Les forces américaines et alliées ont abattu 15 drones tirés par les Houthis en mer Rouge et dans le golfe d’Aden, a annoncé, hier, le Commandement militaire américain pour le Moyen-Orient (Centcom), cité par l’AFP. Un peu plus tard, les Houthis ont revendiqué une attaque d’ampleur, affirmant avoir tiré des missiles sur un navire commercial «américain» et lancé des drones sur des navires de guerre américains dans «la mer Rouge et le golfe d’Aden».
Il s’agit de l’une des plus importantes attaques des Houthis depuis qu’ils ont entamé, en novembre dernier, une campagne de frappes de drones et de missiles contre des navires qui transitent par la mer Rouge, vitale pour le commerce mondial, en signe de solidarité avec les Palestiniens de la bande de Ghaza, où Israël est en guerre contre le mouvement islamiste Hamas depuis le 7 octobre.
Cette attaque «à grande échelle» s’est produite avant l’aube en mer Rouge et dans le golfe d’Aden, a précisé le Centcom. Les forces de la coalition et le commandement militaire américain ont estimé que les drones constituaient «une menace imminente pour les navires marchands, la marine américaine et les navires de la coalition dans la région», selon la même source.
En conséquence, «les navires et les avions de la marine américaine, ainsi que plusieurs navires et avions de la marine de la coalition ont abattu ‘‘15’’ des drones tirés par les Houthis», a ajouté le Centcom dans un message publié sur le réseau social X. «Ces initiatives sont prises pour protéger la liberté de navigation et pour rendre les eaux internationales plus sûres», a-t-il souligné.
De son côté, le porte-parole militaire des Houthis, Yahya Saree, indiqué sur X que les rebelles ont mené deux opérations distinctes. La première visait le navire commercial Propel Fortune dans le golfe d’Aden, a-t-il déclaré, le décrivant comme un bateau «américain».
Des sites internet effectuant le suivi des navires décrivent le vraquier comme battant pavillon de Singapour, mais ne donnent pas sa position actuelle. Lors d’une deuxième opération des Houthis, a ajouté Y. Saree, «37 drones» ont été tirés sur «un certain nombre de navires de guerre américains».
Le 9 janvier, les forces américaines et britanniques ont abattu 18 drones et trois missiles tirés par les Houthis en direction de navires en mer Rouge, avait alors indiqué l’armée américaine. Selon le Royaume-Uni, il s’agissait de l’attaque la plus importante menée jusqu’alors par les Houthis.
En décembre, les Etats-Unis ont annoncé une initiative de sécurité maritime visant à protéger les navires de la mer Rouge contre les attaques des Houthis, qui ont contraint les navires commerciaux à se détourner de cette route par laquelle transitent en temps normal 12% du commerce mondial. Depuis janvier, les Etats-Unis et le Royaume-Uni ont également lancé des frappes répétées sur des cibles houthies au Yémen, mais les Houthis ont poursuivi leurs attaques.
Un pays instable
Au-delà de ces interventions occidentales, c’est le Yémen qui continue à se débattre dans l’instabilité, malgré son unification en 1990. Ainsi, à ce jour l’ex-«Arabie heureuse» est dépourvue d’un Etat-nation, une des conditions permettant du moins d’atténuer les pratiques tribalo-religieuses qui dominent l’échiquier politique du pays. Un pays secoué d’une manière chronique par des velléités sécessionnistes. Indépendant à la fin de la première guerre mondiale, le Yémen du Nord est dirigé par un imamat (une monarchie).
En 1962, le colonel Abdallah Al Selal renverse l’imam Mohamed El Badr. Suit une guerre civile où l’Egypte soutient les républicains et l’Arabie Saoudite les royalistes. Riyad et Le Caire qui se disputent le leadership du monde arabe trouvent en ce pays un autre âtre pour se livrer une guerre par procuration. Le conflit prend fin en 1970 avec la proclamation de la République.
Mais cela est loin d’instaurer la stabilité dans le pays qui demeure secoué par les assassinats politiques et deux guerres contre le voisin du sud en 1972 et 1979. Au pouvoir en 1978, après l’assassinat d’Ahmed Al Ghachemi, Abdellah Saleh mène une politique d’équilibre avec Washington et Moscou et de bon voisinage avec le Yémen du Sud.
Cependant, à l’intérieur, il élimine ses opposants et alimente l’esprit tribalo-religieux hérité de l’ère royaliste. Les tribus du Nord se regroupent dans deux grandes confédérations, les Hashed et les Bakil, et jouent un grand rôle sur le plan politique.
Le président Abdellah Saleh les a longtemps utilisées pour se maintenir au pouvoir. A côté des atavismes tribaux, il y a l’élément religieux entretenu par le parti Al Islah, de la confrérie des Frères musulmans, dirigé par Abdellah Al Ahmar. Puissant chef de la Confédération tribale des Hashed, il dispose d’une grande autorité sur la moitié du Nord et de l’appui à l’époque de Riyad. Il s’est opposé à l’union avec le Yémen du Sud et a entretenu des rapports conflictuels avec le pouvoir central, sous la présidence d’Al Hamdi (1974-1977).
Ne pouvant neutraliser le pouvoir de ce chef de tribu, un Etat dans l’Etat, capable de mobiliser des milliers d’hommes en armes, le président Saleh préfère l’associer au pouvoir. Il l’intègre à la direction du pays au sein d’un Conseil consultatif créé en mai 1979, le nomme en août 1982 à la commission permanente du de son parti, le Congrès populaire général (CPG), et lui facilite son accession à la présidence de l’Assemblée nationale.
Mais dans ce jeu d’alliances, le président Saleh favorise la tribu Sanhan de la confédération Hashid, principalement son clan, les Afaash. Ancienne colonie britannique, le Yémen du Sud obtient son indépendance en 1967 et bascule dans le camp soviétique. Ainsi, de par son histoire, le tribalisme n’a pas de poids politique. Cependant, le pays vit au rythme des coups d’Etat et assassinats politiques. Le président Robaya Ali est exécuté en 1978 pour «tentative de coup d’Etat».
Le président Abdelfatah Ismail finit par s’exiler à Moscou en 1980 pour revenir en 1985. En 1986, une guerre civile éclate, opposant les partisans de Abdelfatah Ismail et de son successeur Ali Nasser Mohammed. Ce dernier se réfugie au Nord et son prédécesseur est tué. La découverte de gisements de pétrole dans les décennies 1980 et 1990 au Nord et au Sud a suscité de l’espoir. Mais la guerre civile de 1994 a laminé l’unité.
Émergence d’Ansar Allah
De son côté, Washington a décidé de revoir sa politique au Moyen-Orient après l’attaque du destroyer USS Cole de l’US Navy en octobre 2000 au port d’Aden, au sud, et les attentats du 11 septembre 2001.
Sanaa devient l’allié des Etats-Unis dans sa guerre menée contre Al Qaïda. Option qui a suscité l’ire des Houthis accusant Abdellah Saleh d’être inféodé à Washington qui a lancé un an plus tôt la seconde guerre d’Irak.
De confession zaïdite, une branche chiite, ce groupe politico-religieux est issu du Forum des jeunes croyants, organisation religieuse et culturelle fondée en 1992. Il tire son nom de l’un de leurs fondateurs et leur chef historique, le prédicateur Hussein Al Houthi, tué par les forces gouvernementales en 2004. Lui succède son frère, Abdul Malik Al Houthi.
Les Houthis se sont regroupés dans le mouvement Ansar Allah (Partisans de Dieu). Se voyant marginalisés, opposés à la politique de rapprochement de Sanaa des Etats-Unis suites aux attaques de septembre 2001, les Houthis mènent, à partir de leur fief de Saada (nord) depuis 2004 la guerre au pouvoir central. Le président à l’époque, Abdellah Saleh, les accuse de vouloir rétablir l’imamat aux dépens de la République. Le Qatar propose ses bons offices pour trouver une issue au conflit. Cependant, la médiation de 2007 suivie d’un traité en février 2008 n’a pas empêché la reprise des combats en avril de la même année.
De son côté, Riyad intervient militairement en novembre 2009 à Saada. En août 2010, un autre traité est signé à Doha entre le gouvernement et les insurgés.
Les révoltes populaires de 2011 ont contrarié l’ambition de Abdellah Saleh qui s’apprêtait à modifier la Constitution pour se représenter à la présidentielle 2013 et y rester à vie. Après avoir survécu à un attentat, il se fait soigner en Arabie Saoudite, où il signe ensuite un accord de transition qui le contraint à céder le pouvoir. En septembre 2014, les insurgés entrent dans la capitale Sanaa, appuyés par des partisans de l’ex-président Saleh.
En mars 2015, une coalition arabe menée par Riyad lance une opération aérienne pour bloquer l’avancée des Houthis vers le Sud. Washington fournit un soutien logistique et en renseignement. Le président Hadi se réfugie à Riyad. Le 29 novembre 2017, la crise entre les Houthis et l’ex-président Saleh dégénère.
Le 2 décembre, ce dernier propose au royaume wahhabite de «tourner la page», à condition qu’il lève le blocus renforcé un mois plus tôt après un tir de missile par les Houthis au-dessus de Riyad. Le 4 décembre, il est tué par des Houthis qui renforcent leur présence à Sanaa. Fin janvier 2018, des séparatistes du Sud se retournent contre les forces gouvernementales à Aden, avant qu’une intervention saoudo-émiratie ne stoppe la bataille.
En juin 2018, les forces progouvernementales, appuyées par Riyad et Abou Dhabi, lancent une offensive sur la ville portuaire Hodeïda au Sud.
En août 2019, des affrontements opposent à Aden des éléments séparatistes de la force «Cordon de sécurité», entraînée par les Emirats, aux troupes du gouvernement, soutenues par le royaume wahhabite. Le 29 août, les forces séparatistes reprennent Aden.
En septembre, les Houthis revendiquent des attaques contre deux installations pétrolières saoudiennes. Riyad et Washington accusent l’Iran qui dément.
Le 12 février 2020, le secrétaire d’Etat américain, Anthony Blinken, a annoncé le retrait des Houthis de la liste noire des «organisations terroristes étrangères».
Soit un mois à peine après que l’administration de Donald Trump ait intégré les Houthis à sa liste noire.