Le politologue Mohamed Hennad revient dans cet entretien sur la célébration du 3e anniversaire du hirak pacifique du 22 février 2019. Il rappelle ses origines et analyse son évolution et l’attitude du pouvoir en place à son égard. Selon lui, «le hirak a, certes, réalisé peu de choses dans l’immédiat», mais il «a réussi à éveiller la conscience collective».
- Les Algériens célébreront, aujourd’hui, le 3e anniversaire du hirak populaire du 22 février 2019. Pourquoi le peuple algérien est-il sorti ce jour-là ?
Pour répondre à votre question, nonobstant le timing, l’historien que je ne suis pas distinguera entre les «causes profondes» et les «causes immédiates». Pour les premières, il s’agit de la volonté attribuée au Président déchu de rempiler pour un 5e mandat consécutif. Je dis «attribuée», car le «candidat» était grabataire et quasi absent. Pour les secondes, il s’agit de la corruption, éhontée et tous azimuts, devenue le mode de gestion de l’Etat, et ce, faut-il le rappeler, après une décennie sanglante, elle-même survenant suite à une administration autoritaire et chaotique qui domine depuis les premiers jours de l’indépendance.
- Trois ans après, quel bilan pouvez-vous faire de ce mouvement ? A-t-il atteint ses objectifs ?
Dans l’immédiat, peu de choses peut-être ! L’on est même tenté de dire que le hirak a créé beaucoup plus de problèmes à l’Algérie qu’il n’en a résolu, vu l’insolence et la légèreté avec lesquelles le pays est géré aujourd’hui et les graves atteintes qui continuent d’être perpétrées par le régime en place contre les droits de l’homme et du citoyen, avec leur lot de souffrances infligées aux détenus pour délits d’opinion et leurs familles ! Il faut que l’on comprenne bien que le hirak n’est pas un coup d’Etat lequel, souvent, reproduit les mêmes situations, voire pire, avec un personnel politique différent.
Le hirak est une militance à long terme, non pas contre des personnes mais contre des pratiques politiques malsaines. Sur ce plan, je pense que la conscience collective a fait beaucoup de chemin eu égard à la manière dont l’Etat et la société devraient être gérés. Et puis voyez le haut niveau atteint par la critique politique chez nous, notamment à travers les réseaux sociaux qui sont devenus très réactifs à l’actualité nationale. Evidemment, les choses auraient pu être nettement meilleures, n’était cette bigoterie pesante qui empêche la nation d’aller de l’avant d’une manière résolue. Et c’est vraiment bien dommage !
- Le hirak est-il réellement «fini», comme l’affirment les tenants du régime ?
Evidemment, le pouvoir algérien, «autruchien» qu’il est, ne pourrait dire autre chose. Mais ses tenants doivent reconnaître, en leur for intérieur, que rien n’est plus comme avant et qu’il s’agit, simplement, d’une question de temps. Quant à ceux qui sont hors du cercle de ce pouvoir, notamment les jeunes générations, le hirak, bien au contraire, se porte bien, puisque l’on célèbre son troisième anniversaire. A cette allure-là, l’on finira, certainement, par en faire la deuxième fête nationale !
Cela veut dire que le hirak s’inscrit déjà dans la durée pour remodeler la conscience collective. Force est d’admettre que le hirak fait preuve de résilience que les dirigeants actuels semblent incapables de comprendre. Certes, il continue de «faire des victimes», vu le recours accru des tenants du pouvoir à la violence, y compris par des moyens sournois à travers, notamment, des labos conçus spécialement à cet effet, mais c’est le prix à payer pour faire bouger les lignes.
- Quelle analyse faites-vous de la situation politique du pays actuellement, et quelles sont les perspectives ?
Tout d’abord, il faut se rendre à l’évidence que le pays est de plus en plus géré d’une manière sécuritaire que politique ! Ceci s’explique aisément par le fait que l’Algérie passe par une situation où ce qui compte pour les tenants du pouvoir est comment le garder et non pas ce qu’ils sont censés faire pour que l’Algérie puisse aller de l’avant, à l’instar de ces pays d’Afrique qui étaient à la traîne il y a seulement quelques années.
C’est pour cette raison d’ailleurs que nos dirigeants continuent de se battre les uns contre les autres pour donner l’illusion qu’ils combattent la corruption et la mauvaise gouvernance, alors qu’il s’agit, visiblement, d’une lutte de clans. Combien d’anciens officiers supérieurs et de hauts responsables ayant tenu le haut du pavé sont aujourd’hui ou bien en taule ou en fuite ?! Quant aux perspectives, honnêtement, c’est difficile à dire !
Tout ce que je peux dire, c’est que je souhaiterais voir mon pays avancer à pas sûrs sur la voie de la bonne gouvernance, laquelle, il faut toujours le rappeler, repose sur deux piliers, notamment la légitimité dans la désignation de ceux qui, à chaque fois, prennent en charge le destin du pays et la bonne performance dans la gestion des affaires de la communauté nationale, à commencer par la sacralité des deniers publics.