Liberté perdue, un jour triste

14/04/2022 mis à jour: 00:02
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Face aux effets de la double crise économique et sanitaire, les médias sont carrément abandonnés. Ceux qui comptent sur leurs propres moyens d’impression et de distribution, en achetant au prix fort le papier sur la marché international, ne bénéficient d’aucune aide publique.

Un autre organe de presse disparaît. Un quotidien ayant presque l’âge du pluralisme politique et médiatique en Algérie ferme ses portes. Et sans que cela ne suscite la moindre réaction des hautes autorités, notamment le ministère de la Communication.

Il s’agit du journal Liberté, dont la dernière édition est celle d’aujourd’hui, jeudi 14 avril. Il rejoint ainsi la liste, longue, des titres de la presse indépendante qui ont quitté la scène pour diverses raisons, plus particulièrement le «chantage économique» et les «pressions politiques».

Certes les rapports entre la presse et le pouvoir en Algérie n’ont jamais été cordiaux. Mais la situation conflictuelle s’est aggravée ces dernières années.

Alors que les médias publics sont carrément soumis et pratiquent à grande échelle la censure pour plaire aux maîtres du moment, la presse privée, qui a choisi de rester autonome, subit, elle, les coups de boutoir du pouvoir. Des pressions qui ne cessent de s’accentuer, contraignant certains titres à changer leurs lignes éditoriales, tout en laissant tomber la rigueur et l’éthique journalistiques.

Depuis quelque temps, des responsables au pouvoir, dont l’ex-ministre de la Communication, se permettent, ce qui est un précédent, d’appeler des rédactions pour un article de presse qui n’est pas à leur goût. Dans certains cas, ils utilisent même les médias lourds publics pour diffuser à grande échelle les reproches faits à ces journaux.

Dans une volonté affichée d’imposer un traitement de l’information à sens unique, le pouvoir a surtout usé et abusé de son arme économique : le chantage à la publicité. Il faut souvent montrer patte blanche et «brosser dans le sens du poil» pour accéder à la précieuse ressource.

Mort lente

Des dizaines de titres à très faibles tirages et sans aucune influence sur l’opinion nationale sont, suivant cette règle, arrosés de milliards de la publicité. Cette démarche, soutiennent des observateurs, s’apparente à une opération d’enrichissement.

Un enrichissement illicite. Car la majorité des bénéficiaires de cette importante manne de deniers publics ne créent pas de postes d’emploi, comme ils tirent la presse algérienne vers l’abîme de la médiocrité en instaurant des pratiques indignes de cette noble profession.

Dans une réaction à l’annonce de la fermeture du quotidien Liberté, l’ancien diplomate Abdelaziz Rahabi affirme d’abord que «la pluralisme perd une des dernières voix discordantes».

Il pointe, ensuite dans un tweet, la responsabilité «du pouvoir politique sans vision prospective, usant du chantage, qui continue à rejeter toute forme de reddition de comptes», tout «en faisant le jeu de l’informel et du maquis des réseaux sociaux». Le même pouvoir n’a, en parallèle, aucun plan de soutien à l’émergence d’une presse libre et forte, laissant le secteur patauger dans la précarité la plus totale.

Face aux effets de la double crise économique et sanitaire, les médias sont carrément abandonnés. Ceux qui comptent sur leurs propres moyens d’impression et de distribution, en achetant au prix fort le papier sur la marché international, ne bénéficient d’aucune aide publique, comme s’il s’agissait d’entreprises étrangères. Aujourd’hui, la fragilité devient structurelle.

La crise n’a également pas épargné les journaux électroniques, pourtant rassurés par l’ex-ministre de la Communication qui leur avait promis de la publicité institutionnelle. Certains d’entre eux résistent péniblement, alors que d’autres ont cessé d’exister après seulement une courte expérience.

Le dérèglement a concerné aussi les médias audiovisuels, dont les revenus publicitaires ne leur permettent pas d’assurer les salaires de leurs journalistes et techniciens. Certaines chaînes mettent parfois des mois pour payer leurs employés. 

Cette situation générale s’est répercutée également très négativement sur la qualité du produit fourni aux lecteurs et aux téléspectateurs…

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