Lutte de libération nationale 1954-1962 : Ces Aoudjghout tombés dans l’oubli

08/12/2024 mis à jour: 09:33
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Photo : D. R.

Le 5 octobre, Hadja Dahbia Aoudjghout, 102 ans, a eu l’honneur de recevoir la visite d’une forte délégation de l’Organisation nationale des moudjahidine (ONM) de la région d’Azazga et de Bouzeguene, du directeur du musée régional de Tizi Ouzou ainsi que du président de l’association de wilaya des «pupilles de la nation».

Par S. Yermeche  Correspondance spéciale

Le défunt Hadj Cherif Aoudjghout, sa veuve, Hadja Dahbia du même nom de famille, ainsi que leurs enfants, filles et garçons, furent parmi ceux qui ont donné toute leur énergie, aussi bien à la veille du déclenchement de la lutte armée de Libération nationale, le 1er novembre 1954, que pendant la guerre et après l’indépendance de l’Algérie. Cette famille, reconnaît-on, a été à l’avant-garde de cette Révolution qu’allait déclencher, comme tout le monde était convaincu alors en Kabylie, les Krim, Ouamrane, Boudiaf, Ben M’hidi…

Si Cherif Aoudjghout (décédé le 9 septembre 2020 à l’âge de 105 ans) se trouvait encore en France en octobre 1954. Par le biais de ses principaux relais dans le PPA-MTLD, il est enjoint par Belkacem Krim à être au bled immédiatement, soit avant la fin octobre. Le militant, dont la sincérité consentait à tout potentiel sacrifice, fera irruption, au début de cet après- midi du 31 octobre 1954, dans l’enceinte même du moulin traditionnel de céréales de sa famille, sis au lieudit «L’eucalyptus», en bordure de la RN71, au niveau d’Agouni Ghezifene, à la limite territoriale des villages Hendou (Azazga) et Agraradj (Aghribs), une contrée appelée jadis «Adouar Tamgout» en raison de sa proximité au pied de ce dense massif forestier.

Etant donné que sa maison était déjà un lieu de refuge des tout premiers militants nationalistes de la région, Si Cherif Aoudjghout reçoit, ce jour-là, des instructions de la hiérarchie des supérieurs (Saïd Amar-Ouali Seloum, dit Ouazoug (le sourd), les militants voisins novembristes d’Agraradj, en plus de Krim et d’Ouamrane, un duo quasi sédentaire dans cette contrée, pour les préparatifs face à l’imminent déclenchement armé (quelques heures plus tard).

C’est ainsi que la maison de ce fervent militant deviendra l’un des principaux lieux de refuge sûrs parmi ceux prévus à cet effet dans les villages environnants (Hendou, Agraradj, Tamassit, Aït Ouchene, Ibsekriene…) et qu’apprécient beaucoup les maquisards de Novembre. La préférence que lui portaient alors les moudjahidine est qu’il existait à proximité et au-dessus de la maison-refuge une colline boisée, dominant les quatre points cardinaux de la zone, appelée «La Crête n-Si-Cherif», point idéal, naturellement surélevé, pour la surveillance de tous les horizons, de jour comme de nuit.

Car c’était à cet endroit que ce novembriste mettait de jeunes militants comme sentinelles, parmi eux, ses propres enfants, notamment Si Mohand (en vie) et Si Sadek dit «Saïd» (décédé récemment), ainsi que d’autres jeunes du quartier (les Bersi notamment), en vue de l’aviser illico sur tout mouvement ou lumière présentant quelque suspicion en tout horizon.

La veuve de Hadj Cherif, appelée «Nna Dahbia», plus tard «Lla Hadja», qui trône présentement dans ses 102 ans, reçoit souvent de fréquentes visites de ses voisines et voisins, venant notamment de Hendou et d’Agouni Ghezifene.

Le samedi 5 octobre 2024, Hadja Dahbia Aoudjghout et «son» ancienne maison de refuge, qu’elle «administrait» alors avec art et doigté, épaulée en cela par ses propres filles, notamment Fadma dite «Jedjiga» et Dahbia (portant le prénom de sa maman), ont eu l’honneur de recevoir la visite d’une forte délégation de l’Organisation nationale des moudjahidine (ONM), des membres des bureaux de cette dernière dans la région (Azazga et Bouzeguene), d’anciens maquisards, des fils de chouhada et de moudjahidine, ainsi que du directeur du musée régional de Tizi Ouzou, du président de l’association de wilaya des «pupilles de la nation» (fils et filles des deux parents chouhada) et autres membres d’associations culturelles.

Plusieurs médailles d’honneur ont été remises à la sage Hadja à l’occasion de ce mois d’octobre, une période qui évoque pour elle les fervents souvenirs du retour de la métropole française de son regretté époux en vue du déclenchement de la lutte armée contre l’occupation coloniale.

Ces tableaux et médailles de mérite lui ont été décernés, ainsi qu’à ses filles et ses garçons, dont certains à titre posthume, en signe de respect et de reconnaissance à cette femme d’exception et à l’ensemble de sa famille.

En ces émouvants et joyeux moments, une enfant de 12 ans, Imane Sadaoui, artiste-peintre, spécialisée dans le dessin animé et originaire de Bouzeguene, a remis à son tour deux beaux cadres-portraits, réalisés de ses propres mains, et représentant cette doyenne des moudjahidate de la région et celui de son regretté conjoint.

«Réparation contre l’oubli»

Un des moudjahidine présents à cet hommage a évoqué ainsi une anecdote concernant cet infatigable couple des Aoudjghout. «Un jour, narre-t-il, et c’est ce qui se répétait souvent plus tard auprès de ce foyer, c’était en 1958 ou 1959, lorsque Si Cherif s’est présenté spontanément à la maison pour dire à cette digne baraka devant vous, ‘A Dahbia ! comment faire ? Vite ! Prépare-toi, il y a 150 maquisards accompagnant le capitaine Si Abdellah (Meghni) de Ibsekriene, qui vont dîner chez nous ce soir, avant de monter vers les maquis de Tamgout…’».

Sur ce, Lla Dahbia, alors pétillante dans toute sa jeunesse, instruit ses fillettes et entame la mouture de blé à l’aide, vous vous souvenez tous, vous les vieux, de ces moulins à bras que nos femmes utilisaient à longueur de jour et de nuit pour moudre des quintaux de blé et d’orge dans les maisons de refuge pour l’ALN.

Les filles et les garçons savaient les rôles respectifs de chacun d’entre eux et d’entre elles. Si Cherif pénètre, lui, dans l’adaynin (étable) et ressort avec un bélier, traîné par ses cornes, qu’il tua et prépara avec une célérité qu’on ne connaît, à l’époque, que dans ces cas s’apparentant à des «miracles». Avant minuit, tout ce monde, y compris l’ensemble des membres de la famille de la maison refuge, avait fini de dîner d’un savoureux couscous à la viande de mouton, préparé par Nna Hadja Dahbia et ses filles.

Puis le tour est venu pour Si Abdellah et ses subordonnés de prendre leur repas. Et miracle des miracles, il en resta de l’excédent de couscous et de viande pour le lendemain et, surtout, pour les viatiques (aawin) destinés aux moudjahidine dont le départ pour Tamgout était imminent».

Faut-il rappeler que cette habitude de manger en dernier de Si Abdellah, un des justes parmi les justes, a été aussi celle de Si Amirouche, lequel ne mangeait, disait-on, qu’après avoir vu tous ses djounoud rassasiés, de la même nourriture et sans jamais tolérer le moindre privilège entre gradés et simples combattants ou autres membres de la famille du chef de la maison de refuge. Il était une fois l’équité, doit-on penser aujourd’hui.

A noter par ailleurs que ce groupe familial des Aoudjghout, originaire de Hendou (commune d’Azazga), mais «incorporé» par la nature du sol au village Agouni Ghezifene (commune d’Aghribs), est appelé, à ce jour, depuis le 5 juillet 1962, les «Aït Laâlam» (les gens du drapeau).

La cause est que ce jour-là, au moment d’entamer les manifestations populaires de joie de la libération, Si Cherif Aoudjghout fut le premier à soulever à califourchon sa fillette, «Jedjiga» (Fadma), âgée alors de 6 ou 7 ans, en lui remettant l’emblème national qu’elle déploya le long du parcours, depuis le lieudit «Irsan» (Hendou) jusqu’à Azazga.

Si El Hadj Cherif Aoudjghout, comme ses enfants et sa veuve, qui ont, de tout temps, vécu dans la modestie et la simplicité villageoises, ont, faut-il l’avouer, été «ombragés» quelque peu par le cours de l’histoire de la Révolution, non ?

C’est le cas de le dire en tout cas et de le penser, du moins dans cette contrée qui les avait vu naître. Pour l’ONM, c’est déjà un pas, en ces débuts d’octobre, qui évoquent des souvenirs marquants pour la famille, sur la voie de «réparation» contre l’oubli concernant non seulement cette famille, mais aussi plusieurs autres dans cette contrée. Gloire éternelle à nos martyrs, à nos moudjahidine et à nos moudjahidate.

 

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