A peine quelques heures après sa seconde investiture, le 20 janvier dernier, à la présidence des Etats-Unis, Donald Trump s’est empressé d’acter la décision de retirer son pays de l’accord mondial portant sur l’introduction d’une taxation minimale de 15% sur les bénéfices des multinationales.
Cet accord, visant essentiellement à lutter contre les inégalités et les écarts de conduite fiscaux dans le monde, est en vigueur depuis le 1er janvier 2024, dans plus d’une trentaine de pays développés. Washington, qui l’a signé sous la présidence de Joe Biden, ne l’a toutefois pas ratifié. Pour justifier sa décision, le nouveau locataire de la Maison-Blanche mettra en avant la «souveraineté nationale» et la «compétitivité économique» que les Etats-Unis cherchent à reconquérir. A ses yeux, cet accord en vertu duquel pas moins de 140 pays réunis autour de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) s’étaient entendus, en 2021, sur la taxation des bénéfices des entreprises à hauteur de 15% minimum et, quel que soit le lieu de déclaration de leurs profits, ne serait d’«aucun effet aux Etats-Unis».
Pis : le département du Trésor a été instruit par le président américain de préparer des «mesures de protection» à l'égard «des pays qui imposent, ou prévoient d’imposer, une fiscalité extraterritoriale ou qui affectent de manière disproportionnée les entreprises américaines».
Pas seulement : le décret présidentiel, officialisant le désengagement du «gendarme du monde» dudit accord, donnant un avant-goût de la nouvelle politique commerciale US, prévoit «une enquête sur tout pays étranger qui se risquerait à prélever des impôts discriminatoires ou extraterritoriaux sur des citoyens ou des entreprises américaines».
Face à la décision Trump, ses «executive orders» et ses menaces, la réaction de la Commission indépendante pour la réforme de la fiscalité internationale des entreprises (Independent Commission for the Reform of International Corporate Taxation-ICRICT), toujours aussi déterminée à lutter contre les pratiques d’optimisation fiscale des multinationales ne s’est pas fait attendre.
Au sujet de la taxe minimale mondiale, «l’accord de l’OCDE de 2021 visait à instaurer une taxe minimale mondiale de 15% pour limiter la concurrence fiscale néfaste et garantir que les multinationales paient leur juste part.
Les Ordres Exécutifs de Trump retirent le soutien des Etats-Unis à cet accord et menacent de riposter contre les pays appliquant la règle de perception fiscale sous-minimale (UTPR), qui permet de taxer les bénéfices non imposés à 15% dans d’autres juridictions», indique, d’emblée, depuis Buenos Aires (Argentine), à notre rédaction, Diego Llumá, Global Communications Manager à l’ICRICT. Cette décision risque, selon l’Organisation qu’il représente, de «relancer une course vers le bas, nuisant particulièrement aux pays du Sud Global, qui dépendent de la taxation des multinationales pour financer leurs défis climatiques et sociaux».
S’agissant, en outre, du revirement inattendu de la position américaine à l’égard des taxes sur les services numériques, notre interlocuteur, se référant à un document approuvé par les commissaires de l’ICRICT, notamment les coprésidents Joseph Stiglitz (prix Nobel d’économie) et Jayati Ghosh (économiste du développement), nous précisera : «Trump a menacé de riposter contre les pays adoptant des DST, malgré leur droit souverain de taxer les transactions numériques sur leur territoire. Notamment, de nombreux géants du numérique (ex. : Amazon, Meta, Google) ont évité une taxation équitable à l’échelle mondiale.» Alors qu'«ironiquement, la réforme fiscale de Trump en 2017, via les règles Gilti/BEAT, s’inspirait des principes de la taxe minimale mondiale qu’il rejette aujourd’hui».
Pour ce qui des retombées et implications pour le Sud Global, la même source estime que les Executive Orders du nouveau locataire de la Maison Blanche « menacent d’affaiblir la taxe minimale mondiale», risquant ainsi de «décourager les pays du Sud Global d’appliquer leurs propres taxes minimales ou DST par crainte de représailles».
Partant, l’Icrict qui œuvre depuis des années pour venir à bout des inégalités, démesurément aberrantes, entre riches et pauvres, face à l’impôt, réaffirme son attachement à défendre la souveraineté fiscale mondiale : «Les pays doivent appliquer la taxe minimale mondiale et adopter des mesures unilatérales (DST, par exemple) pour protéger leur assiette fiscale.»
INÉGALITÉS ET «CAPRICES» DE TRUMP
Et d’appeler la communauté mondiale à s’unir pour une convention fiscale à l’ONU : «Avec le désengagement des Etats-Unis, la Convention-cadre des Nations unies sur la coopération fiscale internationale offre une voie vers des règles multilatérales plus justes», tout en appelant à la nécessité de résister aux menaces : «Une action collective réduit l’impact des représailles américaines et garantit que les multinationales et les ultra-riches contribuent équitablement.» Pour mémoire : c’était en octobre 2021 que cet accord sur la réforme du système fiscal international, lequel ne conviendrait plus aux Américains, sera paraphé par 136 sur les 140 pays du cadre inclusif OCDE/G20 sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (BEPS). Bien que concernés, quatre pays ; le Nigeria, le Kenya, le Pakistan et le Sri Lanka, y resteront étanches.
La réforme introduite sous l’égide de l’OCDE, faut-il le noter, s’appuie sur deux piliers : Application d’une taxe de 25% du surprofit (au-delà de 10% de rentabilité) sur les entreprises ayant un chiffre d’affaires supérieur à 26 milliards de dollars. Les recettes de cette mesure fiscale devraient être redistribuées entre les pays dans lesquels ces entreprises ont une activité, si ces entreprises y réalisent au moins 1 milliard de dollars de chiffre d’affaires ou 250 millions de dollars si ces pays ont un PIB de moins de 40 milliards de dollars. Le second pilier consiste en l’instauration d’un taux d’imposition minimum effectif de 15% sur les bénéfices des entreprises réalisant un chiffre d’affaires supérieur à 991 millions de dollars . Mais, il ne s’agit que «d’un premier petit pas pour en finir avec les stratégies d’évasion et d’optimisation fiscale des grandes multinationales», estiment les militants pour la justice fiscale dans le monde.
Car en la matière, tel que le rappelle, avec dépit, Oxfam International dans son rapport 2023 «La loi du plus riche», toutes les aberrations et les frasques fiscaux auxquels ont souvent recours les grandes multinationales, notamment celles activant dans les industries extractives, ont tendance à devenir de moins en moins tolérables ; un homme comme Elon Musk, l’une des personnes les plus riches de l’histoire, paie 3,3% d’impôts au moment où Aber Christine, une vendeuse de riz sur les marchés en Ouganda en paie 40%...
Alors qu’«un impôt taxant jusqu’à 5% de la fortune des multimillionnaires et des milliardaires du monde entier pourrait rapporter 1700 milliards de dollars par an, soit une somme suffisante pour sortir deux milliards de personnes de la pauvreté et financer un plan mondial d’éradication de la faim», nous déclarait, en mars 2023, Haythem Benzid, porte-parole d’Oxfam International pour la région MENA (Afrique du Nord, Moyen-Orient).