Comme à chaque manifestation, devenues régulières depuis le coup d’Etat du général Abdel Fattah Al Burhane le 25 octobre, les autorités ont une nouvelle fois tenté, en vain, de laminer la mobilisation : coupure de téléphone et de l’internet, isolement de la capitale de ses banlieues et répression des manifestants.
La répression continue à sévir au Soudan. A l’appel des militants à manifester «en mémoire des martyrs», des milliers de Soudanais ont marché hier vers le palais présidentiel à Khartoum, rapporte l’AFP.
Les militants pro-démocratie ont appelé à faire de 2022 «l’année de la poursuite de la résistance», réclamant justice pour les dizaines de manifestants tués, le retour des militaires à la caserne et la relance du processus de transition vers un pouvoir civil. Les manifestants ne veulent «ni partenariat ni négociation» avec l’armée.
En la circonstance, les autorités ont une nouvelle fois tenté d’étouffer la révolte. Ainsi, Khartoum est depuis plusieurs jours coupée de ses banlieues. Internet et les téléphones portables ne fonctionnent plus depuis le matin et, sur les principaux axes, des membres des forces de sécurité se sont déployés.
Deux manifestants hostiles ont été tués alors qu’ils défilaient à Omdurman, banlieue nord-ouest de Khartoum, dont l’un d’une balle dans la poitrine, rapporte un syndicat de médecins pro-démocratie. Depuis le putsch d’octobre, 56 personnes ont été tuées et des centaines blessées. Le second mort d’hier a subi «un violent coup à la tête qui lui a brisé le crâne», précisent ces médecins, alors que les forces de sécurité passent régulièrement à tabac des manifestants avec des bâtons.
Le 19 décembre 2018, des manifestations sont déclenchées dans plusieurs villes du pays après la décision gouvernementale de tripler le prix du pain en pleine crise économique. Ce mouvement s’est transformé en une révolte qui a abouti, le 11 avril 2019, à la destitution par l’armée du président Omar El Béchir, au pouvoir depuis 30 ans.
Le 6 avril 2019, des milliers de manifestants observent un sit-in devant le quartier général de l’armée à Khartoum. Le 11, El Béchir, arrivé au pouvoir en 1989 par un coup d’Etat soutenu par des islamistes de Hassan Al Tourabi, est destitué. Un «Conseil militaire de transition» le remplace.
Mais des milliers de manifestants poursuivent leur sit-in, rejetant un «coup d’Etat». Le 3 juin, le sit-in est dispersé par des hommes armés en tenue militaire, provoquant la mort d’une centaine de personnes.
Au total, plus de 250 personnes ont été tuées dans la répression, selon un comité de médecins proche des manifestants. Une première enquête, ordonnée par le Conseil militaire, établit que des paramilitaires des Forces de soutien rapide (RSF) sont impliqués dans ces crimes.
En vertu de l’accord conclu en août 2020 entre les militaires qui ont succédé à El Béchir et des leaders de la contestation, le pays est dirigé par un gouvernement de transition, avec un Premier ministre civil, Abdallah Hamdok, et un Conseil souverain composé de civils et de militaires, dirigé par le général Abdel Fatah Al Burhane.
Le 21 septembre dernier, une tentative de coup d’Etat échoue. Selon Khartoum, le putsch implique des civils et des militaires, les accusant d’être liés au régime de Omar El Béchir.
Le lendemain, le n°2 du Conseil souverain, le général Mohamed Hamdan Daglo, dit «Hemedti», accuse les «politiciens» d’avoir «offert l’occasion» à la tentative de putsch. Lors d’une visite dans un campement militaire à l’ouest de Khartoum, il vitupère les politiciens pour avoir «négligé les citoyens et les services de base» car ils «étaient occupés par leurs luttes de pouvoir, ce qui a engendré le mécontentement» général.
Le 25 octobre, coup d’Etat du général Al Burhane. Ce dernier dissout toutes les institutions et arrête la plupart des dirigeants civils. Il assure souhaiter «une transition vers un Etat civil et des élections libres en 2023». Le 11 novembre, il nomme un nouveau Conseil de souveraineté, dont sont exclus les représentants du bloc réclamant un transfert du pouvoir aux civils. Le 21, il signe un accord avec Abdallah Hamdok, qui retrouve son poste et sa liberté de mouvement, mais perd sa popularité.
La rue voit en cet accord une «trahison» marquant un retour au régime militaire. Les manifestations contre l’armée se poursuivent dans l’espoir de doter le Soudan d’un pouvoir civil. Mais la junte compte aller contre la volonté populaire. Les forces de sécurité sont accusées d’avoir eu recours, en décembre, à un nouvel outil de répression : le viol d’au moins 13 manifestantes, selon les Nations unies.
Aussi, chaque jour et dans chaque quartier, les Comités de résistance, groupes qui organisent les manifestations, annoncent de nouvelles arrestations ou disparitions dans leurs rang. «Les manifestations ne sont qu’une perte d’énergie et de temps» qui ne mènera «à aucune solution politique», a indiqué vendredi auprès de l’agence d’Etat un conseiller du général Al Burhane, dont le mandat a été prolongé de deux ans avec le putsch du 25 octobre.
Le même jour, le ministre par intérim de la Santé, Haitham Mohammed, a annoncé dans une lettre sa démission, dénonçant notamment les attaques contre les médecins et hôpitaux.