Président de l’Union nationale des Ordres des avocats (UNOA), Me Brahim Tairi revient dans cet entretien qu’il nous accordé sur la plainte déposée devant la CPI (Cour pénale internationale), contre les dirigeants israéliens, pour des crimes de génocide, de guerre et contre l’humanité commis à Ghaza.
L’avocat fait le point sur la procédure engagée par quelque 100 000 avocats des barreaux d’Algérie, de Palestine, de Jordanie, de Tunisie, de Mauritanie, de Jordanie et, incessamment, de Libye. Il revient sur la rencontre de la délégation, avec les magistrats du bureau du procureur et les membres du bureau des victimes mais aussi sur l’importance du déplacement du procureur de la CPI vers les nombreux pays où les blessés ont été évacués pour les entendre.
Entretien réalisé par Salima Tlemçani
-Le collectif des avocats des barreaux de la Palestine, d’Algérie, de Mauritanie, de Jordanie, de Tunisie, du Liban et incessamment de la Libye a déposé une plainte contre les dirigeants civils et militaires israéliens devant la CPI (Cour pénale internationale), pour des crimes de génocide, de guerre et contre l’humanité commis à Ghaza. Comment êtes-vous arrivés à cette démarche et avec une armée d’avocats ?
En janvier dernier, Alger a abrité une conférence internationale organisée conjointement par l’Unoa (Union nationale des Ordres d’Algérie), et le SNM (Syndicat national des magistrats), consacrée à la Palestine et à laquelle des représentants des barreaux de nombreux pays arabes ont pris part. Comme vous le savez, deux mois auparavant, Me Gilles Devers, du barreau de Lyon, avait réuni un important collectif international, auquel se sont joints des avocats algériens et a déposé plainte auprès de la CPI.
Lui aussi était parmi les invités aux travaux de la Conférence d’Alger initiés en réponse à l’appel du président de la République lancé à toutes les consciences vivantes et aux professionnels du droit du monde entier à poursuivre l’entité sioniste devant les tribunaux internationaux pour les crimes de génocide commis à Ghaza. Mais avant, il y a eu aussi une assemblée générale des avocats algériens qui avaient adopté comme résolution la saisine de l’Unoa l’exhortant à engager, en tant qu’ONG, une procédure contre l’entité sioniste devant la CPI. Après la Conférence sur la Palestine, nous avons constitué un collectif de près de 100 000 avocats et magistrats pour cette action, dirigée pour l’instant contre cinq dirigeants de l’entité sioniste, en attentant ceux que l’enquête aura identifié.
Il s’agit du président israélien, Isaac Herzog, du Premier ministre, Benyamin Netanyahu, du ministre de la Défense, Yoav Gallant, du chef de l’état-major de l’armée, Herzi Halevi, du ministre de la Sécurité nationale, Itaman Ben Gvir, qui sont les principaux ordonnateurs des crimes. Ces alertes reposent sur des documents, des déclarations publiques de ces responsables, les rapports des responsables onusiens sur la situation, notamment de l’Unrwa, dont le commissaire a clairement affirmé que la situation s’est sérieusement aggravée à Ghaza en raison des déclarations déshumanisantes des dirigeants de l’entité sioniste.
En réalité, nous nous sommes basés sur les arguments avancés par la CIJ (Cour internationale de justice), pour rendre sa décision relative aux mesures conservatoires, dans l’affaire introduite par l’Afrique du Sud, contre l’entité sioniste, en attendant l’examen du fond qui porte sur les crimes de génocide. La cour avait rappelé les propos de galant sur les chaînes de télévision, au lendemain du 7 octobre qu’il «n’y aura rien à Ghaza, ni électricité, ni eau, ni communication, ni nourriture, ni carburant. Tout sera fermé. Il a même déclaré à ses forces armées qui étaient à la frontière avec Ghaza que toutes les limites ont été levées. Nous combattons des animaux humains. Ghaza ne sera plus comme avant, nous détruirons tout. Si un jour ne suffit pas, nous prendrons une semaine, un mois, une année, voire dix. Mais tout sera détruit».
Ces affirmations tombent sous le coup du droit international. Elles réunissent tous les éléments constitutifs d’un crime de génocide. C’est vrai que la décision de la CIJ est timide. Nous savons que le cessez-le-feu est une mesure imposée à deux Etats en guerre. Nous ne sommes pas dans ce cas, mais nous pensons que lorsqu’un Etat commet des génocides contre une population civile, la cour aurait pu lui faire injonction d’arrêter la guerre. L’entité sioniste est considérée par l’Onu comme force occupante. Elle a l’obligation de protéger les Palestiniens. C’est cette obligation que nous aurions aimé que la CIJ utilise pour faire cesser la guerre.
-Pourquoi, à votre avis, l’Algérie ne s’est pas impliquée dans la procédure devant la CIJ, même pas en demandant une lecture de la convention sur le génocide que tous les pays, y compris ceux qui ne sont pas signataires du Statut de Rome, peuvent obtenir ?
Il est vrai que la requête introduite par l’Afrique du Sud, auprès de la CIJ, est importante. Dans l’affaire de l’Ukraine et la Russie, l’Allemagne est intervenue, en dépit du fait qu’elle n’est pas Etat partie de la convention, pour demander une explication de la convention sur le génocide. Et l’Algérie aurait pu s’engager sur cette voie. Mais comme elle a position claire sur la question palestinienne, qui fait d’ailleurs partie de ses constantes nationales, n’importe quelle procédure qu’elle pourrait entreprendre, en tant qu’Etat, sera considérée comme une reconnaissance de l’Etat d’Israël. C’est sur cette base qu’elle s’est abstenue d’intervenir directement.
-Vous rejoignez donc la plainte de Me Gilles Devers devant la CPI, et lui-même a appuyé votre dossier. N’était-il pas plus judicieux d’aller tous en un seul collectif dans cette procédure ?
Avant même qu’il ne dépose sa requête en novembre 2023, il avait déjà deux autres plaintes pendantes au niveau de la CPI, dont celle de 2021, encore ouverte. C’est la continuité de tout son combat depuis des années. Tout comme notre collectif, il a demandé des mandats d’arrêt contre les dirigeants israéliens. Nous travaillons en collaboration et en concertation. Il fait partie de notre collectif et en même temps de nombreux avocats algériens se comptent parmi son collectif. Nous avons les mêmes objectifs. Poursuivre les dirigeants israéliens pour crimes de guerre, de génocide et contre l’humanité, les faire arrêter, les juger et les condamner. Il y a de fortes possibilités, pour que le Premier ministre israélien fasse l’objet d’un mandat d’arrêt, d’autant que le procureur a clairement affirmé qu’il enquêtait à charge pour les mêmes accusations.
-Vous vous êtes déplacés à La Haye avec une délégation d’avocats. Avez-vous été reçus par le procureur de la CPI ?
Malheureusement, il était en déplacement. Nous avons demandé un rendez-vous et nous attendons la réponse pour y retourner. Les magistrats de son bureau nous ont reçus et les discussions étaient très instructives. A la CPI, il y a aussi le bureau des victimes. Une réunion de travail avec ses membres a été organisée. Le travail de ce bureau est très important.
Le bilan des tueries à Ghaza a dû atteindre la barre de 100 000 victimes, dont près de 70 000 sont vivantes. Nous avons pris attache avec un groupe de ces victimes de Ghaza, dont l’identité, les conditions dans lesquelles elles ont été touchées, le lieu de l’attaque etc., sont des informations capitales pour se constituer et défendre leurs droits. Tout est documenté. Je profite de cette occasion pour lancer un appel à tous les avocats algériens, sans exception, pour aider à contacter et identifier un grand nombre de victimes. Leur présence en force dans l’affaire va booster la procédure.
Est-ce qu’il y a des victimes palestiniennes en Algérie ? Une seule a été évacuée. Par contre, elles sont plusieurs à avoir été transférées vers la Tunisie et des avocats tunisiens les ont rencontrées et discuté avec elles. Ce n’est pas suffisant. Il est très important que ce soit le procureur qui les entende. Nous allons lui demander de vive voix de se déplacer dans les hôpitaux en Tunisie, mais aussi dans tous les pays vers lesquels les blessés ont été évacués.
Nous savons qu’il est parti en Egypte, en Turquie et tenté d’aller à Ghaza, mais il a été empêché. Des blessés de Ghaza ont été transférés au Qatar, un pays dont les avocats pourraient rejoindre notre collectif dans les jours à venir. Il est très important que les victimes soient entendues par le procureur, là où elles sont. Elles n’ont pas besoin de se déplacer. C’est à lui d’aller à leur rencontre là où elles sont.
-A ce jour, le collectif est composé de combien d’avocats ?
Nous sommes à près de 100 000 avocats des ordres jordaniens, tunisiens, palestiniens, algériens, mauritaniens et bientôt, libyens, qataris et koweitiens.
-Qu’en est-il des Egyptiens ?
Ils n’ont pas répondu à l’appel, mais nous constituons déjà une force appelée à être élargie à tous nos confrères à travers le monde. Nous voulons aller à la CPI avec une armée d’avocats et de juristes. Durant cette première étape, il s’agit de présenter toute la documentation sur les crimes commis. La deuxième étape de l’affaire est celle des plaidoiries. Il faudra s’inscrire au barreau de la CPI ou élire domicile chez un avocat de La Haye, ou d’un pays européen, pour pouvoir plaider. Nous avons trois ordres d’avocats dont les Etats sont signataires du traité de Rome, donc Etats-parties, la Tunisie, la Jordanie et la Palestine. Ils n’ont pas besoin de s’inscrire.
Ils plaident directement. Notre but n’est pas de voir qui doit plaider ou non, mais de constituer et de présenter un dossier solide pour poursuivre les dirigeants de l’entité sioniste et les faire condamner pour les crimes de génocide, contre l’humanité et de guerre commis à Ghaza. L’Algérie ne sera pas présente en tant qu’Etat, mais en tant qu’ONG.