Mieux piloter l’économie algérienne pour assurer sa stabilité et le succès des réformes

04/11/2024 mis à jour: 20:15
1651

L’Algérie gagnerait à renforcer le pilotage de son économie pour optimiser sa gestion macroéconomique et soutenir un processus de réformes structurelles incontournables. 

La majorité des économistes s’accorde sur les objectifs de la politique économique : un taux de croissance économique élevé dans un cadre de stabilité macroéconomique, ce qui inclut un équilibre interne (faible inflation stable) et un équilibre externe (compte courant soutenu par des flux de capitaux sans compromettre la viabilité de la dette ni imposer de restrictions aux échanges commerciaux et paiements).

 Dans cette perspective, la question du pilotage de l’économie revêt une importance cruciale, car elle conditionne l’utilisation efficace de tous les leviers disponibles pour une gestion macroéconomique saine. Elle est également essentielle pour mettre en œuvre une stratégie de refondation du modèle économique et social, capable de répondre aux défis nationaux (faible croissance, inflation élevée, volatilité du marché pétrolier, endettement public lourd et contexte social tendu) et internationaux (ralentissement économique mondial, transition énergétique, tensions géostratégiques et fractures géoéconomiques).

 Cet article est structuré en deux parties : (1) une première partie aborde les principes généraux du pilotage d’une économie ; et (2) une seconde partie dédiée à l’Algérie, analysant le modèle de pilotage actuel et proposant des mesures concrètes adaptées aux conditions nationales pour doter le pays des outils, leviers et politiques nécessaires pour surmonter les nombreux défis internes et externes.

Les fondations du pilotage d’une économie en général. Outre une capacité technique (savoir-faire en matière économique), le pilotage prend appui sur :  


• Des points d’ancrage à long terme : vitaux pour construire un avenir durable ce qui implique une vision ambitieuse et une stratégie coordonnée. La vision à long terme (le projet) est une ambition collective pour l’avenir, comme la transformation vers une économie de la connaissance et numérique.

 Cette vision, qui inspire et unit la société, exige un soutien important, des moyens financiers substantiels et des compétences solides. Pour ce qui est de la stratégie à long terme (la feuille de route), c’est un complément incontournable qui décline la vision en étapes décennales, avec des objectifs précis et des actions alignées. La mise en œuvre passe par des plans d’action triennaux, permettant une progression cohérente vers la réalisation de cette vision.


• Des données et indicateurs essentiels : Des données fiables sont  cruciales pour orienter l’action économique et construire des indicateurs avancés (qui ont le mérite de signaler des changements à venir, comme les tendances dans les marchés financiers, l’immobilier et les ventes au détail), des indicateurs retardés (qui permettent de suivre les effets des changements économiques, éclairant ainsi la compréhension des cycles économiques, avec des mesures comme le taux de chômage, le PIB et l’inflation) et des indicateurs coïncidents comme le revenu personnel et les taux d’intérêt, qui évoluent en parallèle avec l’état économique actuel et influencent directement la planification des décisions économiques. La lecture des indicateurs permet de diagnostiquer la situation économique actuelle (ex. : PIB, chômage, inflation), d’identifier des tendances, d’anticiper les changements futurs et d’ajuster les politiques macroéconomiques, structurelles et sectorielles en réponse aux défis contemporains et en cohérence avec une stratégie économique globale. 

De plus, ces indicateurs permettent de construire des projections économiques à moyen et long terme pour guider les investissements et identifier risques et opportunités. Un cadre statistique de cette nature favorise une gouvernance économique solide, permet de s’adapter aux enjeux et de répondre aux aspirations de croissance et de stabilité.


• D’une approche macroéconomique structurée, appuyée sur des cadres à moyen terme qui offrent une vision et un contrôle global à des fins de gestion macroéconomique disciplinée. :

 (1) le cadre macroéconomique à moyen terme CMMT qui fixe des objectifs chiffrés macroéconomiques et structurels sur le moyen terme ; (2) le cadre budgétaire à moyen terme (CBMT) qui établit, sur une période minimale de trois ans et selon des hypothèses économiques réalistes, une projection des dépenses et recettes publiques, identifiant le besoin ou l’excédent de financement, les sources de financement et le niveau d’endettement global de l’Etat ; (3) le cadre de dépenses à moyen terme (CDMT) : basés sur le CBMT, il a pour but de détailler, sur un horizon de trois ans ou plus, les principales catégories de dépenses publiques, classées par nature, fonction, ministère et programme. Cet outil puissant renforce la discipline dans la gestion des finances publiques et optimise l’efficacité des allocations budgétaires. Ensemble, ils fournissent un cadre robuste pour piloter l’économie de manière proactive et coordonnée, permettant des ajustements éclairés en réponse aux fluctuations économiques tout en préservant la stabilité budgétaire et en garantissant l’efficacité des dépenses publiques.


• Des politiques publiques appropriées et cohérentes. Elles jouent un rôle essentiel pour gérer le présent (régulation conjoncturelle) et préparer l’avenir du pays (stratégie à moyen et long terme). Elles se déploient dans cinq domaines principaux : 

(1) la gestion de la demande globale qui repose sur la coordination des politiques budgétaire, monétaire, de change (dans le cas d’un taux de change flexible) et de la dette publique pour ajuster l’économie selon la conjoncture ; (2) la gestion de l’offre globale qui s’effectue au moyen de politiques structurelles (favorisant la croissance, la compétitivité, les investissements et le développement bancaire) et sectorielles en soutien de la production du pays ; (3) les transformations macro structurelles qui visent à renforcer la qualité des politiques publiques afin d’optimiser la gestion macroéconomique et d’utiliser efficacement les leviers économiques disponibles; (4) la protection sociale et la redistribution, volet clé pour la protection des populations vulnérables affectées par les réformes, avec des ressources intégrées dans le cadre macroéconomique à moyen terme ; et (5) la communication, indispensable pour renforcer l’adhésion de la population aux réformes et pour assurer la visibilité des politiques économiques. En intégrant ces éléments, les politiques publiques peuvent mieux répondre aux enjeux actuels tout en préparant un avenir économique stable et inclusif pour l’Algérie.

La programmation financière (pour caler des politiques cohérentes sur le moyen terme). La programmation financière (PF) est une méthode quantitative simple que le FMI utilise depuis des années pour analyser les évolutions macroéconomiques. Le processus de la PF commence par la collecte d’informations sur la situation économique actuelle pour bâtir un scénario macroéconomique de référence détaillé (qui suppose que les politiques en vigueur ne changeront pas). 

Ce scénario permet d’évaluer la performance macroéconomique du pays et d’identifier les vulnérabilités à court, moyen et long terme. La dernière étape de la PF consiste à préparer un scénario de politiques publiques qui incorpore des mesures spécifiques et des nouveaux objectifs macroéconomiques. Ces derniers sont tirés des quatre grands tableaux macroéconomiques (qui constituent le cadrage macroéconomique à moyen terme) retraçant la dynamique du secteur réel, du taux de change et des prix ; de la balance des paiements ; des finances publiques ; et du secteur monétaire et financier. La cohérence macroéconomique du CMMT est assurée par le biais des relations comptables liant les différents secteurs. Le CMMT facilite la conception d’un ensemble de politiques visant à atteindre des objectifs à moyen terme repris dans un document cadre de politique économique (DCP) décomposés à leur tour en objectifs annuels présentés dans un mémorandum des politiques économiques et financières actualisé autant que faire se peut.

Le mode opératoire et l’édifice institutionnel de conception, décision et suivi. (1) Le mode opératoire: implique : (i) un suivi rigoureux de la réalisation des objectifs macroéconomique pour les adapter à tout moment aux changements; (ii) une réactualisation régulière, en conséquence, des projections macroéconomiques du pays; (iii) une réadaptation, si besoin est, de la feuille de route sur le moyen terme pour s’ajuster aux changements éventuels sur le plans domestiques et extérieur ; (iv) une réactualisation du CBMT et du CDMT ; et (v) une gestion transparente des messages économiques ainsi que la diffusion des données relatives à la gestion économique ;  (2) Les institutions : le suivi des réformes est aussi important que leur conception. Il implique un cadre institutionnel adapté, comprenant un comité technique de mise en œuvre des réformes (CTR), regroupant des représentants des diverses administrations économiques et opérant sous l’autorité d’un comité politique stratégique (CPS) dont le rôle est de définir la stratégie et amender, le cas échéant, les politiques at programmes d’action.


Le CTR produit mensuellement un tableau d’indicateurs économiques et financiers de base et des rapports trimestriels sur l’exécution des réformes. Ces documents sont transmis au comité politique afin de briefer les autorités politiques, la nation et les partenaires. Des décrets présidentiels définiront : (1) la composition, les modalités de fonctionnement et les sources primaires de statistiques qui alimenteront le CTR ; et (2) les missions, les modalités de fonctionnement et la composition du CPS.  

Qu’en est-il en Algérie : le mode de pilotage de l’économie n’est pas encore au point sur le plan de la gestion macroéconomique et de la mise en place et du suivi des reformes. 


• Le pilotage actuel est faible en raison de nombreuses contraintes. Citons : (1) l’absence de stratégie claire de développement économique et social depuis la fin des années 1990 ainsi que d’une  feuille de route tactique ;(2) la faiblesse des cadres essentiels actuels (CMMT, CBMT) ou leur absence (CDMT) ; (3) la faiblesse des outils de gestion macroéconomique : si la politique budgétaire souffre de problèmes de planification et d’efficacité, la politique monétaire peine à donner des signaux clairs, entravée par un secteur bancaire sous-développé et un double marché des changes ; (4) l’absence de cadre institutionnel adéquat : en mesure de collecter et de diffuser des données économiques essentielles, limitant ainsi la prise de décision et l’information dont le public et les investisseurs ont tant besoin ; et (5) la fragmentation de la politique économique : du fait de la dispersion des différentes composantes des politiques économiques entre plusieurs départements sans coordination, ce qui diminue leur impact. 
• La qualité des données macroéconomiques doit être (selon le FMI) renforcée. Les comptes nationaux ont été mis à jour en décembre 2023 pour s’aligner sur le Système de Comptabilité des Nations Unies 2008, avec une base très reculée toutefois (2001). Les données trimestrielles sous le nouveau système sont retardées. Les statistiques des prix à la consommation et au producteur sont calés sur la base 2001, ce qui affecte la précision de l’inflation. Pour ce qui est des statistiques financières publiques, leur couverture se limite au gouvernement central, avec des problèmes de classification et de longs délais de publication. Les statistiques monétaires de la Banque d’Algérie sont adéquates, y compris les indicateurs-clés d’accès à la finance. Pour la surveillance du secteur financier, les indicateurs de solidité financière sont produits annuellement, d’où le besoin d’améliorer la fréquence et la ponctualité. La balance des paiements offre des statistiques de bonne qualité en général, nonobstant le manque de couverture complète de certaines transactions. 
 

• Les défis externes et internes sont significatifs comme précisé ci-dessus. Le plus important sur le plan macroéconomique reste le rééquilibrage budgétaire (condition sine qua none pour toute reprise économique saine et durable). Ce dernier doit être crédible, dans le cadre d’une approche transparente reposant sur un cadre budgétaire pluriannuel accompagné de réformes structurelles devant dynamiser les secteurs non pétroliers, améliorer l’attractivité pour les investisseurs et renforcer la compétitivité. 


• Les outils à mettre en place pour piloter l’économie de façon proactive dans le cadre d’une stratégie à long terme sont les suivants. (1) une vision globale à titre intérimaire ainsi qu’une stratégie de refondation de l’économie nationale ; (2) une panoplie d’outils de pilotage macroéconomique, y compris un renforcement de la qualité et de la cohérence du CMMT, la réactivation du CBMT (avec une ventilation des charges communes) et une bonne utilisation de l’approche programme mise en place depuis 2023 pour renforcer les performances financières et économiques du pays ; (3) des politiques publiques appropriées et cohérentes sur le moyen terme ; (4) un édifice institutionnel pour la conception d’une politique économique globale et cohérente et le suivi des développements macroéconomiques ; (5) le renforcement de la gouvernance économique; (6) le développement d’une politique de communication avec des messages simples couvrant toutes les questions essentielles ; et  (7) le renforcement de la transparence économique et financière en publiant des données de base et des rapports d’étapes régulièrement. En période de crise plus particulièrement, plus la population est informée plus elle comprend les défis et mieux elle participe à leur solution. 

 

Par Abdelrahmi Bessaha , Expert international

 

Copyright 2024 . All Rights Reserved.