Mohamed El Korso, Historien : «Dire que l’Ouest algérien est marocain, c’est faire preuve d’un manque d’éthique intellectuelle»

28/11/2024 mis à jour: 12:15
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Mohamed El Korso

L’historien Mohamed El Korso revient sur la polémique suscitée par les propos de l’écrivain Boualem Sansal, concernant les frontières ouest de l’Algérie. Citant des faits historiques, notre interlocuteur a déconstruit cette contrevérité, entretenue, notamment, par le royaume marocain, sur la question des frontières qui a été, selon lui, tranchée définitivement depuis 1972.

 

Propos recueillis par Nabila Amir

 

 

Selon Boualem Sansal, «lorsque la France a colonisé l’Algérie, toute la partie ouest du pays faisait partie du Maroc». Une explication ? Est-ce que c’est vrai ? 


Non, ce n’est pas vrai. C’est faux ! Dire et écrire que l’Ouest algérien est marocain, c’est aller à contre-courant de l’histoire et surtout faire preuve d’un manque d’éthique intellectuelle. La question des frontières entre l’Algérie et le Maroc est une question récurrente depuis que les Algériens ont pris les armes pour se libérer du joug de la France coloniale. Pour en saisir le sens, il faut rappeler que le sultan Moulay Ahmed El Mansour, au fait de sa gloire, avait des ambitions territoriales démesurées. Le Soudan et le Niger vont pourvoir le royaume Saadi en or et en esclaves. Depuis cette date, c’est-à dire depuis 1591, les visées expansionnistes de la monarchie marocaine n’ont jamais cessé. Elles connaîtront un regain au lendemain de la restauration de la souveraineté de l’Algérie sur son territoire et se concrétiseront, par ailleurs, par l’occupation du Sahara occidental. Pour ce qui est de la frontière ouest de notre pays, signalons simplement que le pouvoir de l’Emir Abdelkader, suite à l’accord de la Tafna, s’étendait sur les deux tiers de l’Algérie du Nord. Afin de préserver cet acquis et renforcer sa défense, il édifia des villes forteresses pour combattre Bugeaud et ses troupes. Tlemcen était l’une d’elles et Sebou une de ses garnisons située à un jet de pierre de Oujda. Par ailleurs, cette question a été soulevée en juillet 1961 entre Ferhat Abbas, président du gouvernement provisoire de la république algérienne (GPRA), et Hassan II, roi du Maroc. Son règlement a été différé à la fin de la guerre. Début 1969, il y a eu la signature du traité d’Ifrane, avec la mise en place d’une commission mixte de bornage. En juin 1972, il y a eu la signature d’une convention mettant fin aux revendications du Maroc sur le Sahara algérien. La question des frontières est considérée comme définitivement réglée en juin 1992. 

L’attentat de Marrakech (1994) fait entrer les deux pays dans une tourmente sans fin. Les frontières étaient connues de l’occupant français. Elles étaient connues de Bugeaud, elles étaient également connues de la France. Revenir sur cette question déjà tranchée, cela équivaut à re-détricoter toute l’histoire, avec les Mérinides, les Zianides et, également, les Hafsides de Tlemcen… Dans ce cas de figure, on ne s’imagine pas du tout un tel débat qui remettrait en cause les frontières existantes en Europe. Ce serait l’implosion dans ce continent. Ce qui se cache derrière ces affirmations qui n’ont aucun sens, c’est effectivement cette aspiration colonialiste du Maroc qui a de tout temps existé. Pour preuve, au lendemain de l’indépendance, l’Algérie a été agressée par les marocains qui avaient occupé une partie de son territoire. Il y a également cette non-volonté d’aller vers la construction d’un Maghreb uni, comme cela a été souligné en son temps par l’Etoile nord-africaine et le Congrès de la Soummam, qui sont des repères fondamentaux pour le Maghreb. 

En 1956, la question des frontières a été soulevée par les marocains, au plus fort de la guerre de libération menée par les Algériens contre l’occupant français. Le sujet a suscité une polémique et des discussions ont été entamées...
Il s’agissait d’une polémique qui relève de la politique politicienne. On se pose la question pourquoi à ce moment-là ? L’Algérie allait vers l’indépendance. 

Pourquoi le roi du Maroc, le makhzen, n’avait pas soulevé cette question du temps de l’occupation française ? A l’indépendance, le Maroc pensait que l’Algérie était faible et qu’elle était une jeune nation qui allait céder. Le Maroc voulait profiter de cette faiblesse, entre guillemets, non pas pour revendiquer, mais arracher ce qu’il pouvait arracher. 


Pourquoi relancer le débat autour de la question des frontières aujourd’hui et en ce contexte actuel ? A quel objectif cela répond-il ? 

Il y a des déclarations faites dans un contexte donné, mais qui revêtent un tout autre caractère dans un climat de tension politique régional extrême. Regardons un peu ce qui se passe dans d’autres régions du monde. Les peuples d’Europe, par exemple, sont depuis des décennies les victimes de cet héritage des siècles passés et des ambitions démesurées de certains gouvernants. Cela répond donc aux visées colonialistes qui se font jour. Nous le voyons au Sahara occidental, avec le Maroc et les tentatives concernant l’Algérie. L’Algérie veut unifier, les autres veulent diviser par l’occupation. 

 

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