La grave situation sécuritaire, qui prévaut au Mali, Niger et Libye, avec lesquels l’Algérie partage plusieurs milliers de kilomètres de frontière, transforme peu à peu la région en véritable poudrière. Les experts de l’ONU alertent sur «l’expansion des groupes djihadistes» au nord du Mali, une «crise humanitaire» au Niger et une situation «désastreuse» en Libye. L’Algérie craint le pire, mais segarde de freiner toutes ces menaces.
Les experts de l’ONU ont qualifié, vendredi dernier, de «profondément préoccupant (…) l’expansion continue de Daech et de ses groupes affiliés dans certaines régions d’Afrique, ainsi que le niveau croissant de violence et de menace» et précisent que «la filiale de Daech», dans la région du Sahel, «devient de plus en plus autonome et intensifie ses attaques au Mali, au Burkina Faso et au Niger». Pour Vladimir Volonkov, chef du Bureau antiterroriste des Nations unies (Unoct), «le groupe extrémiste Daech et ses affiliés» constituent «une menace sérieuse dans les zones de conflit et dans les pays voisins (…)».
«Les affrontements entre ce groupe (ndlr : Daech) et un groupe affilié à Al-Qaïda dans la région, associés à la situation incertaine après le coup d’Etat au Niger, présentent un défi complexe et à multiples facettes», ajoutant : «Le conflit et l’instabilité au Soudan ont également renouvelé l’attention sur la présence et l’activité de Daech et d’autres groupes terroristes dans ce pays.» Le 23 août, l’envoyé spécial de l’Organisation onusienne en Libye, Abdoulaye Bathily, a parlé d’une «situation désastreuse» dans ce pays, marquée par «des affrontements meurtriers entre les deux plus grands groupes armés dans la capitale, à Tripoli», qui ont fait «au moins 55 morts et de plus d’une centaine de blessés, dont des civils».
Le Représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU pour la Libye a également mis en garde contre les «retombées potentielles des effets de la prise de pouvoir par des militaires au Niger sur la Libye ainsi que sur l’ensemble de la région» en relevant : «Les événements actuels en Libye et dans la région démontrent que les arrangements intérimaires comportent de nombreux risques de violence et de désintégration pour les pays.»
Au Niger, même si jusqu’à présent, la menace d’une opération militaire contre le Niger, prônée par la Cédéao (Communauté économiques des Etats de l’Afrique de l’Ouest), pour «rétablir l’ordre constitutionnel» n’est pas mise en exécution, les événements se sont accélérés après le rejet par Paris de l’ordre donné par les putschistes à son ambassadeur à Niamey, de quitter le territoire nigérien sous 48 heures. «Les bruits de bottes sont toujours là, alors qu’une médiation engagée par l’Algérie auprès des Etats membres de la Cédéao, pour privilégier la voie d’une solution politique à la crise n’est toujours pas achevée».
Depuis mardi dernier, le porte-parole de la Cédéao ne cesse de ressasser que «le plan d’intervention militaire est prêt, sur la table», mais il ne semble pas faire unanimité parmi les Etats membres de la Cédéao. Il a provoqué de profondes divergences au sein de cette organisation. Contactées, des sources bien informées restent «très sceptiques» quant à une éventuelle opération militaire contre le Niger. «Comment peut-on attaquer le Niger sans violer les espaces aériens de l’Algérie, du Mali et du Burkina Faso ? Comment mener une action militaire sans mandat de l’Union africaine ni celui du Conseil de sécurité de l’ONU ? Aucune de ces organisations et aucun de ces pays n’autorisera une telle opération», ont déclaré nos interlocuteurs.
«Notre souveraineté était entre parenthèses durant près d’une décennie»
Pour ces derniers, la crise nigérienne «a levé le voile sur une vérité que certains refusaient de voir. La nouvelle élite africaine n’est plus celle d’hier. Elle n’accepte plus cette hégémonie imposée sur leurs pays par les anciennes puissances colonisatrices, celles qui se sont partagé, comme un gâteau, le continent africain et ses richesses. Les chefs des Etats qui défendent l’option risquent de devoir faire face à leurs populations. Le rejet de la guerre est massif. Cette crise au Niger va provoquer un effet domino sur tous les régimes qui défendent les intérêts de la France en Afrique.
Tout ce qui se passe actuellement renforce l’Algérie dans sa lutte pour sa souveraineté». Une souveraineté, ont précisé nos sources, «mise entre parenthèses pendant presque une décennie durant laquelle des décisions gravissimes ont été prises, comme celles d’autoriser le survol des avions militaires français l’espace aérien pour aller guerroyer au Mali».A en croire nos sources, «le survol de l’espace aérien marocain, comme proposé par le royaume chérifien à la France, n’est pas du tout la solution, vu l’éloignement du Maroc par rapport à la zone de conflit. Il est certain que la France continuera à faire pression sur ses alliés dans la région, afin que Niamey revienne sur ses décisions de rupture des contrats commerciaux et de la fin de la présence militaire française sur le sol nigérien.
L’Algérie ne peut pas accepter et ne laissera pas une autre guerre, comme celle de la Libye, qu’elle a payée et continue de payer chèrement, soit menée à ses portes. Nous avons près d’un millier de kilomètres de frontière avec le Niger où le flux des populations des deux côtés est millénaire. Le travail de médiation peut finir par faire prendre conscience que les problèmes africains doivent être résolus entre Africains. La voix des armes n’a jamais été une solution à plus forte raison, lorsqu’elle est prônée et financée par des pays dans le seul but de préserver leurs intérêts».
Il est clair, pour nos sources que «les conflits armés n’ont créé que désastre et tragédies humaines. Les expériences qui l’ont prouvé et continuent à le prouver sont nombreuses, à commencer par celle d’un pays voisin qui est la Libye». Pour ce qui est du Mali, nos interlocuteurs n’ont pas manqué d’exprimer leur crainte de voir les groupes terroristes revenir en force, mais se sont déclarés, toutefois, optimistes quant à la volonté déclarée de certains groupes de l’Azawad, de défendre l’Accord d’Alger.
«Au Mali, il y a eu des erreurs, parmi elles le retrait de la Minusma (Mission des Nations unies pour le Mali de certaines régions du nord du pays), laissant un vide sécuritaire qui a profité aux troupes d’Al Qaïda et de Daech. L’Algérie a de tout temps plaidé l’exécution de l’Accord d’Alger, entre les groupes rebelles de l’Azawad et Bamako, qui est la seule voie qui fera revenir la paix dans la région. Malheureusement, cet accord était pratiquement gelé. Mais il y a encore de l’espoir pour le faire réactiver, surtout que dans les rangs des rebelles de l’Azawad, il y a une prise de conscience. Le risque de voir une partie des jeunes rejoindre les groupes terroristes fait craindre le pire.
Ce qui a poussé certains notables à agir rapidement. Des contacts ont été entrepris, espérant que les voies du dialogue soient vite ouvertes et donneront des résultats.» Pour nos sources, il y a trop d’interférences dans la région. Aussi bien en Libye qu’au Mali et au Niger, l’influence des anciennes puissances coloniales, auxquelles s’ajoutent la Turquie, la Russie, la Chine ainsi que des pays du Golfe, font et défont les événements pour préserver leurs intérêts au détriment de ceux des populations locales qui, elles, payent un lourd tribut, en vies humaines et à travers la paupérisation.