Le chef-d’œuvre de Christopher Nolan est un grand film à l’ancienne : casting éclatant, budget colossal, effets spéciaux faits maison et grands enjeux. Il retrace en plus de trois heures les moments-clés de la vie de Robert Oppenheimer, le physicien, qui fait entrer la planète dans l’ère nucléaire, précipite la fin de la Seconde Guerre mondiale avant de se voir assailli par le doute face à sa création devenue outil de toute puissance.
Un film à 100 millions de dollars comme un rouleau compresseur, qui bouscule la tendance des dernières années à remettre l’Oscar du meilleur film à de plus petites productions indépendantes. «J’ai rêvé de ce moment depuis si longtemps. Mais il semblait si peu probable que cela se produise un jour (...) La raison pour laquelle ce film a été ce qu’il a été, c’est Chris Nolan. Il est unique. Il est brillant», a déclaré Emma Thomas, la productrice du film, en encensant Christopher Nolan qui a aussi remporté la statuette du meilleur réalisateur pour Oppenheimer. Pour le tournage, Nolan a fait reconstruire Los Alamos dans les plaines du sud-ouest des Etats-Unis, et l’acmé du film, qui reproduit la première explosion nucléaire en juillet 1945, a été tournée avec un tir d’explosifs bien réel. Une recette tellement efficace qu’elle a rapidement mis d’accord tant la critique que le public. Le film a amassé plus d’un milliard de dollars de recettes dans le monde, et les grands prix du monde du cinéma se sont succédé jusqu’au couronnement de dimanche.
Rêve et cauchemar
Christopher Nolan, réalisateur des blockbusters Inception ou de la trilogie Batman The Dark Knight, s’est lancé dans le projet après avoir lu la biographie très fouillée Robert Oppenheimer - Triomphe et tragédie d’un génie, de Kai Bird et Martin Sherwin. Le drame est là : un esprit unique emporté dans une tragédie faite «de rêve et de cauchemar», selon le réalisateur. Car après avoir connu la gloire comme «père de la bombe» atomique, Robert Oppenheimer en vient à être rongé par les regrets face aux conséquences de son invention. Il devient alors un héraut du désarmement nucléaire, jusqu’à être poussé sur le côté par une chasse aux sorcières, car soupçonné de sympathies communistes. «Il n’y a pas de réponse évidente à son histoire», a déclaré Christopher Nolan, «elle renferme des paradoxes fascinants». L’image du scientifique la main sur son front, le regard dans le vide, absorbé par ces contradictions infinies, est devenue l’icône du long métrage.
Trois genres
Celui-ci est construit autour d’un savant mélange de trois genres : le récit héroïque, le film de braquage et le drame judiciaire. Le montage alterne ainsi entre la course à la bombe face aux nazis, la constitution d’une équipe d’experts pour mener à bien le projet, et le procès d’un génie devenu cible du maccarthysme.
Dans le rôle-titre, Christopher Nolan choisit Cillian Murphy, un Irlandais bien connu du réalisateur, qui a glané l’Oscar du meilleur acteur. Pour lui faire face dans le Washington anticommuniste des années 1950, un Robert Downey Jr implacable, qui est reparti dimanche avec la statuette du meilleur second rôle masculin. Un casting cinq étoiles s’ensuit : Emily Blunt, Matt Damon, Florence Pugh, Kenneth Branagh, Gary Oldman et Rami Malek.
Barbenheimer
Son immense succès commercial est aussi dû au phénomène «Barbenheimer». La sortie, le même jour en juillet dernier en pleine grève d’Hollywood, du drame atomique et de la comédie rose Barbie, a fonctionné comme une rampe de lancement et poussé des milliers de spectateurs à voir les deux films, si diamétralement différents.
Car face à la barbe à papa, il fallait réussir à vendre un long film mêlant questionnements historiques, physique nucléaire et auditions bureaucratiques. Avec un tel scénario, «tu ne te dis pas que ça va faire un milliard de dollars de recettes», se souvient Charles Roven, l’un des producteurs du film sorti chez Universal.
«Le fait que cela a été atteint, avec une pluie de bonnes critiques, c’est si gratifiant !» Rien n’a depuis stoppé la marche vers la gloire d’Oppenheimer, collectant ces derniers mois les trophées prestigieux aux Golden Globes, aux Bafta britanniques ou encore aux SAG Awards, avant, dimanche, la récompense ultime des Oscars.