Mekliche Arezki - Professeur à l’Ecole nationale supérieure agronomique (ENSA, Alger) : «Il y a lieu de s’orienter vers l’agriculture de conservation»

30/04/2023 mis à jour: 23:16
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Photo : D. R.

La situation de stress hydrique, jamais vécue depuis 1944, risque de compromettre sérieusement la campagne agricole de cette année. Le professeur Arezki Mekliche trace, dans cet entretien, un point de situation et alerte : «Pour cette campagne agricole fortement marquée par un déficit hydrique sans précédent, ayant impacté dangereusement le niveau des barrages, il est difficile d’envisager d’atteindre les objectifs tracés.» Le professeur à l’ENSA suggère, dans son propos, différentes pistes et solutions afin d’éviter de subir le manque de précipitations et estime qu’il «ne faut jamais tenir compte des prévisions climatiques mais suivre la réserve hydrique du sol».

  • Comment se présente la campagne moisson-battage avec la situation actuelle de stress hydrique ?

La sécheresse de cette année est vraiment exceptionnelle. La pluviométrie, insuffisante en hiver pour reconstituer la réserve hydrique du sol, est totalement absente en mars et avril, qui sont des mois décisifs pour la production des céréales.

Il faut, sans doute, remonter à 1944 pour retrouver une situation aussi catastrophique, moins de cinq millions de quintaux produits toutes céréales confondues. Les pouvoirs publics rendront, sans doute, bientôt compte de la situation que connaissent les agriculteurs. La production sera malheureusement exceptionnellement basse cette année.

  • Le phénomène de la sécheresse ne date pas d’aujourd’hui et ne fait que s’accentuer. Quelle stratégie adopter pour réduire la dépendance vis-à-vis des précipitations ?

Le climat méditerranéen est connu pour ses phénomènes de sécheresse récurrents depuis très longtemps, et, il se peut que cela aille en s’accentuant. L’agronomie est la science qui permet de s’adapter aux conditions de l’environnement pour mieux en tirer profit. Malheureusement, des phénomènes climatiques autres que les précipitations viennent compliquer la situation.

Il s’agit des températures basses qui engendrent des gelées au moment de grande sensibilité de la céréale provoquant la coulure, et des températures trop élevées supérieures à 32°C qui provoquent l’échaudage. Autrement dit, on obtient un grain très petit et léger. Pour compliquer davantage le tableau, la majorité de nos sols sont superficiels, calcaires, très pauvres en matière organique (moteur de la fertilité) et retiennent très peu d’eau.

Les études fréquentielles fines du climat sur une longue durée, les services météorologues nationaux disposent de plus d’un siècle de données journalières (pluie, gelées printanières, sirocco) des grandes zones agricoles homogènes, sont indispensables pour définir les dates des travaux du sol, du semis et surtout le choix des espèces et variétés.

  • Qu’en est-il des stratégies de riposte ?

Une première stratégie est de faire respecter par tous les intervenants (décideurs, administrations, agriculteurs, chercheurs) les résultats de la recherche, qui doit définir avec rigueur les points précédents. On ne sème pas n’importe quand, n’importe quelle espèce et encore moins n’importe quelle variété. A titre indicatif, en conditions pluviales, le blé dur ne doit être cultivé que dans les zones à climat humide, subhumide et en sol profond, sans oublier le respect strict d’une rotation dicotylédones/monocotylédones.

Les sols trop superficiels en pente doivent être exclus de la rotation des cultures et réservés aux pâturages ou à l’arboriculture fruitière ou forestière adaptée localement, il ne faut pas exclure des espèces comme le jujubier, qui dispose d’un pouvoir protecteur du sol contre l’érosion extraordinaire, sans oublier l’intérêt de cette espèce pour la production du miel de très bonne qualité. 

Dans les sols retenus pour les grandes cultures pluviales, il y a lieu de proscrire les techniques de travail du sol favorisant l’érosion et la destruction de la matière organique (surtout les charrues), d’utiliser les outils à dents à adapter à nos conditions (sols superficiels, caillouteux) et travail en sec. Il y a lieu de s’orienter, de plus en plus, vers l’agriculture de conservation, qui favorise l’infiltration de l’eau et la réduction de son évaporation.

L’introduction de l’arbre dans toutes les parcelles de grandes cultures doit être un impératif pour protéger le sol, améliorer la production par la réduction de l’évaporation et favoriser la fertilité et la biodiversité par l’utilisation des feuilles et, pourquoi pas, des bois broyés.

  • Quelle place actuellement pour l’irrigation d’appoint par rapport aux objectifs tracés ?

L’irrigation d’appoint des céréales constitue un objectif important des pouvoirs publics. Bien menée, elle peut sécuriser une partie de la production, au moins, les semences de base, pré-base, les premières générations de G1 à G4 et les semences certifiées soit, approximativement, 3 millions de quintaux.

Les apports d’eau devraient être adaptés aux périodes de grandes sensibilités de la culture, y compris (fortement recommandée) la période de semis, une vingtaine de millimètres devrait pouvoir permettre une bonne levée de la céréale, garante d’une bonne production, pour peu que les conditions ultérieures soient favorables.

C’est ainsi qu’il est impératif d’équiper en ressources hydriques (au demeurant pas énormes entre 200 et 800 mètres cubes par hectare selon les conditions pluviométriques de la campagne agricole) et équipement adéquat toutes les parcelles destinées à cette production.

Cent mille hectares devraient pouvoir suffire. Cette stratégie ne devrait pas être négociable. 
Il ne faut jamais tenir compte des prévisions climatiques, mais suivre la réserve hydrique du sol que les stations de l’Institut national de l’irrigation et drainage maîtrisent parfaitement.

Les quantités à apporter doivent être inférieures à la capacité de rétention du sol pour tenir compte des pluies éventuelles. Pour cette campagne agricole, fortement marquée par un déficit hydrique sans précédent, ayant impacter dangereusement le niveau des barrages, il est difficile d’envisager d’atteindre les objectifs tracés. Les pouvoirs publics vont sûrement informer les Algériens.

  • Un groupe de travail se penche actuellement pour l’élaboration d’une stratégie de développement de la filière céréalière en collaboration avec le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique. Qu’attendre de cette démarche ?

Le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique a pris l’heureuse initiative d’impliquer l’université dans l’élaboration d’une stratégie de développement de la filière céréalière. L’université n’aurait jamais dû être absente des problèmes de développement du pays, elle aurait dû être l’initiatrice des grandes idées innovantes dans tous les domaines. L’université est un foyer extraordinaire de ressources humaines fortement qualifiées et de jeunes étudiants et doctorants pleins d’énergie et de volonté pour apporter leur contribution au développement de l’Algérie.

Tous les pays qui ont réussi leur développement se sont appuyés, et le font toujours, sur leurs universités. Il faut espérer que cette démarche du ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique s’inscrive dans la durée et soit appliquée à tous les autres secteurs.

En fait, ce n’est qu’un juste retour des choses, notre matière grise et notre jeunesse ont soif d’aider le pays à s’accrocher au wagon du progrès. Il n’y a aucun doute, pour ma part, que cette démarche est la bonne et contribuera à apporter des solutions réalistes à la problématique de la céréaliculture algérienne.

Samira Imadalou

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