L’abandon progressif des énergies fossiles dans les mix énergétiques nationaux en faveur d’énergies nouvelles propres est désormais acté au niveau international et devra conduire à la mise en place d’un nouvel écosystème énergétique. Cette décision historique, adoptée lors de la 28e Conférence des Nations unies sur les changements climatiques (COP28), tenue à Dubaï du 30 novembre au 12 décembre 2023, a un double effet :
(1) accélérer les efforts pour atteindre une émission nette nulle des gaz à effet de serre (GES) d’ici 2050 ou vers 2050 grâce à une réduction progressive de l’usage du charbon, l’élimination des subventions inefficaces aux combustibles fossiles et la baisse considérable des émissions de méthane; et (2) accélérer la transition de l’économie mondiale vers des sources d’énergie renouvelables, des technologies plus propres et une plus grande efficacité énergétique. Si ces mesures étaient devenues incontournables pour faire face au réchauffement climatique, la transition énergétique va toutefois imposer des coûts aux pays producteurs et exportateurs des énergies fossiles et les contraindre à mettre en place de nouveaux modèles économiques diversifiés. Ces coûts vont varier d’un pays pétrolier à un autre en fonction de leurs spécificités en termes de produits exportés et de structure des coûts d’extraction. Pour ce qui la concerne et bien que le pétrole domine l’activité économique depuis l’indépendance, l’Algérie ne contribue pas de façon marquée au changement climatique mondial.
Elle reste toutefois fortement affectée comme les autres pays du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord par divers dérèglements naturels graves. Aux coûts structurels imposés par ces derniers (écosystèmes, infrastructure, activité économique) viendront s’ajouter ceux de la transition énergétique. La combinaison des deux va inévitablement accentuer les vulnérabilités macroéconomiques et sociales du pays ainsi que les besoins financiers pour y faire face. L’avenir doit donc se préparer dès maintenant en mettant en place des réformes macroéconomiques ambitieuses et cohérentes et en mobilisant des financements adéquats pour créer de nouveaux moteurs de croissance. Une priorité stratégique immédiate. Discutons de ces points.
La transition énergétique devrait reconfigurer la structure du marché des produits énergétiques.
Le mix énergétique mondial actuel est dominé par les énergies fossiles (85% avec le pétrole représentant 34% de la consommation mondiale d’énergie, le gaz 23% et le charbon 28%). Bien qu’en progression, la part des énergies renouvelables (éolienne, solaire et géothermique) n’est que de 15%. Les cinq plus grands producteurs d’énergie renouvelable sont la Chine (31% de la production mondiale), les Etats-Unis (11%), le Brésil (6,4%), le Canada (5,4%) et l’Inde (3,9%). L’Islande est le pays, dont 87% de son énergie est produite à partir de sources renouvelables, suivie de la Norvège (71,56%) et de la Suède (50,92%). En 2023, le secteur des énergies renouvelables au niveau mondial a employé14 millions de personnes et drainé des investissements de $525 milliards.
Les exportateurs de combustibles fossiles seront désormais confrontés à un déclin progressif de la demande mondiale entre 2024-2050. En appui d’une émission nette nulle des GES, les projections de l’Agence internationale de l’énergie, de la Banque mondiale et du FMI font ressortir une baisse de la consommation de charbon (90% vu sa forte teneur en carbone), de pétrole (80%) et de gaz naturel (70% du fait de sa faible teneur en carbone). La demande en gaz naturel pourrait même augmenter à court et moyen termes s’il est utilisé comme combustible de transition, en substitution au charbon.
Les impacts sur les demandes nationales en énergies fossiles ne seront pas uniformes mais dépendront d’une gamme de facteurs, dont : (1) le type de produit exporté et ses coûts d’extraction ; (2) les spécificités du pays ; (3) la dynamique de réforme du secteur des combustibles fossiles (tarification du carbone en aval, adoption de technologies propres, pénalisation des processus d’extraction à forte intensité d’émissions et interdiction des technologies polluantes) ; (4) le niveau des investissement dans les projets d’énergies fossiles, notamment de la part des grands pays producteurs de pétrole brut, de gaz naturel ou de charbon pour ne pas fragiliser la sécurité énergétique mondiale ; (5) le développement technologique en faveur d’alternatives énergétiques plus propres ; et (6) le gel de 60% des réserves mondiales prouvées de pétrole et de gaz naturel et 90% de celles de charbon pour coller à l’objectif de la COP 28.
La transition énergétique va impacter les fondamentaux macroéconomiques des pays exportateurs d’énergie fossile.
La viabilité de la balance des paiements sera menacée en cas de baisse des recettes nettes d’exportation de combustibles fossiles, de recul des investissements directs étrangers dans le secteur énergétique, d’une hausse de la dette extérieure du pays, d’un tassement des réserves de change, d’une dépréciation du taux de change nominal et d’une montée conséquente de l’inflation.
La croissance économique et, à terme, ses principaux moteurs. La baisse des exportations et/ou les investissements associés à l’industrie pétrolière vont tout d’abord affaiblir l’activité économique et l’emploi des secteurs en aval (ciment, engrais, pétrochimie, acier). En second lieu, interviendront les effets multiplicateurs sur l’ensemble de l’économie, à travers des baisses des niveaux de l’emploi, des revenus des agents économiques, de la fiscalité pétrolière, de la consommation et de l’investissement privés et publics. Enfin, l’évolution de la demande intérieure, des prix à la consommation des combustibles fossiles et des mouvements des taux de change alimenteront des pressions inflationnistes.
La viabilité des finances publiques. La variation des prix mondiaux des combustibles fossiles va réduire le niveau de la fiscalité recouvrée auprès des entreprises publiques et privées (nationales et internationales) impliquées dans cette activité (impôts, dividendes, redevances et bénéfices en cas de contrats de partage de la production). Les effets d’entraînement sur l’ensemble de l’économie interviendront également sous la forme d’une réduction de l’assiette fiscale, d’un changement dans la structure des dépenses publiques (programmes de reconversion et de restructuration de l’économie) et d’un alourdissement de la dette des entreprises publiques (par le biais des garanties publiques explicites et implicites). In fine, les gouvernements devront puiser dans leurs réserves ou réduire les dépenses pour maintenir la viabilité des finances publiques et de la dette publique.
Le secteur bancaire et financier : qui est fortement impliqué dans le financement de l’industrie des énergies fossiles pourrait faire face à des risques plus élevés liés à des effets de bilan (générés par la variation des taux de change, la volatilité excessive ou les changements durables dans les ventes de combustibles fossiles), ce qui affectera la capacité du secteur financier à attirer des financements nationaux ou internationaux et à assurer l’intermédiation des fonds et le soutien à l’économie.
Les grands axes des réformes au niveau des pays exportateurs de combustibles fossiles pour gérer la transition énergétique. Dans l’ensemble, cette dernière est source de défis mais également d’opportunités pour les pays concernés devant entreprendre une transition vers un mix énergétique qui protègera les populations et assurera un développement économique durable. Dans le contexte d’une planification à long terme rythmée par des évaluations régulières devant déterminer le point d’abandon des investissements dans les combustibles fossiles et le basculement vers des énergies propres, les pays devraient mettre en place des politiques publiques et des réformes appropriées articulées autour des grands axes suivants :
1. Diversification de l’économie : pour réduire leur dépendance par rapport aux revenus des combustibles fossiles en ciblant les secteurs des énergies renouvelables, du tourisme, de l’agriculture, de l’industrie manufacturière et du savoir.
2. Investissements dans les énergies renouvelables : pour répondre à leurs besoins énergétiques et réduire les émissions de carbone tout en ouvrant la voie à de nouvelles opportunités économiques et de nouveaux emplois.
3. Réformes fiscales : destinées à réduire la part de la fiscalité sur les combustibles fossiles par le biais de nouvelles taxes ou prélèvements sur l’extraction et la consommation de combustibles fossiles, ainsi que la réaffectation des dépenses publiques vers le développement durable.
4. Filets de sécurité sociale : vitaux pour aider les populations vulnérables à s’adapter à une économie en évolution, y compris à travers des programmes de soutien aux travailleurs qui abandonnent le secteur des énergies fossiles et des subventions pour favoriser l’accès aux énergies renouvelables.
5. Cadre institutionnel des énergies renouvelables : pour faciliter l’émergence et la consolidation de ces dernières, des réformes complémentaires cibleront la gouvernance, la transparence et les cadres réglementaires.
Le cas de l’Algérie : relever le double défi du changement climatique et d’une transition énergétique coûteuse et complexe. Cette dernière doit être préparée dès maintenant pour absorber ses coûts sur un temps plus long et créer de nouveaux moteurs de croissance. Trois points à souligner.
Le changement climatique est déjà source de dommages structurels : il se manifeste depuis quelques années à travers une série de chocs, y compris une hausse des températures, une pluviométrie irrégulière, des vagues de chaleur ou de froid, des sècheresses et des inondations. Ces chocs vont continuer à impacter le pays au cours des prochaines années, notamment dans les secteurs les plus vulnérables tels que l’agriculture (culture et élevage), les forêts (incendies et dépérissements forestiers), l’hydraulique au niveau des écosystèmes au nord du Sahara et la santé (vulnérabilité à de nombreuses pathologies).
Les grands axes de la stratégie nationale de lutte contre les changements climatiques : selon le ministère de l’Environnement et des Energies renouvelables, ils s’articulent autour :
(1) du développement des énergies renouvelables en exploitant le potentiel important en matière d’énergie solaire et éolienne ; (2) de l’adaptation aux défis de la rareté de l’eau et de la désertification au moyen d’investissements dans la gestion de l’eau, l’agriculture et la résilience des infrastructures ; (3) d’un renforcement des politiques publiques et des réglementations : pour soutenir les objectifs en matière de changement climatique (normes d’émissions plus strictes, incitations pour les projets d’énergies renouvelables et des pratiques d’utilisation durable des terres) ; (4) d’une poursuite de la collaboration internationale pour faciliter un partage des meilleures pratiques, l’accès au financement pour des projets climatiques et la participation aux négociations mondiales sur le climat ; et (5) de la sensibilisation et l’éducation du public afin de favoriser son soutien aux efforts d’atténuation et d’adaptation.
La stratégie de gestion de la transition énergétique : en 2023, les énergies fossiles ont contribué à concurrence de 19,1% au produit intérieur brut (PIB), 91,3% aux exportations et 52% aux recettes budgétaires totales. L’Algérie est classée 54ème pays dans l’Indice de Performance en matière de Changement Climatique 2024. Pris ensemble, ces deux éléments soulignent l’étendue des efforts à déployer dans le futur pour décarboniser et diversifier l’économie nationale d’autant plus que les spécialistes de l’énergie estiment que la production pétrolière du pays devrait culminer en 2040 (ceci pourrait varier en fonction des tendances économiques futures, des développements technologiques et des efforts des sociétés et des gouvernements pour atténuer le changement climatique).
Il est donc vital que l’Algérie accélère, à l’instar des autres pays producteurs de combustibles fossiles, la diversification économique et érige cette dernière en priorité stratégique. Dans l’intervalle, la transition énergétique mondiale en cours va ajouter aux incertitudes de longue date sur les mouvements relatifs de la demande et de l’offre de combustibles fossiles et impactera négativement les exportations liées aux combustibles fossiles, les flux fiscaux, les investissements et, par conséquent, les comptes extérieurs et budgétaires, la croissance économique et l’emploi.
Pour y faire face et avancer dans la voie de la diversification, l’Algérie devra intensifier ses efforts pour atténuer les risques budgétaires. Par ailleurs, la politique budgétaire devrait contribuer à une réduction des émissions nationales de GES, en favorisant l’adoption de technologies à faibles émissions de carbone et en aidant les plus vulnérables à faire face aux changements liés à la transition énergétique.
Pour ce qui est des risques macroéconomiques au sens large, les autorités devraient les prendre en charge grâce à une accélération des réformes structurelles ciblant l’émergence de nouveaux moteurs de croissance. Parallèlement, une amélioration de la réglementation et de la surveillance financière pourrait limiter les expositions du secteur financier.
Enfin, la poursuite de la coordination internationale sur la conception et la mise en œuvre des nouvelles politiques climatiques ainsi que les programmes de transferts internationaux (financement et développement des capacités) offrent des voies idoines pour faire face aux incertitudes entourant la transition énergétique et les conséquences économiques négatives qui y sont associées.
Par Abderahmi Bessaha , Expert international