Mohamed Boudia. Le précurseur et l’exemple : Ces Algériens qui ont combattu pour la Palestine

29/11/2023 mis à jour: 04:01
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Mohamed Boudia et Leila Noureddine

Ils n’étaient pas nombreux, mais tous déterminés, guidés par leur volonté de faire triompher la justice. Ils étaient jeunes mais résolus et prêts aux sacrifices. 

Certains d’entre eux l’ont payé de leur vie, comme Mohamed Boudia ,tombé en martyr à Paris en 1973, Leila Noureddine tombée en martyre à Beyrouth en 1976, Hamoud Boukercha, l’enfant de Boudouaou, alias Khaled El Djazaïri, tombé en martyr en août 1981, et les autres militants plus chanceux, Mohamed Benmansour, Ali Benachour, Tayeb Sahraoui, Mohamed Bouchehit, Sid Ali Mezouane, qui ont tous été à l’avant-garde de la résistance palestinienne, à travers ses différentes factions, surtout de gauche.  

 

 


Dès le déclenchement de la lutte armée, Mohamed, qui se trouvait en France, déjà membre actif de l’OS, s’est joint  aux militants, qui avaient adhéré aux mots d’ordre du FLN en portant le combat au cœur de l’Hexagone, ouvrant ainsi un second front dans ce pays. Son engagement a été sans faille et sans calcul. 

Son fait d’armes, le plus marquant, fut, sans doute, l’opération  exécutée, avec d’autres, contre les raffineries et le dépôt d’hydrocarbures à Mourepiane le 25 août 1958, dans la banlieue de Marseille, à la suite de laquelle Mohamed fut arrêté et emprisonné. Son intelligence et son audace lui permirent de s’évader au cours de l’été 1961, de la prison d’Angers, grâce à la complicité du mouvement français de lutte contre le colonialisme, notamment le réseau Curiel. 

En prison, Mohamed, l’intellectuel, l’artiste démontrait ses talents créatifs, en faisant jouer Molière à la prison de Fresnes et en mettant en scène ses propres textes, y compris poétiques. Il disait : «Le théâtre faisait partie de la lutte d’indépendance, et que l’indépendance acquise, ce même théâtre devait être une arme émancipatrice, sociale et politique.» Intellectuel confirmé et internationaliste convaincu, Mohamed, alors qu’il était encore en prison, a vu ses manuscrits relatifs à ses deux pièces de théâtre Naissance et L’Olivier, publiés par une maison d’édition suisse, détenue par son fondateur Nils Andersson, figure marquante de l’anticolonialisme, au cours de la deuxième moitié du siècle dernier, connu aussi pour avoir pu pallier à la saisie de «la Question» d’Henri Alleg, lors de sa sortie, en rééditant l’ouvrage en Suisse. 

Après l’indépendance, Boudia, qui a été nommé à la tête du Théâtre national algérien, en 1963, se plaignait déjà de l’absence de répertoire national. Il avait déclaré à l’époque : «Dans la guerre révolutionnaire que menait le peuple algérien contre le colonialisme, le théâtre avait une place qu’il se devait, qu’il se doit d’occuper encore. 

Bien sûr, depuis longtemps, depuis Goebbels, depuis les émissions londoniennes de la résistance française, à travers les nombreux films américains, à la gloire de l’armée, et bien avant encore, on sait quel rôle joue dans le domaine de la propagande et de l’endoctrinement des masses, le spectacle sous toutes ses apparences.» L’aventure «d’Alger ce soir» qu’il dirigera fit long feu et s’arrêta en septembre 1965. A la suite du démantèlement de l’ORP (Organisation de la résistance populaire, clandestine), Boudia est condamné par contumace. 

On peut dire que son exil outre Méditerranée fut fécond, puisqu’il réussit à se hisser à un rang enviable au sein d’un théâtre parisien. Ses rencontres avec les leaders palestiniens Wadi Haddad (Abou Hani) et Georges Habbache seront déterminantes, et le désigneront comme la cible privilégiée du Mossad qui le traquera à mort. Dans sa militance palestinienne, Boudia était affublé par le Mossad de plusieurs surnoms : «L’homme aux cent visages», «le fantôme», alors qu’il était connu, au sein des cellules des fidayine, relevant du Front populaire de libération de la Palestine sous l’appellation «d’Abou Dhaya». Mohamed savait qu’il était la cible privilégiée des services secrets sionistes. Il est mort le 28 juin 1973 à Paris, dans des conditions tragiques. 

Sa R16, qui se trouvait en stationnement dans le 5e Arrondissement de la capitale française, a explosé, au moment où le révolutionnaire algérien mettait le contact de son démarreur. La charge explosive, qui avait été dissimulée sous le siège avant gauche, avait déchiqueté le corps de Boudia. Il avait tout juste 41 ans. Allah yerhem echahid, qui incarnait le militant sincère, dévoué à une cause juste. Dans son livre consacré à Mohamed Boudia, Une œuvre inachevée, Mohamed Karim Aissoune intègre quelques témoignages, dont celui de notre ancien collègue à El Moudjahid, le regretté Kader Mahdi. 
 

Quant à l’auteur du livre, il évoque la participation de Boudia, né le 24 février 1932 à La Casbah d’Alger,  dans la Guerre de Libération nationale, et les opérations qu’il avait menées, avec son camarade de lutte Meziane Cherif, qui deviendra plus tard directeur chargé de l’industrie, préfet, ministre de l’Intérieur puis ambassadeur. Kader Mahdi, qui mourut en exil en France, était journaliste et militant de l’UNEA historique, et il avait connu Boudia, en compagnie du regretté Bachir Rezoug, durant les premières années de l’indépendance. C’est au Tantonville, le célèbre café jouxtant le Théâtre national, que Boudia rencontrait les protagonistes de la culture nationale et du théâtre algérien. Kader était parmi eux, avant son départ pour Oran, afin d’exercer à la République d’Oran, aux côtés de Bachir Rezoug. Par la suite, il comptera parmi les effectifs  du quotidien national El Moudjahid à Alger. Il est mort dans un village français retiré où il vivait dès le début de 1995 pour reprendre ses dires, «fuir les tourments de la vie».
 

LEILA NOUREDDINE, UNE JEUNE ÉTUDIANTE DANS LA GUERRE 

Leïla Noureddine est la fille de Cheikh Noureddine, né en 1918 à Larbaa Nath Irathen fils d’un imam qui professait dans la zaouia maraboutique familiale. Cheikh Nouredine  est décédé le 16 août 1999 à Alger. Il est connu pour être un ancien moudjahid, qui a toujours refusé d’être encarté, fondateur de la Radio Chaîne II, pionnier de la chanson kabyle, auteur, chanteur, compositeur et chef d’orchestre avec cette particularité qu’il jouait de tous les instruments. Ce n’est là qu’une partie de son large répertoire, puisque cet artiste complet était aussi acteur, sollicité dans plusieurs longs métrages, majoritairement consacrés à la guerre de Libération, notamment Patrouille à l’Est de Amar Laskri et les Hors-la-loi de Tewfik Fares. Cheikh Noureddine a aussi interprété des rôles dans Elise ou la vraie vie de Michel Drach (1969), Echebka de Ghouti Bendeddouche (1976), Les Chevaux du soleil de François Villiers (1976) Ainsi que ses présences dans des sketches auprès de son ami de toujours Slimane Azem. 

A vrai dire, je ne connaissais cet immense artiste qu’à travers l’écran. Grande fut ma surprise  quand en 1992 il débarqua au siège d’El Watan, pour nous assurer de sa sympathie et de son soutien. En le recevant, je n’ai pas omis d’évoquer avec lui la position exceptionnelle de sa fille Leïla Nouredine, Meziane à l’état civil, partie en Palestine occupée, pour militer au sein du FPLP de Georges Habbache, et mener le combat contre l’oppression et l’injustice qu’elle abhorrait. Elle fut un exemple, qui est allé jusqu’au bout de ses convictions humanistes et progressistes. Cheikh Noureddine était fier de sa fille, de sa bravoure et de son courage. Il m’a avoué «qu’elle jouissait d’un fort caractère et qu’elle avait choisi son destin compliqué, en toute responsabilité, en toute conscience, c’est pourquoi elle est allée jusqu’au bout de ses idées». 

C’était une fille bien dans sa peau, étudiante en journalisme au début des années soixante-dix qui vivait au rythme effréné des révolutions qui secouaient le monde, dont Alger était le cœur. 

Ce n’est pas par hasard qu’on l’appelait la Mecque des révolutionnaires, lors des deux premières décennies de l’indépendance durant lesquelles l’Algérie a apporté un soutien important aux mouvements anticoloniaux et aux révolutionnaires du monde entier, qui y ont trouvé une terre d’asile et d’accueil. Leïla a baigné dans cette ambiance, en fréquentant assidûment le Cinéclub du regretté Abdelhakim Meziani, et en assistant souvent aux débats de la Cinémathèque d’Alger, qui ne désemplissait pas lors de ses cinq projections quotidiennes, en accueillant des sommités - cinématographiques, qu’on avait plaisir à côtoyer et à écouter. Il n’était pas rare de la voir dans les milieux de l’Union nationale des étudiants algériens, se souvient notre ami, le militant progressiste Mustapha Benallegue. Le frère cadet de Leïla Yahia témoigne : «Très jeune, Leïla était une patriote engagée, progressite, imprégnée des idéaux humanistes et par la cause palestinienne. Quand elle est partie là-bas, elle a exercé à l’agence de presse palestinienne Wafa, tout en activant  au sein de la résistance où elle a participé à plusieurs opérations, en étant parfois sérieusement blessée. Quand il lui arrivait de revenir à Alger, il était rare qu’elle vienne à la maison, préférant la proximité de ses camarades. Elle avait côtoyé Carlos et Boudia. 

Leïla est l’aînée d’une fratrie qui compte six frères et deux sœurs. Elle est née en 1947 à Bir Mourad Raïs et a fait ses études chez les Sœurs à Saint Charles, actuellement les Oliviers, près de l’hôpital militaire de Aïn Naâdja. Elle maîtrisait parfaitement la langue française, rapporte le benjamin de ses frères Yahia, qui tient de son père toutes les infos concernant Leïla. Quand mon père a reçu le telex annonçant sa mort en 1976, il pleurait à chaudes larmes. Il était profondément affecté. 

Deux jours après, à l’époque, un haut responsable de l’Etat, en l’occurrence Hadj Yala est venu présenter ses condoléances à la famille. Mais il était entendu qu’il était impossible pour nos autorités, pour des raisons évidentes, de rapatrier son corps.» «Les Français avaient proposé de le faire, en contactant mon père, qui avait une carte de résident français. Mais il a décliné l’offre, arguant que dans nos traditions, on enterre le mort dans le lieu même où il a succombé», fait savoir Yahia, qui raconte un fait survenu en 1958, lorsque son quartier Khodjet El Djeld à Bir Mourad Raïs a été le théâtre d’un attentat. L’auteur fidaï, dans la précipitation, avait jeté son pistolet dans notre jardin. Il n’y avait que ma mère et Leïla à la maison. Il fallait à tout prix et rapidement se débarrasser de cette arme. 

C’est Leïla, âgée d’à peine 10 ans, qui s’est chargée, avec un sang-froid exceptionnel, de transporter ce pistolet, loin de chez nous dans les couches de mon frère Halim encore bébé, à destination d’une proche de ma mère. 

Ce jour- là, Leïla a montré des qualités intrinsèques de courage, de sang-froid et de bravoure qu’elle allait affiner, par la suite, dans son parcours de révolutionnaire. En effet, Leïla a rejoint le PC de Mohand Oulhadj, puis l’a suivi, lorsque le conflit  concernant le tracé des frontières et la revendication de Tindouf par le Maroc est devenue insupportable. Larbi Oucherif, mon regretté ami et confrère, m’avait confié dans El Watan, après l’appel de mobilisation en 1963, nous étions 32 à nous rendre au siège de l’UNEA, au-dessus du restaurant universitaire, sis au 10, boulevard Amirouche, à attendre le départ. Trente-deux sur les 700 inscrits, c’était assez peu et ceux qui se trouvaient là ne se connaissaient pas. 

Parmi les plus décidés, Aziz Belgacem, membre du comité exécutif, (il sera assassiné par les terroristes rue Bab Azzoun)Malek Saha, Lazhar, un étudiant ingénieur en travaux publics, Salem, un éternel étudiant en médecine, Leïla Nouredine, une future militante du FPLP, et qui mourra à Beyrouth en 1976, Zohra Djazouli, étudiante en lettres, Djamel Labidi, moi-même inscrit à l’Ecole supérieure de commerce. 

C’est dans la salle du conseil de l’UNEA, qu’on nous remit les tenues militaires, avant de rejoindre l’aéroport de Dar El Beïda, mais il y avait un problème, car en vertu des Accords d’Evian, la zone aéroportuaire de Colomb Béchar était encore sous contrôle de l’armée française. On a finalement fini par atterrir sans encombres. «Leila est la sœur, entre autres, de Yahia, de Youcef, que j’ai eu le plaisir de contacter pour les besoins de cet article, ainsi que de Abdelmadjid, décédé le 16 août 2006, auteur de plusieurs chansons kabyles, dont la plupart écrites pour Kaci Abjaoui. 

Leïla a succombé avec des camarades de lutte, lors d’un bombardement israélien qui a touché Beyrouth, où la valeureuse combattante est enterrée. Son frère Yahia nous a révélé que son acte de décès, sa famille n’a pu l’avoir que ces derniers temps, soit presque un demi-siècle après sa disparition.

Par Hamid Tahri 

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