l ne s’agit pas pour moi de m’attribuer une quelconque paternité du concept ni de sa mise en œuvre, mais de simplement restituer les faits historiques dans leur contexte. Dans une contribution au journal El Watan du 13 janvier 2010, j’avais considéré qu’à l’instar du pétrole, le gaz méritait une organisation internationale pour défendre les intérêts bien compris des pays producteurs et exportateurs de gaz. Je publie l’intégralité de mon article qui date de plus de…14 ans !
L’OPEP du gaz n’est finalement pas une si mauvaise idée… » C’est le ministre de l’Energie et des Mines qui vient de le déclarer, il y a quelques jours, dans un entretien qu’il a accordé à un journal russe (1) ! Il y a des retournements de situation qui valent un détour.
En effet, il y a moins de deux ans, ce même ministre déclarait dans la presse nationale et internationale que l’idée même d’une OPEP du gaz était totalement absurde, qu’il n’y avait pas de marché du gaz puisque totalement vendu et que ses prix étaient automatiquement indexés sur ceux du pétrole… Circulez, il n’y a rien à voir !
Des experts étrangers (2) venus à sa rescousse et invités en grande pompe en Algérie nous répétaient que l’idée d’une OPEP du gaz était «incongrue et irréalisable», voire sotte car, argumentent-ils, le marché du gaz était «régional», indexé sur les prix du pétrole et n’avait pas de producteur dominant.
Nous avions modestement fait remarquer (3) que la régionalisation était levée par la liquéfaction (4) du gaz (son transport, par méthaniers, permet de livrer tous les marchés mondiaux), que l’indexation sur les prix du pétrole (5), non seulement n’était pas automatique, mais faisait l’objet d’âpres négociations (6), d’arbitrage et de contentieux internationaux. Le prix du gaz (7), enfin, prenait de plus en plus ses distances par rapport à celui du pétrole et entrait, de plein fouet, dans le paradigme d’un produit de substitution relative, chantier vierge, nécessitant des études spécifiques importantes. En outre, le caractère long des contrats gaziers (entre 15 et 20 ans) peut être renégocié, dans la mesure où il extrait artificiellement ce produit de la logique du marché, à la condition express qu’une solidarité sans faille entre pays exportateurs se construise.
Ces dossiers majeurs n’ont jamais été examinés au Conseil national de l’énergie (8), présidé par le chef de l’Etat et conçu justement pour étudier les points sensibles du secteur de l’énergie.
Il a fallu attendre l’intervention du président de la République, dans le quotidien espagnol El Pais, où il affirma que «l’idée n’est pas à rejeter a priori et mérite d’être examinée et discutée par les intéressés», pour que le tir soit rectifié et que le ministre de l’Energie et des Mines, Chakib Khelil, déclare que «… l’OPEP du gaz peut être créée», dans une interview accordée au journal russe Kommersant… un an après.
Dès lors, les événements se précipitent et le FPEG (9) voit le jour le 23 décembre 2008 à Moscou, adopte ses statuts (similaires à ceux de l’OPEP) et fixe son siège à Doha, après plus d’une année de tergiversations stériles et de sous-entendus malsains. Le 9 décembre 2009, le secrétaire général du FPEG est élu en la personne de Leonid Bokhaniovski (10), dote d’un budget de 6 millions de dollars. Ce poste est primordial pour la coordination de l’activité du Forum et la cohérence de son action.
En outre, la Russie doit présenter une étude exhaustive sur le marché international du gaz, pour débat (11). Le plus dur vient d’être accompli, reste à rendre cette institution opérationnelle, ce qui est loin d’être une sinécure. En effet, les enjeux sont à la fois économiques, géopolitiques et stratégiques et impliquent des pays de différentes cultures politique, économique et sociale et répartis dans toutes les régions du monde.
Le point nodal de convergence du FPEG réside dans le fait que les pays membres ont tous pris conscience qu’ils possèdent une énergie qui a un certain nombre d’avantages et qu’ils souhaitent en faire un usage commercial qui leur soit profitable.
En outre, la conjoncture internationale actuelle, mais surtout future, leur est favorable, s’ils savent tirer toutes les conclusions utiles de l’histoire de la découverte du pétrole en Afrique et au Moyen-Orient et des bouleversements majeurs qu’elle a induits ces cinquante dernières années. L’épuisement des ressources énergétiques fossiles, dans les vingt prochaines années, va très certainement faire du gaz une énergie qui pèsera de plus en plus dans le bilan énergétique mondial, d’autant qu’elle est plus propre et donc moins polluante que le pétrole. Cette donnée ouvre des perspectives prometteuses, à moyen et long termes, pour peu que des stratégies équilibrées et réalistes (12), entre producteurs de pétrole et de gaz, soient mises en œuvre dans leur intérêt, bien compris, sans oublier celui des pays consommateurs d’énergie (la Chine en particulier). Les aspects techniques doivent être relégués au second plan par rapport à ceux géopolitiques et économiques.
En effet, comment mener une politique énergétique commune à long terme qui assure la sécurité et la régularité des approvisionnements et génère un revenu juste qui rende compte de la situation réelle du marché, cela nous paraît être un point central à prendre en charge, pour créer des relations de confiance entre les producteurs et les consommateurs ?
La fièvre spéculative qui s’empare des marchés spots doit également faire l’objet d’un traitement spécifique qui doit la restreindre dans une marge raisonnable, de manière à ne pas fausser les données objectives du marché (13). Un dialogue permanent, fructueux et constructif doit permettre de trouver un consensus qui préserve les intérêts de toutes les parties, s’agissant d’une ressource non renouvelable et qui exige pour son développement des investissements très lourds, consentis par les pays producteurs (exploration, production, recherche-développement, transport, liquéfaction, regazéification, commercialisation, sécurisation…).
Des efforts de convergence soutenus devront être déployés par tous les pays exportateurs de gaz (14) de manière à faire passer les intérêts stratégiques en priorité par rapport aux avantages immédiats et éphémères qu’offrent certaines opportunités en matière de prix (15).
En d’autres termes, l’adoption d’un «gentlemen agreement» entre les membres du FPEG faciliterait la recherche de solutions aux problèmes que devra surmonter le marché du gaz, à moyen et long termes, de manière à éviter les pressions exercées par les marchés spéculatifs, les énergies de substitution ou encore sur les stratégies de préservation de cette ressource non renouvelable.
A l’évidence, les enjeux du gaz pour les vingt prochaines années conduisent à l’élaboration d’un cadre de concertation entre pays exportateurs de gaz qui préservent leurs intérêts respectifs, bien compris et notamment en matière de niveau de prix, de fluidité des marchés, de sécurité des approvisionnements, du financement des investissements, de politique de liquéfaction et de transport.
En outre, il ne faut surtout pas oublier la consommation intérieure des pays exportateurs de gaz et son impact sur le bilan énergétique mondial. Nul doute que le FPEG s’imposera sur la scène énergétique mondiale, en attendant son sommet d’avril 2010 à Oran. –
L’auteur est : Président de l’ASNA (Association des universitaires algériens pour la promotion des études de sécurité nationale) Notes de renvoi : – 1) Expert Magazine. – 2) C. Ruehl (ancien expert de la Banque mondiale) et économiste chez BP. – 3) El Watan économie du 8 au 14 octobre 2007. – 4) Le GNL représente 10% de la production totale de gaz, pour l’instant. – 5) Un baril de pétrole équivaut à environ 6 MBTU. Or, sur le marché, le prix du gaz s’établit à un baril de pétrole pour 10 à 11 MBTU, soit une différence de 4 à 5 MBTU. – 6) L’Algérie en connaît un chapitre pour avoir eu à négocier durement avec les Français, les Italiens et les Espagnols notamment. – 7) Il est particulièrement intéressant d’entendre le ministre de l’Energie estimer que le prix du gaz devrait se situer à un niveau deux fois plus élevé que le cours actuel. – 8) Cette institution ne s’est pratiquement pas réunie depuis sa création, il y a vingt ans. – 9) Le Forum des pays exportateurs de gaz compte douze membres fondateurs dont la Russie, le Qatar, l’Iran, la Libye, l’Egypte, le Nigeria, la Bolivie, le Venezuela, la Guinée équatoriale, Trinidad, Tobago et l’Algérie. D’autres pays ont été invités à le signer, comme le Yémen, la Norvège, les Emirats arabes unis, la Malaisie, le Turkménistan, l’Indonésie et Brunei. – 10) Il occupe le poste de premier vice-président de la société russe Stroytransgaz.
L’Algérie obtient la présidence du FPEG pour l’année 2010. – 11) Ce document est primordial à la compréhension de l’évolution du marché gazier mondial, d’autant que l’introduction de technologies nouvelles d’extraction par les USA a permis à ces derniers de revoir à la hausse leurs réserves de gaz et donc de diminuer leurs importations à moyen terme, ce qui a influencé, à la baisse, les prix relatifs. – 12)
Les pays exportateurs de pétrole ne sont pas forcément exportateurs de gaz, d’où la nécessité d’un dialogue obligatoire entre l’OPEP et le FPEG. – 13) Il faut rappeler que la production de brut était en équilibre, avec un million de barils par jour en plus des besoins, aussi bien quand les prix ont atteint 150 $/b, que quand ils étaient à 70 $/b. – 14) Les contrats de fourniture de gaz devraient s’acheminer vers une «standardisation» de toutes les clauses, de manière à normaliser et à préserver les intérêts des pays membres du FPEG et faciliter la résolution des contentieux. – 15)
Les prix historiques du gaz qui combinent des éléments de généralisation d’utilisation du gaz et de couverture des investissements colossaux pour son transport et sa liquéfaction ont vécu. Un processus de fixation des prix du gaz sur la base du double marché régulé et spot est en construction, excluant l’indexation qui n’a été utilisée qu’à notre désavantage.
Par Dr Mourad Goumiri , Economiste