Haute autorité de transparence, instance d’enquête sur l’enrichissement illicite des fonctionnaires, révision de loi de lutte contre la corruption… Le pouvoir exécutif multiplie, depuis quelques jours, des annonces sur sa volonté de mener «une réelle campagne mains propres». Intervenant, dimanche et hier à l’APN, le ministre de la Justice, Abderrachid Tabi, a annoncé la révision de la loi 06-01 relative à la prévention et la lutte contre la corruption et la création d’une autre instance, en sus de la haute autorité de transparence, chargée d’enquêter sur les signes extérieurs de richesse des fonctionnaires.
Hier encore, le ministre a affirmé que la haute autorité de transparence «sera dotée d’une instance d’enquête financière et administrative». Abderrachid Tabi affirme également que «la loi relative à la lutte contre la corruption ainsi que le code du commerce feront l’objet d’un amendement urgent avant la fin de l’année», estimant que les procédures relatives à la lutte contre ce fléau exigent la révision d’une série de lois dont le code des procédures pénales, le code pénal, la loi sur l’investissement et le code des marchés publics.
Face à ces annonces, des juristes restent sceptiques sur les résultats, mettant en cause «l’absence d’une réelle volonté de lutter contre la corruption».
«Combattre la corruption est une bonne chose. Mais la création d’autant d’instances est anormale. Pour lutter contre l’enrichissement illicite par exemple, la loi a déjà confié cette tâche à l’Inspection des impôts, chargée de la vérification des déclarations du patrimoine. A ce rythme, il y aura trop d’instances mais pas d’efficacité», explique Boudjema Ghechir, avocat.
Dans le même sens, il relève le problème de la protection des dénonciateurs des faits de corruption. «Ces derniers se retrouvent souvent poursuivis. Il faut donc leur assurer une réelle protection», lance-t-il.
Pour l’avocat Mostefa Bouchachi, «il n’y a pas de réelle volonté politique de lutter contre la corruption».
«Ça a commencé avec la loi de 2006 qui a fixé les condamnations pour des faits de corruption de 2 à 10 ans de prison. J’ai dit à l’époque que c’est une loi qui encourage les gens à verser dans la corruption. Ensuite, en 2015, il y a eu un amendement, dont l’article 6 stipule que les procureurs généraux et les procureurs de la République n’ont pas le droit d’ouvrir des enquêtes sans qu’il y ait une demande du conseil d’administration des entreprises. Tout récemment aussi, il y a eu une instruction selon laquelle les procureurs ne peuvent ouvrir une information judiciaire sans l’aval du ministre de la Justice. Cela confirme que le système politique ne veut pas s’attaquer réellement à la corruption», précise-t-il.
Abordant la création des instances chargées de la lutte contre la corruption, Mostefa Bouchachi rappelle également le contenu de la loi de 2006. «Ce texte a prévu la création d’une instance nationale de la lutte contre la corruption, rattachée à la Présidence et l’Office central de la répression de la corruption. Mais ils n’ont jamais rien fait. Comment alors faire confiance à des instances dont les membres sont désignés et qui restent sous la tutelle de l’Exécutif ?» demande-t-il.
Et de lancer : «Un système politique totalitaire qui ne respecte par la séparation des pouvoirs et qui ne respecte pas l’indépendance de la justice ne peut pas s’attaquer à la corruption.»