme régionale de commerce et d’investissement pour les autres membres des BRICS, ainsi que pour d’autres pays partenaires.
Cette ambition s’explique par plusieurs facteurs géographiques et géopolitiques. L’Algérie occupe une position stratégique qui la place à la fois en Afrique et à proximité de l’Europe. Sa position géographique unique lui permet de servir de lien entre les continents africain, européen et arabe.
Cette dimension multi-facettes fait de l’Algérie un point d’entrée attrayant pour les pays membres des BRICS, notamment l’Inde, la Chine et le Brésil, qui cherchent à étendre leurs investissements et leur influence dans cette région dynamique.
De plus, l’Algérie est membre de la Ligue arabe, renforçant davantage son rôle de pont entre les mondes arabe et africain. L’Algérie envisage ainsi de développer son industrie et son commerce en tirant parti de sa situation géopolitique privilégiée.
Cependant, à mesure que le nombre de membres des BRICS augmente, cette possibilité pourrait également croître, suscitant des réflexions sur la manière de gérer cette extension tout en maintenant une dynamique positive.
La question se pose alors : la relation entre les BRICS et les pays industrialisés du G7 sera-t-elle caractérisée par une confrontation ou une complémentarité ? Cette réflexion témoigne des défis et des opportunités qui se présentent à mesure que les BRICS continuent d’évoluer et d’interagir avec le reste du monde.
- Lors de sa dernière rencontre avec les médias, le chef de l’Etat a souligné que l’Algérie avait de grandes chances d’intégrer les BRICS. Remplit-on les critères nécessaires pour adhérer comme membre observateur ou à part entière à ce groupe ?
L’adhésion en tant que membre à part entière n’est pas encore envisageable. Nous n’atteignons pas les critères requis en termes de PIB, de position dans le commerce mondial, et de diversification économique. Cependant, l’économie progresse avec des investissements et des programmes en cours.
Comme je l’ai déjà dit, l’adhésion en tant qu’observateur n’est pas une position inférieure. C’est une étape avant de devenir membre à part entière. Les observateurs ne disposent pas du droit de vote, mais ils contribuent aux débats et peuvent progresser vers une adhésion totale en remplissant les critères.
Maintenant, si les BRICS décident d’accepter l’adhésion de l’Algérie en tant que membre à part entière, ils vont créer un précédent qui n’est pas dans l’intérêt du groupe. Ceci notamment dans cette période où près de 23 pays frappent à leur porte. Des pays dont les conditions d’adhésion sont meilleures que les nôtres.
- Quels sont les rôles de la nouvelle banque de développement des BRICS ?
Lors de sa création en 1944, la Banque mondiale avait pour objectif la reconstruction, principalement de l’Europe dévastée. Cependant, son rôle a évolué pour inclure les pays en développement. La construction de la Banque mondiale et du FMI dépendait des contributions des pays, accordant davantage de poids aux plus grands contributeurs. Cette réalité confère un pouvoir disproportionné aux pays tels que les Etats-Unis.
La nouvelle banque de développement des BRICS, en mobilisant des ressources pour le développement, présente un potentiel de transformation, pouvant rivaliser avec la Banque mondiale. La nouvelle banque de développement des BRICS est une alternative et bien plus encore.
Si tous les pays membres de la Banque mondiale rejoignaient la nouvelle banque de développement, cela affaiblirait considérablement la Banque mondiale. Cette nouvelle institution pourrait devenir une alternative crédible, mobilisant des ressources pour le développement tout en réduisant l’influence de la Banque mondiale.
Les missions de la nouvelle banque de développement des BRICS sont multiples et stratégiques. Contrairement à la Banque mondiale, dont les débuts étaient axés sur la reconstruction de l’Europe après la Seconde Guerre mondiale, cette nouvelle institution vise à soutenir le développement des pays membres et à offrir une alternative aux mécanismes de financement traditionnels.
Son rôle est de financer des projets d’infrastructures, de développement durable et d’autres initiatives économiques majeures dans les pays membres.
La nouvelle banque de développement des BRICS agit également comme un contrepoids aux institutions financières internationales existantes, dont le fonctionnement est souvent critiqué pour favoriser les pays industrialisés au détriment des nations en développement.
Par le biais de cette institution, les pays émergents ont l’opportunité de prendre le contrôle de leur propre développement en finançant des projets qui répondent à leurs besoins spécifiques.
Cela permet également de renforcer les liens entre les pays membres et de favoriser un échange de connaissances et de technologies. En fin de compte, la nouvelle banque de développement des BRICS reflète la volonté des nations émergentes de jouer un rôle plus actif sur la scène économique mondiale et de remettre en question le statu quo établi par les institutions financières traditionnelles.
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